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Michel Rusquet, Trois siècles de musique instrumentale : un parcours découverte —— La musique instrumentale de Beethoven à Schubert.

Le quintette en do majeur D 956 de Franz Schubert

Quintette en do majeur, D 956, opus 63.

franz Schubert

Pour beaucoup, il s’agit là d’un sommet absolu de la musique de chambre de Schubert. « Œuvre grandiose et profonde en sa forme pleinement maîtrisée, si « orchestrale » qu’elle paraît ne plus appartenir au genre de la musique de chambre, le quintette en ut majeur semble une quintessence du premier Romantisme musical. »89 Composé au cours du dernier été de Schubert, juste après sa grande symphonie en ut majeur, ce quintettese singularise par le choix d’une formation instrumentale comportant deux violoncelles. « On voit sans peine pourquoi Schubert a choisi un second violoncelle pour former son quintette : il renforce l’un ou l’autre des deux couples d’instruments et leur sert d’intermédiaire. Il a un rôle complètement indépendant du premier violoncelle ; tantôt il joue à l’unisson avec lui, et Schubert obtient une sonorité vibrante, pleine d’une sombre grandeur, tantôt il contrepointe le premier violoncelle et les autres instruments. Enfin, par la couleur et par l’ampleur de sa voix, il accentue l’atmosphère romantique et troublante de l’œuvre. Mozart, dans les sept quintettes qu’il a écrits pour deux altos, a montré à Schubert ce qu’on obtient d’un instrument qui peut doubler, soutenir ou accompagner la mélodie du premier, et quel effet orchestral on arrive à donner à la musique de chambre. »90 Dans une œuvre par ailleurs caractérisée par une extrême dilatation du temps, l’introduction d’un second violoncelle a été pour Schubert le moyen de repousser encore plus loin les limites de l’expression musicale en atteignant une sorte d’idéal de fusion du lyrisme dans la musique de chambre.

Arrêtons-nous un moment sur les deux grandioses premiers mouvements (allegro ma non troppo et adagio). « À elles seules, les premières mesures nous emmènent déjà loin de tous les repères connus. Un crescendo sorti du silence […], comme un point d’interrogation harmonique, sans contour rythmique immédiatement défini. Aussitôt vient l’exposition, avec le premier thème, intense et majestueux […], bientôt perturbé par un environnement tourmenté, saccadé. Au sommet de ce déchaînement, soudain, le coup de théâtre : deux accords qui sonnent comme une conclusion, et c’est l’apaisement total avec le deuxième thème, dans un mi bémol surprenant pour un quintette en ut : les deux violoncelles entonnent l’un des chants les plus tendres et profonds jamais imaginés par Schubert, une de ces phrases qui abolissent les barres de mesure et pourraient ne jamais s’arrêter. Impossible de ne pas éprouver un frisson de bien-être en entendant ce duo de barytons, discrètement ponctué par de petites interjections rythmiques des violons, qui finissent par s’emparer du thème à leur tour. Un motif de marche […] clôt l’exposition. Cette marche irrigue ensuite le développement, passant au premier violoncelle, scandée par l’ostinato du second, tandis que les plans sonores se superposent en des combinaisons de plus en plus riches. »91 Dans la réexposition, le merveilleux deuxième thème va reprendre un rôle dominant, jusqu’à la conclusion où, malgré un retour des sombres accords du début, il ramènera l’apaisement sur un ton de confidence.

« On croyait avoir atteint le sublime, [et pourtant, avec l’adagio], Schubert nous fait gravir un nouveau sommet. Voici l’un des moments où l’on prend conscience que la musique, si elle est l’art du temps, est aussi capable de le suspendre. Un trio […] entonne un chant élégiaque infini, en valeurs longues, tellement sculptural qu’il donne une impression d’éternité. Il est scandé par les pizzicatos du second violoncelle qui résonnent comme une pulsation étreignante, et par les interventions déchirantes du premier violon […]. Par un trille menaçant, la section centrale de cette forme en arche amène un climat tragique et angoissé, en fa mineur, avant que le chant céleste s’élève à nouveau, murmuré en mi majeur par le premier violon, jusqu’au pianissimo d’une conclusion en mineur, après un voyage dans des sphères très lointaines où l’on respire un air plus rare. »92  Comme l’écrit de son côté Marcel Schneider, « on admire que Schubert ait osé concevoir un mouvement qui dût si peu à la science et tant à l’effusion lyrique et qui, ainsi fait, pût soutenir la comparaison avec les plus nobles œuvres de la musique. »93

Un autre « miracle » nous attend au milieu du fougueux scherzo, lui-même marqué par l’abondance des dissonances, la rudesse des accents et un cheminement tonal des plus curieux. Il s’agit bien sûr du trio (andante sostenuto) : « Loin de sa fonction habituelle d’intermède, cette partie centrale du scherzo représente pour Brigitte Massin le « point focal » du quintette : une descente dans la noirceur la plus funèbre, en fa mineur, d’une densité méditative et inquiétante. Le retour du scherzo, qui nous tire d’un état second, en est presque un soulagement. »94 Après quoi le finale « à la tzigane » (allegretto) nous fait redescendre sur terre : « Nouvelles surprises : nous nous attendions à une autre fin, mais soit que Schubert veuille affirmer une joie ingénue qu’il ne possède plus depuis 1823, soit qu’il espère se concilier les puissances qu’il ne faut pas nommer en agissant comme un musicien que ne tourmentent pas les soucis, soit enfin que par modestie il décide de terminer de façon ordinaire cette œuvre extraordinaire, il nous offre une conclusion d’allure populaire, sans prétention, qui évoque les réunions amicales des tavernes viennoises, comme si, après avoir plongé dans les ténèbres de son âme et nous en avoir révélé les mystères, Schubert voulait remonter à la surface et nous laisser le souvenir de son apparence habituelle, comme si les angoisses, les nostalgies et les visions célestes du Schubert des heures solitaires cédaient le pas à l'image qu'offrait l'homme extérieur. »95

FRanz Schubert, Quintette en do majeur, D 956, opus 63, I. Allegro ma non troppo, II. Adagio, III. Scherzo, IV. Allegretto, composé en 1828, Pražákovo kvarteto, Marc Coppey (violoncelle).
FRanz Schubert, Quintette en do majeur, D 956, opus 63, I. Allegro ma non troppo, II. Adagio, III. Scherzo, IV. Allegretto, composé en 1828, Isaac Stern (violon), Alexander Schneider (violon), Milton Katims (alto), Pablo Casals (violoncelle), Paul Tortelier (violoncelle), festival de Prades 1952.

plumeMichel Rusquet
20 avril 2020

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Notes

89. Tranchefort François-René, Guide de la musique de chambre, Fayard, Paris 1998, p. 809.

90. Schneider Marcel, Schubert, « Solfèges », Éditions du Seuil, Paris  1957, p. 135.

91. Merlin Christian, dans « Diapason » (545), mars 2007.

92. Ibid.

93.  Schneider Marcel, op. cit., p. 136.

94. Merlin Christian, op. cit.

95. Schneider Marcel, op. cit., p.137.


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Les œuvres de musique de chambre de Franz Schubert

Trios à cordes D 471 et D 581

Les sept quatuors de prime jeunesse, D 18, D 32, D 36, D 46, D 68, D 74, D 87.

Les quatre derniers quatuors de jeunesse, D 94, D 112, D 173, D 353.

Mouvement de Quatuor no 12, « Quartettsatz », en ut mineur D 703.

Quatuor no 13 en la mineur, D 804, opus 29.

Quatuor no 14 en mineur « La Jeune Fille et la Mort », D 810.

Quatuor no 5 en sol majeur, D 887, opus 161.

Quintette en ut majeur, D 956, opus 63.

Rondo pour violon et quatuor, D 438.

Trois sonatines, pour violon et piano, D 384, D 385-408, opus 137.

Duo, pour violon et pinao, en la majeur, D 574, opus 162.

Rondo brillant, pour violon et piano, en si mineur, D 895, opus 70.

Fantaisie en ut majeur, D 934, opus 159.

Introduction et variations sur le Lied « Trockne Blumen », pour piano et flûte, D 802, opus 160.

Sonate, pour arpeggione et piano, D 821.

Trios pour piano et cordes, D 898 (opus 99) et D 929 (opus 100).

Diverses pièces en trio.

Quintette pour piano et cordes, « La Truite », D 667, opus 114.

Octuor en fa majeur pour cordes et vents, D 803, opus 166.

Diverses œuvres de chambre.


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