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12 juillet 2023 — Jean-Marc Warszawski

Bachfest Leipzig 2023 : un bilan à la hauteur des attentes

Le premier bilan d’un festival de musique est celui de son niveau d’exigence et de son rayonnement artistiques. De ce point de vue, le Bachfest Leipzig est un modèle, par la richesse et l’ambition de sa programmation (166 manifestations), ses réalisations de première valeur, l’étonnante et massive mobilisation des institutions dans une organisation attentive, mise à part la durée des discours officiels du concert d’ouverture qui n’avait pas été calculée. Le tout dans une ambiance de complicité fraternelle que l’on sent enracinée dans l’histoire de la ville, comme la symbiose évidente entre les musiciens et le public, surtout quand il s’agit de la mythique maîtrise de la Thomaskirche ou des musiciens du Gawandhaus.

9 juin 2023, BachStage, Leipzig, « Tribute to Bach ». Photographie © Jens Schlueter/Bachfest Leipzig.

Le concert de gala en plein air, « Tribute to Bach », du 9 juin, sur la place du marché (Marktplatz) de Leipzig, a réuni trois heures durant, le pianiste Lang Lang, le violoniste Daniel Hope, par ailleurs excellent animateur, le Thomanerchor au grand complet, les musiciens du Gewandhaus, Cameron Shahbazi (contre-ténor), Francesca Aspromonte (soprano), Albrecht Mayer (hautbois), Sophie Kauer (violoncelle), sous la direction d’Andreas Reize, Kantor de la Thomaskirche, dans des œuvres célèbres, évidemment de Bach. En clôture, une grande partie des 2500 spectateurs, munie de la partition distribuée à l’entrée, a entonné, peut-être pas à pleins poumons comme l’a demandé Daniel Hope, Jesus Bleibet meine Freunde (BWV 147), touchante communion dépassant de loin le cadre religieux, dans la ville la plus athée d’Allemagne, mais peut-être la plus musicale au monde. Ce concert a été enregistré par ARTE, il est accessible en podcast jusqu’au 6 décembre 2023.

Mais tous les concerts auxquels nous avons assisté, ont été d’un égal plaisir mélomane et de chaleureuse convivialité, parmi un public communiant, partout nombreux, bien plus jeune et familial que celui des concerts classiques en France :

9 juin 2023, Salles de Pologne. Johannes Pramsohler (violon), Philippe Grisvard (clavecin). Photographie © Bach-Archiv Leipzig/Gert Mothes.

La soirée animée par des solistes du festival, mêlant la musique de Bach, l’électronique et l’improvisation, à la maison Schumann, pas celle où Clara naquit et où Robert la rencontra, qui d’ailleurs n’existe plus, mais l’appartement qu’ils occupèrent les premières années de leur mariage. Parmi les musiciens, le violoniste Johannes Pramsohler, Suisse vivant à Paris, qui a aussi donné, avec le très demandé claveciniste Philippe Grisvard, trois sonates de Bach, avec clavecin obligé (BWV 1019, 1017, 1015), une de Christoph Schaffrath et une autre de Johann Adolf Scheibe, dans le cadre étonnant et majestueux d'une des « Salles de Pologne ». Nous n’avons malheureusement pas assisté à la suite de ce programme, le lendemain 10 juin, à l’église réformée évangélique, avec trois autres sonates du JSB (BWV 1016, 1014, 1018), plus une de Georg Philipp Telemann et une de Johann Gottlieb Graun.

9 juin 2023, église évangélique réformée, Selina Ott. Photographie © Bachfest Leipzig.

Dans cette même église assez moche à 200-300 mètres de la gare Centrale de Leipzig, nous avons assisté, le 9 juin, à un concert orgue-trompette, un duo toujours gagnant, au moins en France depuis Maurice André, avec la jeune Selina Ott, premier Prix 2018 du prestigieux Concours de l’ARD, en 2021, Prix Opus Klassik, pour son enregistrement de concertos avec l’Orchestre Symphonique de la Radio de Vienne, et à 26 ans déjà une habituée des grandes phalanges internationales. L’orgue était tenu par le tout aussi jeune et solide organiste Johannes Zeinler, également un habitué des scènes internationales, enseignant à l’Université de musique et des arts de la scène de Vienne et organiste du monastère de Klosterneuburg.

Leur programme était constitué naturellement d’œuvres baroques : Johann Sebastian Bach en tête, les Marches héroïques de Georg Philipp Telemann, Giuseppe Tartini, et dans cet écrin, deux pièces contemporaines : un magnifique Arioso Barocco d’André Jolivet et une belle découverte avec le Resurrexit d’Alfred Mitterhofer.

Une fois de plus, nous avons apprécié l’accueil raffiné de la Maison Mendelssohn, avec le petit exploit numérique de l’Effektorium, un orchestre virtuel qui joue des œuvres de Felix Mendelssohn selon divers chefs d’orchestre et qu’on peut soi-même diriger à la baguette (mais on influe seulement sur le tempo), on y découvre aussi l’art du dessin et du pastel du compositeur, et on peut imaginer, plus ou moins reconstitué, son cadre familial. Dans le « salon de musique », nous avons goûté le mini-récital de Simone Zimmermann, pianiste issue des grandes écoles de musique de Leipzig, répétitrice de ballets au Théâtre de Brandeburg et jouant avec les grandes phalanges locales, l’Orchestre symphonique de la MDR, du Gewandhaus ou l’Orchestre philharmonique de Halle. Elle nous a offert quelques extraits des Lieder ohne Worte.

10 juin 2023, Paulinum Leipzig, Passions de L'âme, sous la direction de Meret Lüthi (violon). Photographie © Bach-Archiv Leipzig/Gert Mothes.

De la maison Mendelssohn, on gagne en quelques minutes et enjambées le Paulinum, le hall (Aula) de l’université de Leipzig, façadé de verre en toute beauté, marqué par l’évocation de l’église Saint-Paul (St. Pauli), église de l’université, épargnée miraculeusement par les bombardements de la guerre, mais dynamitée le 30 mai 1968, sur ordre de Walter Ulbricht. Le nouveau Paulinum a été inauguré en 2017 après dix années de travaux. Il abrite des offices religieux, des concerts et diverses manifestations. Nous y avons assisté à des concertos et cantates « à plusieurs instruments », avec Hana Blažíková (soprano), Dominic Wunderli (trompette), Les Passions de l’âme, sous la direction de Mertet Lüthi. La diction allemande de la grande soprano tchèque ne facilite pas la compréhension des textes.

10 juin 2023, BachStage, Leipzig, Stefan Temmingh (Blockflöte), Capricornus Consort Basel, Michael Maul. Photographie © Bach-Archiv Lepzig/Gert Mothes.

Nous avons beaucoup aimé l’idée et la réalisation du concert-conférence « grand public », au BachStage, La compétition pour le Kantorat de Saint-Thomas, une idée à tous les coups de l’intendant du festival, Michaël Maul, qui en assurait avec brio et malice l’animation. C’est que pour ce poste, il y avait des candidatures qui correspondaient mieux que celle de Johann Sebastian Bach aux attentes qu'on pouvait avoir quant aux qualités d’un Kantor, à Leipzig, en 1723. D’abord des études universitaires et la maîtrise du latin pour pouvoir l’enseigner. Sur les rangs il y avait Georg Philipp Telemann et Christoph Graupner… Une histoire pleine de hasards et trois compositeurs, avec Miriam Feuersinger (soprano), Stefan Temmingh (flûte à bec), le Capricornus Consort Basel, sous la direction de Peter Barczi.

10 juin 20213, Thomaskirche Leipzig. Aisling Kenny (soprano), Alex Potter (altop), Benedict Hymas (ténor), Peter Kooj (basse), Collegium Vocale Gent, sous la direction de Philippe Herreveghe. Photographie © Bach-Archiv Lepzig/Gert Mothes.

Nous avons eu également la chance de pouvoir assister, à deux des quatre concerts grandioses consacrés au cycle des cantates que Johann Sabastian Bach a composées lors de sa première année de Kantorat à Leipzig, avec les ensembles de Philippe Herreweghe, Ton Koopman, Hans-Christoph Rademann et Rudolf Lutz. Nous y reviendrons.

En tout, c’est un peu plus de 70 000 personnes de 56 nations qui ont assisté aux manifestations du festival dans une trentaine de lieux, certains mythiques, y compris éloignés de Leipzig comme à Altenburg, Dresden, Köthen, Naumburg, Störmthal, Zeitz, Zschortau  : concerts d’église et de chambre, récitals d’orgue, manifestations en plein air, messes de matines, concerts de motets…

Le BachStage, la grande scène en plein air de la place du marché, a accueilli au cours du premier week-end festivalier, 18 000 spectateurs, pour entendre entre autres le groupe heavy métal Son of a Bach, le WDR Big Band, sous la direction de Jôrg Achim Keller, dans un programme « Goldberg with Big Band », la chanteuse Noa, qui a combiné ses propres textes de chansons en anglais et en hébreu avec des classiques de Bach.

36 chœurs (1 478 chanteurs), ont participé au Bachfest 2023, 35 orchestres (647 musiciens), 188 membres d’ensembles de musique de chambre, 129 solistes vocaux, 37 chefs d’orchestre, 32 conférenciers et modérateurs, 16 organistes dans les services religieux, et 78 solistes instrumentaux.

Le Bachfest de Leipzig 2024, Choral total, aura lieu du 7 au 16 juin. Il célébrera simultanément les 500 ans de chorals de Luther, les 300 ans du cycle de cantates chorales de Jean-Sébastien Bach (2e année de Kantorat) et le 25e anniversaire du Bachfest de Leipzig.

Il accueillera, comme en 2022 (We are a Family), des ensembles « Bach » du monde entier : Australie, Allemagne, Suisse, Espagne, France, Japon, Malaisie, États-Unis, etc., pour interpréter les cantates composées pendant la deuxième année de l’activité de Bach à Leipzig en 1724-1425, dans les lieux de Leipzig où elles ont été interprétées pour la première fois.

plume 7 Jean-Marc Warszawski
12 juillet 2023
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