17 juin 2023 — Jean-Marc Warszawski
8 juin 2023, Thomaskirche Leipzig. Pia Davila (soprano), Geneviève Tschumi (alto), Raphael Höhn (ténor), Tobias Berndt (basse), Thomanerchor, Gewandhausorchester, sous la directioon de d'Andreas Reize. Photographie © Bach-Archiv Leipzig/Gert Mothes.
Dans quelques heures le festival Bach 2023 de Leipzig s’achèvera avec la messe en si mineur, par le Bach Collegium Japan sous la direction de Masaaki Suzuki. La fête aura duré dix jours intenses, au cours desquels le mélomane se sera réjoui des spectacles comme de l’accueil de la ville, mais regrettera à jamais tout ce qu’il n’a pu voir ni entendre.
Le Bachfest est un formidable festival de musique, peut-être le plus formidable au monde, qui avait mis cette année les petits plats dans les grands (en fait comme tous les ans), pour fêter le tricentenaire de l’entrée en fonction de Johann Sebastian Bach à la Kantorei de Leipzig, où derrière Georg Philipp Telemann et Christoph Graupner, qui se désistèrent tous deux, il n’était que troisième choix.
Avec 1,2 million d’euros de billets vendus dans 55 pays (pour 160 manifestations musicales et culturelles, voire touristiques), avant l’ouverture, tous les records, à date égale, étaient battus. Certainement grâce à la qualité et à la tenue des concerts, y compris les plus populaires, des années précédentes, mais aussi à la richesse historique et humaine de la ville, grand centre universitaire depuis 1409, capitale industrielle et commerçante avec ses grandes et célèbres foires qui ont façonné le centre-ville, capitale musicale, marquée entre autres par Telemann, le grand Bach, Clara Wieck et Robert Schumann, Felix Mendelssohn qui dessina la modernité du mythique orchestre du Gewandhaus et ouvrit le premier conservatoire de musique des territoires germaniques, Gustav Mahler qui ne laissa pas comme directeur que de bons souvenirs aux musiciens du Gewandhaus… Dès les débuts de l’imprimerie, Leipzig en abrita les fleurons d’où émergèrent les importantes éditions musicales Breitkopf und Härtel au xviiie siècle et Peters un peu plus tard…
Cette année le thème du festival est « Bach für die Zukunft » (Bach pour le futur). Il ne s’agit pas de verser dans le futurisme, mais de rappeler que nous sommes au présent le futur de Bach, qui d’ailleurs ne jouait pas les œuvres de son passé, mais ses créations. Par conséquent, c’est aussi une invitation à plus de créations d’œuvres nouvelles.
Les organisateurs, l’intendant Michael Maul en tête, ont voulu marquer le concert d’ouverture, évidemment à la Thomaskirche, le 8 juin dernier, de ces symboles : l’entrée en fonction comme Kantor, en 1723, de Johann Sebastian Bach, des créations commémoratives, aussi la remise de la médaille Bach 2023 de la ville de Leipzig, à la maîtrise de la Thomaskirche, le Thomanerchor, au cours du concert, non pas en une cérémonie indépendante, comme cela est de tradition. C’est beaucoup.
On a donc joué les premières œuvres que Bach a fait sonner à la Thomaskirche : les prélude et fugue en mi bémol majeur BWV 552, par Johannes Lang, organiste des la Thomaskirche depuis l’an dernier, la cantate BWV 75, Die Elenden müssen essen (Les miséreux doivent manger), avec l’orchestre du Gewandhaus, le Thomanerchor, Pia Davila (soprano), Geneviève Tschumi (alto), Raphael Höhn (ténor), Tobias Berndt (basse), sous la direction d’Andreas Reize, 35e Kantor, 18e après Bach. À se pâmer d’émotion.
Côté création, une œuvre curieuse de Thomas Leiniger, compositeur né en 1981. Lors d’un séjour à Leipzig, Wolfgang Amadeus Mozart aurait été enthousiasmé par le motet Singet dem Herrn ein neues Lied (Chantez au Seigneur un nouveau cantique), BWV 225. Thomas Leininger a donc tourné ce motet dans le style de Mozart pour deux chœurs à quatre voix et orchestre. Une œuvre curieuse, de circonstance, qui s’écoute avec plaisir. Cela nous rappelle les exercices donnés pas notre professeur d’écriture.
Le climax de cette soirée fut Kantate, de Jörg Widmann, pour solistes, chœur à 4-8 voix, orchestre et orgue (et clarinette basse), d’une puissance emportant émotion, plaisir sonore, découverte. Symbolisant les puissances en jeu par une introduction déambulatoire le long de la nef d’une clarinette basse soliste, puis exploitant les ressources du choral tonal à quatre voix jusqu’au cri du free jazz, en passant par la dissonance, voire des effets originaux d’ondées ou de gouttes dissonantes sur des couches harmoniques... Un feu de tout bois qu’on appelle post-modernisme. Le tout sur des textes, rassemblés par le compositeur, de Matthias Claudius, (C’est la guerre !), Jean Paul, Bertold Brecht, l’Épître aux Corinthiens, et s’achevant par le Notre Père et un Alléluia sur un texte de Paul Gehardt… L’œuvre a été longuement ovationnée.
Leipzig, 8 juin 2023. Le Thomanerchor. Photographie © Bach-Archiv Leipzig/Gert Mothes.
Malheureusement, solennités obligent, il y a eu trop de discours, et de discours trop longs, dont celui interminable de Skadi Jennicke, maire adjointe à la Culture, remplaçant le maire Burkhard Jung, indisposé. Lisait-elle son discours, celui que le maire avait préparé ou que leurs attachés avaient rédigé ? En tout cas, cette manière de récupération, de tirer la couverture à soi en prétendant servir la communauté est assez insupportable, même si nous le savons tous que par une merveille de la nature, les politiques son quasi spontanément omniscients. Le discours de Michael Maul, quant à lui pertinent et justifié, était aussi trop long. Cela a alourdi la soirée, a desservi la concentration et l’émotion musicale, a relégué dans un cafouillage secondaire la remise de la médaille (un portrait de J S Bach en porcelaine de Meißen), les discours et remerciements attenants, alors que cela aurait dû être le moment le plus solennel de la soirée. La longue ovation, empreinte d’émotion à l’attention des Thomaner a rééquilibré la dignité de cette soirée.
Jean-Marc Warszawski
17 juin 2023
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