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15 juin 2019 —— Jean-Marc Warszawski.

Leipzig : c’est parti pour dix jours de fête à Bach

Leipzig Thomanerchor, Thomaskirche, 14 juin 2019. Photographie © Jens Schlueter.

La Bachfest de Leipzig fête bien entendu Johann Sebastian Bach, qui fut Kantor de la Thomaskirche et directeur musical de la ville, au sommet de son art, mais aussi la vingtième session organisée par la Bach Archive.

Bach-Leipzig : une rencontre donnant donnant : une ville en pleine expansion, grand lieu d’industrie, de commerce et de foires, qui a les moyens de son apparat artistique, et un musicien hors du commun à la hauteur des exigences communales.

Alors qu’à quelques kilomètres, à Halle, les Händel Festpiele s’achèvent (ici, personne n’a rien demandé à personne, Händel y est né), on peut à Leipzig rallonger le plaisir mélomane d’une dizaine de jours.

Cette fête est une grande machine mobilisant les lieux et l'histoire de la ville, marqués par Clara et Robert Schumann et  Felix Mendelssohn qui y a créé le premier conservatoire de musique germanique, a dirigé la célèbre Gewandhaus, lui et sa sœur Fanny ont les premiers remis Bach dans les bacs. Un portail de la Thomaskirche porte aujourd'hui le nom de Félix Mendelsson, Johann Sebastian Bach lui doit bien cela. Leipzig est également l’industrie du piano toujours représentée, depuis 1853, de génération en génération, par la famille Blüthner.

Une quarantaine de lieux sont investis pour cent-soixante concerts et animations en tous genres, vingt-cinq ensembles vocaux avec leurs mille cinq cents choristes, trente-quatre orchestres, près de mille musiciens…

Cette année, la programmation musicale met l’accent sur les œuvres de cour (profanes) de Johann Sebastien Bach. Avant de se fixer à Leipzig, il a été au service d’aristocrates, et à Leipzig même il composa les musiques événementielles pour la municipalité ou l’université.

Pour le concert d’ouverture, la Thomaskirche est comble, il y fait rapidement aussi chaud qu’à l’extérieur. Les plus jeunes garçons du chœur (Thomanerchor) ont tombé leur vareuse de marin. Comme il est ici de tradition, chœur et orchestre sont sur la tribune, au pied du grand orgue, devant eux, tout au fond dans le chœur, Johann Sebastian Bach repose depuis sa grande fugue d'il y a deux-cent-soixante-neuf ans, l’oreille certainement toujours aussi aiguisée.

Aucune musique des autres nations, comme on le disait,  ne lui était étrangère. Les autres nations étaient l’Italie et la France qui inspire ce programme d’ouverture, avec une fantaisie pour orgue (BWV 572, en sol majeur), datant de son séjour à Weimar. Ulrich Böhme, l’organiste de la Thomaskirche utilise l’orgue de chœur (latéral), dit orgue de Bach, dans des registres ronds. Une pièce commençant par une mélodie, un contrepoint à une voix comme souvent chez le compositeur, qui enfle et s’étoffe joyeusement, solennellement, se brise sur un accord dissonant avant une troisième partie, comme une longue cadence instable cherchant enfin, à bout de chromtismes, le repos sur la tonalité d’envoi.

Personnellement je me serais passé des discours du maire de Leipzig, Burkhard Jung et d’Emil Hurezeanu, ambassadeur de Roumanie, un des parrains du festival, qui n’ont pas grand-chose à nous apprendre sur Bach et sa musique, dont la prose brise la poésie du concert…  et qui sont bien trop longs. Quant à Michael Maul, intendant de la fête, troisième orateur, il a le mérite de ne pas confondre cosmopolitisme avec culture européenne, et sait de quoi il parle.

Le Te Deum de Marc-Antoine Charpentier : tout le monde, d'un certain âge, connaît la première sonnerie pour avoir été l’indicatif de l’Eurovision.

Marc Antoine Charpentier, Te Deum (extrait), Thomaskirche Leipzig, 14 juin 2019.

Le Freiburger Barockorchester est placé sous la direction du 17e maître de chapelle après Bach, Gotthold Schwarz, nommé depuis peu après la maladie de son prédécesseur Georg Christoph Biller. Il a des côtés bonhommes, mais sa direction est nerveuse en anguleuse. On est ici dans la pureté musicale, dans une émotion qui double celle liée au lieu. Proche et à hauteur de tribune, on ne peut voir le chœur. On imagine qu’on y a installé des chaises, que des auditeurs sont assis proches de la tombe de Bach. L’émotion du temps qui passe, de la solidité collective, on peut dire communion, et du si pas grand-chose que nous sommes individuellement. En fait nous passons le temps à bâtir, ici avec quelle beauté, le temps collectif et à préparer notre mort individuelle. Les nouveaux lieux de musique, leur perfection technique et technologique, l’acoustique du futur, sont des choses magnifiques, mais n’ont aucune charge humaine historique, n’en auront jamais, sinon architecturalement.

Le quatuor vocal est également parfait : Tobias Berndt (basse), Patrick Grahl (ténor), qui porté par une partition sur mesure se distingue particulièrement,  Cornelia Samuelis et Gesine Adler (sopranos), Elvire Bill (alto).

Encore une belle pièce connue et de toute beauté, avec la troisième suite en majeur (BWV 1068) et son célèbre « air sur la corde de sol ». On est dans la pureté musicale, on l’a déjà dit.

Pour conclure une belle cantate entre deux mondes, Unser Mund sei voll Lachens, Que notre bouche s’emplisse de joie (BWV 110), composée à Weimar et retravaillée à Leipzig, entre profane et liturgique. Un grand moment, où chauffés par la chaleur atmosphérique, la chaleur musicale, ou la nature de la composition, les solistes s’imprègnent d'expression théâtrale, surtout dans les derniers numéros, entre lamentation et duo amoureux, avant un court, mais fracassant Alleluia, qui emporte tout.

À l’applaudimètre, ce sont les enfants et les adolescents du Thomanerchor qui emportent les suffrages.

SavalJordi Saval, Nikolaikirche, Leipzig, 14 juin 2019. Photographie © musicologie.org.

Une église après l’autre,  cette fois la Nikolaikirche, ou Johann Sebastien Bach a également fait des siennes.  Sur le chemin on regrette de ne pas pouvoir s'arrêter devant la grande scène dressée sur la place du marché (encore un lieu dont les pierres ont une longue histoire des gens).

Le Concert des nations, le célèbre ensemble de Jordi Saval, qui rassemble un haut de panier d’instrumentistes, présente, avec l’Offrande musicale, un programme aussi attractif que difficile, on peut même dire casse-gueule, tant il s’agit d’un monument musical et d’une pièce, ou ensemble de pièces, qui demande une attention soutenue dans la durée. On a d’ailleurs longtemps considéré l’Offrande musicale comme une œuvre didactique austère.

On en connaît l’histoire : Johann Sebastien Bach rend visite à son fils, au service du roi à Postdam. Friedrich ii le flûtiste propose un thème un peu foutraque, modulant et chromatique, demande à Bach père d’improviser une fugue, à deux, trois, quatre… Rentré à Leipzig, Bach reprend ce sujet dans le projet d’en tirer toute la sauce contraponctique dont il est capable, il est capable de beaucoup, et offre le résultat au roi. On a tiré bien des lunes sur ce geste, de la politique à l’arrogance. Bref. Malgré des quintes de toux et des violes agressées par la chaleur humide, demandant de fréquents accordages, l’ensemble se montre à la hauteur de sa réputation, avec un moment de grande musique qui aurait pu être une purge.

Pour se détendre et revenir au côté festif, car c’est la fête à Bach, l’ensemble nous offre dans ses grandes largeurs et virtuosité (Marc Hantaï à la flûte), la suite en si, suite de danses, dont les airs sont plus beaux et plus chantants les uns que les autres, même si on ne retient en général que la badinerie finale, de la meilleure veine dans ce que le compositeur est capable d’offrir en mélodie accompagnée, même s’il ne lui est pas possible d’abandonner le contrepoint. En fait, cet accompagnement n’a pas la servilité à la mélodie qui s’impose depuis le début du xviie siècle, même quand les voix de l’harmonie chantent (un chant de louange à la mélodie). L’accompagnement est dans l’esprit de la polyphonie, la liberté des destins individuels qui tournent autour de la mélodie, la suivent à l’unisson, lui répondent, la répète, la lâche en chemin, des instants de vie, des rencontres non concertées, n’indiquant pas une direction, une histoire, ces sont des destinés. Après la mise au pas de l’harmonie au service exclusif de la mélodie, la liberté reviendra avec la musique concertante, mais c’est alors une collectivité organisée qui a un but, ce ne sont plus des destins qui se croisent selon les voies insondables du Seigneur ou du Grand architecte, mais d'une collectivité prenant en mains son histoire.

Pour remercier l’enthousiasme du public, l’ensemble encore plus festif, offre la Bourrée d’Avignonez (en l’honneur de la naissance du futur Louis XIII).

 

 

Le site du festival

 

 Jean-Marc Warszawski
15 juin 2019

 

 

 

 

 

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Samedi 22 Juin, 2019 22:33