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20 juin 2019 —— Jean-Marc Warszawski.

La passion selon Stölzel à la Bachfest de Leipzig 2019

Hermann Max dirige Ein Lämmlein geht und trägt die Schuld de Gottfried Heinrich Stölzel, Thomaskirche Leipzig, 15 juin 2019. Photographie © D.R.

Second jour de la fête à Bach de Leipzig et 22e (!) manifestation, avec le récit de la Passion mis en musique (et en texte) par Gottfried Heinrich Stölzel : Ein Lämmlein geht und trägt die Schuld (Un agneau passe et porte la faute).

La Thomaskirche est bien moins bondée qu’hier soir pour le concert d’ouverture de la Bachfest 2019. C’est moins événementiel, un compositeur aujourd’hui peu connu, un prix des places tout de même élevé, un nombre de concert et d’activités plus alléchantes les unes que les autres... Questions.

Ce compositeur, pratiquement exact contemporain de Johann Sebastian Bach, est né près de Schwarzenberg à la frontière actuelle de la Tchéquie. Il étudie la musique avec son père, puis avec l’organiste de la cour de Halle, Moritz Edelmann. En 1707, il intègre l’université de Leipzig, mais sèche les cours auxquels il préfère l’Opéra et le Collegium musicum, l’orchestre des étudiants fondé par Telemann, dirigé à cette époque par Melchior Hofmann. Il s’y rend utile, compose ses premières œuvres. En 1710, il enseigne la musique à la noblesse de Breslau (Wrocław), puis est de nouveau actif en Saxe, aux cours de Gera et de Zeitz. En 1713, il se rend en Italie, à Venise, Florence, Rome, y rencontre ses collègues renommés, dont Antonio Vivaldi et Domenico Scarlatti. Il séjourne ensuite trois années à Prague, passe par Bayreuth, il est maître de chapelle à la cour de Gera, puis en 1720 trouve chaussure à son pied à la cour de Gotha, où pendant trente années, il compose pour l’église, l’opéra, la cour.  Bach se fixe à Leipzig quatre ans plus tard.  Stölzel a la particularité d'arranger les textes de ses cantates, gagne une solide réputation de compositeur et de théoricien. En 1739, il est coopté par Lorenz Christoph Mizler dans sa société savante musicale, Societät der Musikalischen Wissenschaften, la même année que Telemann. Bach y entrera en 1747, Mizler tenait la musique de Stölzer en plus haute estime que celle de Bach.

Heinrich Stölzel a composé un nombre considérable d’œuvres dont la plus grande partie est perdue.

Cette Passion, créée le 29 mars 1720 au château de Friedenstein à Gotha, a été jouée dans diverses églises. Jean-Sebastian Bach l’a dirigée le Vendredi-Saint du 23 avril 1734, il a également retravaillé l’un des arias (no 39) pour son propre aria BWV 200. Cette œuvre a été enregistrée pour la première fois par le Purcell Koor et l’Orfeo Orkest, sous la direction de Gyôrgy Vashegyi (glossa 2019), mais avec seulement 40 numéros sur les 63 présentés ce soir (à peine une heure sur pratiquement deux heures de musique, mais la numérotation peut varier).

Ce soir, ce récit de la Passion est défendu par les 15 choristes de la Rheinische Kantorei et les instrumentistes du Kleine Konzerte, sous la direction de Hermann Max, honoré de la médaille Bach de Leipzig en 2008, remise cette année à Klaus Mertens. Les solistes sont  Veronika Winter (soprano), Fraz Vitzthum (alto), Markus Brutscher (ténor), Martin Schicketanz (basse), tous excellents, mais comme souvent dans ce genre de musique, la partition met le ténor particulièrement en valeur.

La musique de Stölzer est fort différente de celle de Bach. Paradoxalement, si elle nous apparaît aujourd’hui plus austère, voire archaïque, elle était à son époque le modernisme en devenir, alors que Bach portait au sommet un art duquel ses collègues se détournaient. La musique de Stölzer est plus concise, suit la nouvelle mode italienne de la mélodie accompagnée, d’une harmonie verticale disciplinée, débarrassée des témoignages modaux encore présents chez Bach, et du « brouillage » polyphonique. Les temps sont à la mise en ordre, au despotisme absolu, éclairé ou pas éclairé, aux lignes droites et symétries parfaites. Les princes dirigent le monde, et les destins ne sont plus le fait des voies insondables du grand architecte, que la polyphonie mettait si bien en scène. La musique italienne colonise les chapelles princières et religieuses.

Ein Lämmlein geht und trägt die Schuld est constitué de 63 numéros courts, où se succèdent pratiquement sans varier, récitatif, aria, choral.

La narration de la Mise en croix, par l’Évangéliste (ténor) et l’Âme croyante, chantée successivement à chaque nouveau récitatif, par l’alto, la basse, la soprano, le ténor. L’aria, à la première personne qui fait état des interrogations et des souffrances du Christ, qui change aussi de soliste à chaque réitération. Le chœur qui incarne l’Église chrétienne, s’adresse au Christ en le tutoyant. Un mouvement quasi immuable.

Comme à l’opéra : le récitatif fait avancer l’action, l’aria exprime les sentiments des personnages, le chœur commente et interpelle (aurait-il été à l’époque chanté par les fidèles ? Peu probable). Sauf qu’ici, la décence religieuse est strictement respectée, alors qu’il sera parfois reproché à Bach son exubérance théâtrale.

C’est une œuvre qu’il faut oser programmer. Au risque de provoquer rapidement la lassitude, par son flux régulier et répétitif, elle ne souffre aucune médiocrité d’interprétation. Tout repose sur la beauté des mélodies, l’élégance des récitatifs, l’extrême concision des chœurs parfaitement taillés et une certaine préciosité instrumentale. Il y a du minimalisme et un travail d’une grande délicatesse, de pureté, de détail. Bien sûr le texte qu’il faut suivre, ce que fait une grande partie du public concentré.

Tout était au rendez-vous, il se peut que cette Passion devienne un cheval de bataille pour interprètes superlatifs comme c’était le cas ce soir.

Gottfried Heinrich Stölzel, Ein Lämmlein geht und trägt die Schuld, 61, choral : Jesu, wahrer Mensch und Gott, 62. Recitatf (ténor, soprano) : Der Fromme Joseph so dem Herren zugetan, 63. Choral : O Jesu Du.

 

 Jean-Marc Warszawski
20 juin 2019

 

 

 

 

 

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Jeudi 20 Juin, 2019 19:46