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28 décembre 2024 — Frédéric Léolla

Sexe et opéra (x.) : hors mariage

Manon Lescaut. Théâtre contemporain illustré ; 118e et 119e livraisons (1851 ?).

Toute société, pour assurer son bon fonctionnement, cherche à se structurer de façon interne en se donnant des règles de vie. Une de ces règles de vie — et pas la moindre — est le mariage, c’est-à-dire, l’ensemble de normes appliquées au couple qui décide de vivre ensemble, de coucher ensemble, et éventuellement de faire naître et d’élever des enfants, c’est-à-dire de futurs membres de la communauté. Le mariage est le cadre réglementaire à partir duquel se développe cette structure sociale basique que l’on appelle famille.

Donc, traditionnellement tout rapport sexuel qui a lieu en dehors du cadre de la famille ou du mariage, est un rapport qui défie la loi sociale. Et donc un rapport mal vu. Les conséquences de braver cet interdit social, plus ou moins explicité, selon les ensembles légaux, ne peuvent pas être positives. Les éventuels fruits de ces rapports risquent de ne pas être protégés par le tissu social, et les personnes impliquées dans le rapport risquent de recevoir la condamnation de tout leur entourage sans exceptions.

Cela étant, si nous affirmons en outre que la société occidentale — et pas que, d’ailleurs — est de tradition patriarcale, ce n’est pas un scoop. Cela veut dire, entre autres, que le mâle est favorisé par rapport à la femelle, et que seules les relations de mâle dominant sur femelle dominée sont regardées d’un bon œil. De ce fait, le regard sur l’individu qui enfreint la règle sociale imposant le mariage comme cadre des rapports sexuels est plutôt doux lorsque l’individu est de sexe masculin et que la relation est hétérosexuelle. Alors qu’il peut être féroce pour la femme qui est dans le même cas.

Le répertoire opératique, en tant que miroir de la société, reflète ces interdits, ces différentes façons de traiter les fauteurs, selon que ce soit une femme ou un homme. Mais il reflète aussi l’adoucissement du regard social au fil du temps, depuis le tabou qui un temps pesait sur ce sujet, jusqu’à la relative indifférence actuelle, en passant par la simple condamnation ou par l’apitoiement.

Ainsi, si pour le personnage du baron Ochs von Lechernau (Le chevalier à la rose de Strauss/Hoffmannsthal), la référence aux bâtards qu’il a eus de relations diverses et variées n’est qu’une touche de couleur, dans Arabella des mêmes auteurs, la question de si Arabella, avant son mariage avec Mandrika, a eu ou non des relations avec quelqu’un d’autre devient une question essentielle.

Et encore Arabella s’en sort relativement bien. L’opprobre qui tombe sur la femme (je dis bien la femme et non l’homme) qui a eu des relations sexuelles hors mariage est le moteur de plusieurs opéras, que cet opprobre soit inconnu de tous, mais intériorisé par le biais de la religion (Cavalleria Rusticana de Mascagni/Targioni-Tozzetti et Menasci d’après Verga), qu’il ait été connu seulement dans le cercle familial (Suor Angelica de Puccini/Forzano), ou encore pire, que cela soit connu de toute la société (Die Soldaten de Zimmermann d’après Lenz).

Les revendications de mariage de la femme, exigeant une « réparation » lorsque les rapports avaient été précédés de promesse de mariage, sont aussi un grand classique du répertoire : Donna Elvira (Don Giovanni de Mozart/Da Ponte), Leonora (Oberto de Verdi/Solera) ou Léonor (La favorite de Donizetti/Royer, Vaëz et Scribe) peuvent en témoigner — notons à ce propos que le personnage, tragi-comique dans l’opéra de Mozart, devient carrément tragique soixante ans après dans les opéras romantiques, signe d’une involution certaine dans les mœurs.

Ce n’est que vers la fin du xixe et début du xxe siècle que nous assisterons à une série d’opéras qui touchent de loin ou de près au sujet et où l’on sent le regard tolérant des auteurs — et de la société qui accorde du succès à leurs œuvres. C’est le cas de Louise (Charpentier), de Fedora (Giordano/Colautti d’après Sardou), ou même avant de Manon (Massenet/Meilhac74 et Gille)… Puis on passera parfois à des œuvres où les relations hétérosexuelles sans mariage sont évoquées sans que cela fasse le moindre remous dans le livret ni dans la musique, même si ce sera souvent le fait d’artistes et de marginaux (La bohème de Puccini/Illica et Giacosa, Agua azucarillos y aguardiente de Chueca et Valverde/Ramos Carrión,…).

Notons finalement que, lorsque les « fruits » de ces relations, c’est-à-dire les enfants nés hors mariage, sont évoqués, cela tient souvent lieu d’appel à l’injustice qui pèse sur l’enfant, le petit « bâtard » qui, sans rien avoir fait ni demandé, recevra le mépris de la société. Ce sera le cas d’un opéra comme Wozzeck (Berg/Büchner) avec sa simple et terrible scène finale, ou de la zarzuela La Dolorosa (Serrano/Lorente), déjà au xxe siècle.

X. 1. Norma (opéra de Bellini/Romani)

X. 2. La juive (opéra de Halévy/Scribe)

X. 3. La Fille du régiment, (opéra-comique de Donizetti/Vernoy de Saint-X. Georges et Bayard)

X. 4. Manon Lescaut (opéra de Puccini/Giacosa, Illica, Leoncavallo, Oliva, Praga, Puccini et Ricordi)

X. 5. Faust (opéra de Gounod/Barbier et Carré)

X. 6. Carmen (opéra-comique de Bizet/Meilhac et Halévy)

X. 7. Les Contes d'Hoffmann (opéra-comique de Offenbach/Barbier)

X. 8. Cavalleria rusticana (opéra de Mascagni/Targioni-Tozzetti et Menasci)

X. 9. La Bohême (opéra de Puccini/Illica et Giacosa)

X. 10. L'Arlesiana (opéra de Cilea/Marenco)

X. 11. Tosca (opéra de Puccini/Illica et Giacosa)

X. 12. La Fanciulla del west (opéra de Puccini/Civinini et Zangarini)

X. 13. La Dolorosa (zarzuela de Serrano/Lorente)

X. 14. The Turn of the screw (opéra de Britten/Piper).

plume_04 frédéric léolla
28 décembre 2024

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mercredi 25 décembre, 2024 22:26