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31 décembre 2024 — Frédéric Léolla.

Hors mariage

Sexe et opéra (X. 2) : La Juive

Jacques Fromental Halévy; La juive, esquisse du décor de l'acte II, par Émile Daran, 1872.Jacques Fromental Halévy; La juive, esquisse du décor de l'acte II, par Émile Daran, 1872.

Musique de Jacques Fromental Halévy, sur un livret d'Eugène Scribe, créée en 1865, Paris, Opéra.

Dans la ville de Constance en 1414, le juif Eléazar et sa fille Rachel sont passablement harcelés par les chrétiens. Rachel a un amant secret, Leopold. Quand celui-ci lui révèle qu’il n’est pas juif, Rachel est prête à fuir avec lui quand même, mais son père les surprend. Après la surprise et la colère initiales, Eléazar propose à Léopold de se convertir pour se marier avec Rachel, mais Léopold refuse, au grand désespoir du père et de la fille. Ce n’est qu’au troisième acte que Rachel réalisera que Léopold est un grand seigneur, époux de la princesse Eudoxie. Le sexe étant interdit entre juifs et chrétiens, Rachel, par dépit, révèle qu’elle a connu charnellement Léopold et que donc celui-ci, Rachel et Eléazar sont passibles de la peine de mort. Il s’ensuivra des « négociations » pour éviter que Léopold ne meure. Rachel se montrera « sublime », en s’accusant de calomnie pour sauver son ex-amant, mais sans renoncer à sa foi juive. Ainsi, seuls Rachel et Eleazar monteront sur le bûcher, et seulement quand il est trop tard pour les sauver, le père révélera que Rachel était née chrétienne, fille du cardinal de Brogni qui les a envoyés à la mort.

Jacques Fromental Halévy, La juive, esquisse des costumes par Eugène Du Faget, 1835, Endoxie (Madame Dorn-Gras), Le Cardinal (Levasseur); Léopold (Lafont).

Dans La juive, en effet, les relations extra-maritales entre un chrétien et une juive sont l’enjeu central. Et ces relations sont évoquées surtout au deuxième acte, avec le superbe air de Rachel « Il va venir ». Air qui laisse imaginer la palette de sensations contradictoires que devaient sentir les filles rangées qui maintenaient des relations hors du mariage. En effet la traduction musicale est à la fois intense, emplie de secret, à la fois pleine d’espoir, de plaisir et d’effroi — parce que ça devait être bien un mélange de plaisir et d’effroi que ressentaient (ressentent encore dans certaines familles ?) les filles qui attendaient leurs amants respectifs.

Jacques Fromental Halévy, La juive, acte II, romance « Il va venir », Julia Varady, Philharmonia Orchestra, sous la direcrtion d'Antonio de Almeida.

Cet air fait place à la fureur, au sentiment de trahison de la fille (« Lorsqu’à toi je me suis donnée ») lorsque, son amant arrivé, il avoue qu’il est chrétien. Puis, dans la stretta du duo entre les amants, décidés à partir quelles qu’en soient les conséquences, la colère de la fille sera remplacée par un allegro des deux amants qui donne bien à entendre le sentiment irresponsable, de fuite en avant, que connaissent tous ceux qui se sont laissés aller au moins une fois à une impulsion parfaitement irraisonnable, mais profondément instinctive.

La scène connaîtra un nouveau rebondissement avec l’arrivée du père, sa colère, puis son essai pour se calmer et trouver une issue raisonnable à la situation. Mais l’acte finira avec la terrible malédiction du père en apprenant l’irréparabilité de la chose puisque l’amant ne pourra jamais épouser la jeune femme.

Jacques Fromental Halévy, La juive, Stadttheater Bielefeld, 1989, Éléazar (James O'Neil), le Cardinal de Brogni (Gidon Saks), mise en scène de John Dew, décor et costules de Gottfired Pilz, direction pusicale de Rainer Koch. Jacques Fromental Halévy, La juive, Stadttheater Bielefeld, 1989, Éléazar (James O'Neil), le Cardinal de Brogni (Gidon Saks), mise en scène de John Dew, décor et costules de Gottfired Pilz, direction pusicale de Rainer Koch.

Air puis duo puis trio d’une rare intensité dramatique qui n’ont rien à envier aux pages les plus admirables du répertoire, de Norma (Bellini/Romani) à Rigoletto (Verdi/Piave) en passant par Tannhäuser (Wagner). Il est incompréhensible que les Français ne sachent pas défendre avec plus de conviction une œuvre et un compositeur qui de droit pourraient figurer parmi les plus grands. Mais bon, c’est aussi bien le cas de Louis Félicien David ou de Spontini, n’est-ce pas ?

Jacques Fromental Halévy, La juive, scène finale, Aleksandra Kurzak (Rachel), Roberto Alagna (Éléazar),Vera-Lotte Böcker (Eudoxie), Ain Anger (Le Cardinal Brogni), Johannes Kammler (Ruggiero), Tareq Nazmi (Albert), Christian Rieger (Herald), Chor der Bayerischen Staatsoper Bayerisches Staatsorchester, sous la direction de Bertrand de Billy, 26 juin 2016.

 

Voir aussi inter-religion.

plume_04 Frédéric Léolla
31 décembre 2024

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