5 janvier 2025 — Frédéric Léolla
Histoire de Manon Lescaut et du chevalier des Grieux par l'abbé Prévost, illustré par Tony Johannot, Ernest Boudin, Paris, 1839, NP, entre p.160-161.
Musique de Daniel-François-Esprit Aubert, sur un livret de Eugène Scribe d’après L’Histoire du chevalier Des Grieux et de Manon Lescaut de l’abbé Prévost, créée en 1856, Paris, Opéra-Comique.
Manon, une femme entretenue ? Une courtisane ? Ah non, messieurs-dames, vous faites erreur, pas dans la Manon Lescaut de Daniel-François-Esprit Auber et Eugène Scribe. Nous sommes à l’Opéra-Comique, voyons ! Oui, oui c’est vrai, le marquis a envie de l’enlever (carrément) au tout début du 1er acte. Puis au 2e il la tente pour qu’elle quitte Des Grieux et qu’elle parte avec lui qui est riche. Il lui fait des avances, des propositions. C’est vrai, Manon hésite un peu, mais elle reste toujours fidèle à son Des Grieux.
Quelle est donc sa faute ? C’est la paresse. Un exemple : elle ne sait pas coudre. Scandaleux, n’est-ce pas ? — Oh, c’est une cigale, son amie Marguerite est une fourmi.
Par contre Manon est charmante. Et piquante. Toujours de bonne humeur. Sa Bourbonnaise — l’air des éclats de rire — l’atteste.
Ah oui, elle est aussi trop confiante. Elle laisse sa bourse avec tout l’argent du ménage, comme ça, sans plus, à son cousin Lescaut. Ah ces filles, quelles têtes de linotte !
Daniel-François-Esprit Aubert, Manon Lescaut, acte I, « C'est l'histoire amoureuse », Élisabeth Vidal, Paris, Opéra-Comique, sous la ditrection de Patrik Founillier, Paris 1990.Marie Cabel dans le rôle de Manon (création), lithographie d'Alexandre Lacauchie, d'après A. Godard, 1856.
Mais, si je dois être sincère, le vrai défaut, le vrai problème de Manon c’est qu’elle… « vit en couple ». Avec un homme. Sans qu’ils soient mariés.
… Alors, c’est un peu normal qu’elle soit déportée et qu’elle meure à la fin, n’est-ce pas ?
C’est normal que le charmant marquis d’Hérigny (ses airs sont tout à fait délicieux, pas l’ombre d’un soupçon de méchanceté, rien à voir avec ce monstre de Scarpia [Tosca de Puccini/Illica et Giacosa] ni cet odieux Géronte de la Manon Lescaut de Puccini/Illica, Giacosa, Leoncavallo, Praga, Oliva et Ricordi), il est normal qu’il veuille enlever Manon, puis qu’il fasse toutes les manigances pour la forcer à tomber dans ses bras. Si ça ne dépendait que de la musique, on serait presque désolé pour lui à chaque fois que ça rate. D’autant plus que Des Grieux nous semble, pendant les deux premiers actes, un jouvenceau assez insipide et mal dépucelé.
Du coup, la sensualité c’est le marquis qui la prend musicalement en charge. Manon le piquant. L’un et l’autre dans les limites du convenable, bien entendu.
On est loin du roman plutôt sulfureux de Prévost, mais l’œuvre est charmante quand même, avec un quatrième acte qui est un des sommets dans l’œuvre d’Auber.
Frédéric Léolla
5 janvier 2025
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