13 janvier 2025 — Frédéric Léolla
Avec c' t' eau dont tu te méfies, c' t' eau, Méphisto, t'auras toutes les jeunesses que tu voudras et tu chant'ras à l'Opéra sans que Goethe te reconnaisse. Le journal amusant, no 319, 5 août 1905, page 16.
Musique de Charles Gounod, sur un livret de Jules Barbier et Michel Carré, d’après Faust de Johann Wolfgang von Goethe, créé en 1859, Paris, Théâtre Lyrique.
Faust, vieux docteur transformé en beau jeune fringant grâce à un pacte avec le diable Méphistophélès, tombe amoureux de la jeune et belle Marguerite qu’il séduit avec l’aide du diable. Tombée dans le péché et le remords, sa réputation « salie », elle sera maudite par son frère, puis condamnée à mort pour l’assassinat de sa mère et de son fils naturel né de ses amours avec Faust. Celui-ci, avec l’aide du diable, tentera de la faire sortir de prison, mais en renonçant à s’évader, Marguerite gagne son « salut » qu’un chœur d’anges vient confirmer.
Du chef-d’œuvre de Goethe, on ne retient que l’histoire sentimentale, plus ou moins adaptée aux goûts et aux conventions sociales du Second Empire. Ainsi, la réflexion de Goethe sur le Bien et le Mal est réduite à une péripétie moralisatrice sur le sexe avant le mariage que l’on pourrait résumer ainsi.
Question : qu’est-ce que le Mal ?
Réponse : coucher sans être mariés.
Certes, la banalisation était sans doute inévitable pour passer de la parole imprimée à la parole chantée, mais peut-être pas à ce point.
Caroline Carvalho dans le rôle de Marguerite du Faust de Gounod. Gravure à charge d'Émile Durandeau, 1860.
Ni les librettistes ni Gounod n’ont la moindre distance par rapport au « péché du sexe ». Et le sexe, il y en a, on ne parle que de ça. C’est le diable qui inspire le sexe (superbe invocation de Méphistophélès et réprimande de celui-ci à Faust), Marguerite perd son salut en couchant (scène de l’église, malédiction de son frère Valentin) et si elle le récupère à la fin, c’est parce qu’elle expie son péché par la mort. Nous ne sommes pas loin de la très rétrograde philosophie de Wagner dans son très misogyne Parsifal et il est tentant de résumer les deux opéras avec la formule « femme = sexe = péché ».
Quoi qu’il en soit, Gounod se donne tout entier dans la musique, plonge avec passion dans le livret, sait se faire guilleret, tendre (acte I), sensuel (la scène du jardin est peut-être une des musiques les plus sensuelles du répertoire français, ouvrant la porte à Massenet, Ravel et tant d’autres — ce n’est peut-être pas du sexe qu’elle décrit, mais il y a bien là les « préliminaires », l’intention, le désir…), tragique et sombre (scène de l’église) et même banal (ballet du Broken) et radieux (trio et chœur final). Sans demi-mesures.
Le livret n’est qu’efficace — et efficacement réactionnaire, hélas —, la musique est un pas décisif dans l’opéra français.
Charles Gounod, Faust, trio et scène finale, Zuzana Markova, Florian Laconi, Nicolas Courjal, Choeurs des Opéras d'Avignon, de Montpellier, de Nice, orchestre National de Montpellier, sous la direction de Luciano Acocella.
Frédéric Léolla
13 janvier 2025
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