26 janvier 2025 — Frédéric Léolla
Scène de La Bohème de Giacomo Puccini, 1897.impression photomécanique, 1897.
Musique de Giacomo Puccini, sur un livret de Luigi Illica et Giuseppe Giacosa d’après Scènes de la vie de bohème d’Henry Murger, créée en 1896, Tutin, Teatro Regio.
Pauvres, mais joyeux, quatre amis artistes, Colline philosophe, Schaunard musicien, Marcello peintre et Rodolfo poète, habitent une mansarde parisienne. Marcello vivra une histoire d’amour par intermittence avec la coquette Musetta. Rodolfo vivra aussi une histoire d’amour passionnée avec Mimi, mais il la quitte pour des raisons matérielles. Mimi reviendra malade dans la mansarde parisienne des artistes pour y mourir au grand désespoir de ses amis et de celui qui n’a jamais cessé de l’aimer.
Voici un de premiers opéras à succès où le sexe entre les protagonistes (Rodolfo et Mimi) est accepté — la promesse de sexe à la fin du premier acte est assez claire (« e al ritorno ? – Curioso. »/« Et au retour ? — Tu es bien curieux »). De même pour Musetta et Marcello. Les deux personnages féminins à un moment donné se prostitueront — la référence est aussi assez claire dans le début du premier acte (voir le duo de Rodolfo et Marcello « In un coupé ? »).
Giacomo Puccini, La Bohème, acte IV, « In un Coupé ?... O Mimi, tu più non torni », Jonas Kaufmann, Ludovic Tezier, Orchestre de l'Accademia di Santa Cecilia Roma, sous la direction d'Antonio Pappano.Mais, justement, du fait de ne pas être considéré comme un interdit, le sexe ne joue pas non plus un rôle majeur dans la pièce. Le sexe fait partie de l’histoire d’amour — ou des deux histoires d’amour parallèles —, l’idée de mariage n’effleurant même pas la tête des protagonistes ni des librettistes ni des spectateurs, le mariage n’étant pas ici le sujet, mais simplement l’amour (et amour accepté dans sa totalité, avec sexe inclus). Ainsi on peut parler de sensualité, d’allusions piquantes à l’occasion, mais pas de sexe interdit qui jouerait de par son interdiction un rôle majeur ni dans l’histoire ni dans le développement musical. C’est un grand pas dans l’histoire de l’opéra. Et ce peu avant la Louise de Charpentier. C’est beaucoup. Mais c’est quand même cinquante ans après la première apparition en feuilleton des scènes originales écrites par Murger qu’un opéra en sera tiré (voire deux, car au même moment que Puccini, Leoncavallo écrira aussi un superbe opéra qui, hélas, n’est pas resté dans le répertoire…). Encore une fois, l’opéra a mis du temps à se faire l’écho de changements sociétaux déjà évoqués dans les milieux littéraires…
Giacomo Puccini, La Bohème, « Quando m'en vo' soletta », Anna Netrebko (soprano), Orchestre philharmonique de Saint-Pérersbourg, sous la direction de Yuri Temirkanov, 2003.La Bohème de Giacomo Puccini; Opéra-Comique, scènes diverses par Amato Gennaro (dessinateur). L'Illustration (Paris); 18 juin 1898.
Quant à la prostitution des deux héroïnes, Mimi et Musetta, le thème est abordé comme une conséquence de la misère. Sans plus. Cela ne provoque aucun rejet ni chez les protagonistes ni — on dirait — chez les spectateurs. Et ni Musetta ni Mimi n’en expriment le moindre remords. C’est aussi énorme. Certes, on n’aborde pas encore la pénibilité du métier — ça viendra avec la Lulu d’Alban Berg. Mais c’est déjà ça. Et puis, à la fin Mimi meurt, comme toutes les femmes qui avaient eu des relations illicites jusqu’ici. Mais Musetta, elle, encore plus « fautive » que Mimi selon les règles de la morale de l’époque (elle le reconnaît quelque part quand elle adresse sa prière à la vierge au quatrième acte) Musetta donc ne meurt pas. Elle se réconcilie même avec Marcello. C’est énorme, non ?
Giacomo Puccini, La Bohème, scène finale, Ji-Min Park (Rodolfo), Takesha Meshé Kizart (mimi), chœur et orchestre de l'Opéra de Sydney, sous la direction de Shao-Chia Lü. Frédéric Léolla
26 janvier 2025
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