Tout autant que le premier, ce second cahier, que Schubert composa en décembre 1827 en numérotant les quatre nouveaux morceaux de 5 à 8, en continuation du premier recueil, justifie le commentaire liminaire qui leur a été consacré plus haut. Et, devant une musique d’une si évidente beauté, on se dit que, décidément, même sur la fin, le musicien n’eut pas beaucoup de chance avec les éditeurs. En effet, alors que le premier recueil (ou plus exactement les impromptus nos 1 et 2) fut publié de son vivant, le second ne le fut qu’en 1838 ; Schubert avait pourtant tout fait pour placer ces quatre nouveaux morceaux, allant jusqu’à suggérer leur publication par morceaux séparés, mais on lui répondit que ces pièces étaient « trop difficiles pour des bagatelles »…
Admirable premier impromptu (allegro moderato en fa mineur) : c’est un des plus développés des huit, et le seul à se rapprocher de la forme sonate, avec toutefois beaucoup de liberté et de fantaisie dans sa conduite. Dans cette alternance d'épisodes contrastés où la richesse de l’invention le dispute à la subtilité de l’écriture pianistique, Schubert atteint une concentration expressive extraordinaire. « Comme si le musicien se penchait sur son passé », notait Schumann d’une de ces pages habitées d’un merveilleux lyrisme où, entre sourire et larmes, et dans un singulier mélange d’ardeur et de douceur, Schubert semble surtout exprimer la nostalgie d’un monde heureux.
D’une simplicité parfaite dans sa forme très classique de menuet lent avec trio, le deuxième (allegretto en la bémol majeur) a le charme très « romantique » d’un Lied mélancolique, mais c’est encore le trio qui en fait le vrai prix : « D’un caractère plus sombre et plus agité, avec ses triolets et ses syncopes fiévreuses, ses modulations rapides et ses enharmonies subtiles, [il] se développe en une progression d’une puissance inattendue. »46
Franz Schubert, Impromptus D 935 (opus 142), no 1, en fa mineur, allegro moderato, par Radu Lupu.Merveille absolue de fluidité et de séduction, le troisième Impromptu (andante à variations en si bémol majeur) demeure un des préférés du public. Le charme envoûtant de son thème, tiré du second entracte de Rosamunde, y est pour quelque chose, mais plus encore la suprême élégance et la magnifique inspiration qui se manifestent dans ses cinq variations. Idéalement contrastées, celles-ci gardent un caractère essentiellement « chorégraphique », la troisième, en mineur, étant la seule à manifester une certaine passion. La séduction qui s’en dégage n’en est pas pour autant superficielle, et on ne manquera pas de ressentir, au moment ultime du retour du thème, dans le registre grave du piano, une mélancolie éminemment schubertienne.
Avec le quatrième et dernier (allegro scherzando en fa mineur), c’est au contraire une folle explosion de liberté et de passion. On a là « un morceau extraordinairement sauvage et haut en couleurs, avec ses traits mordants, ses trilles et ses éclairs démoniaques, quintolets, sextolets, septolets, fouettés de syncopes, de sforzandos, s’enflammant jusqu’à la frénésie. »47 Un épisode central calme un moment cette furia, sans pouvoir empêcher le retour de la partie initiale dont la fougue renouvelée va conduire à une coda tempétueuse, terminant ce morceau saisissant par un trait foudroyant balayant le clavier de haut en bas.
Franz Schubert, Impromptus D 935 (opus 142), no 3, en si bémol majeur, andante, par Rudolf Serkin (1979).Michel Rusquet
31 mars 2020
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46. Harry Halbreich, dans Tranchefort François-René (dir.), « Guide de la musique de piano et de clavecin », Fayard, Paris 1998, p. 678.
47. Ibid., p. 679.
L'œuvre instrumentale de Franz Schubert ; la musique de piano : les sonates —— les pièces lyriques : Six Moments musicaux, D 780, opus 94, Allegretto en ut mineur, D 915, Quatre Impromptus, D 899, opus 90, Quatre Impromptus, D 935, opus 142, Trois Klavierstücke, D 946.
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