Michel Rusquet, Trois siècles de musique instrumentale : un parcours découverte.
Un peu comme des touristes trop pressés, lorsque nous parcourons le répertoire du xviiie siècle, nous avons un peu tendance à filer tout droit de Bach à Mozart, en ne faisant qu'une halte chez Haydn. Consciemment ou non, après l'absolu sommet que représente la musique de Bach, nous éprouvons le besoin de retrouver nos marques face aux divers courants musicaux à l'œuvre entre 1740 et 1780, et cette aspiration à un nouveau monde de perfection musicale ne sera vraiment satisfaite que lorsque Haydn et Mozart seront parvenus à opérer une synthèse magistrale de ces tendances nouvelles.
Il est vrai que cette période intermédiaire, à laquelle nous rattacherons toute une génération de musiciens nés pour la plupart entre 1700 et 1730, a été marquée par de nombreux tâtonnements : la tendance est certes à une simplification de l'écriture et à l'affirmation d'une primauté de la mélodie sur l'harmonie et le contrepoint, mais, au moins pour un temps, certains compositeurs demeureront attachés aux valeurs qu'on leur a enseignées, alors que d'autres — parfois les mêmes, d'ailleurs — s'aventureront sur des chemins nouveaux, s'abandonnant tantôt aux douceurs de l'esthétique galante, tantôt aux délices plus subjectifs de la sensibilité, voire aux accès de fièvre du Sturm und Drang, certains poussant même jusqu'à introduire ici ou là quelques accents préromantiques. D'où une impression d'éparpillement et d'inachèvement, alors même que, parallèlement à l'émergence de l'Esprit des Lumières, les vents poussent la musique à la conquête de nouveaux horizons. Un des grands mérites de Haydn et de Mozart a été de rejeter là-dedans « ce qui n'était que rebellion, éparpillement ou morbidité, ce qui tourbillonnait sans conduire nulle part, au profit de la fermeté et de la plasticité, d'une forme organique capable de démarrer mais aussi d'aboutir, cela sous le signe d'une subjectivité moins jaillissante peut-être, mais intégrée dans un tout harmonieux, et par là d'autant plus puissante et durable dans ses effets. Ce ne fut pas pour eux une simple lutte entre instinct et raison, mais l'accomplissement d'une aspiration profonde de l'époque. »1
On aurait cependant grand tort de sous-estimer cette période dont une des grandes richesses tient précisément à son extrême variété d'esprit et de style, entre les derniers feux du baroque et les prémices du classicisme, avec à la clé l'affirmation progressive de la « forme-sonate » et l'émergence de la symphonie pour orchestre à large effectif qui nous est devenue si familière. Autres évolutions marquantes de cette période charnière : l'apparition (vers 1760) du pianoforte qui, en attendant le piano moderne, va « mordre » sur le clavecin en suscitant une écriture largement nouvelle visant à tirer parti de son potentiel expressif ; et, par ailleurs, le développement de la pratique musicale amateur et, surtout, des concerts payants, des phénomènes liés à la montée d'une bourgeoisie désireuse de s'affirmer face aux puissances dominantes traditionnelles, et qui ne seront pas sans effet sur la création puisque, tout en y trouvant de nouveaux débouchés et, éventuellement, un espace de liberté supplémentaire, les compositeurs devront s'employer à répondre au mieux aux desiderata de ces nouveaux publics.
Avant-gardiste ou marquée encore par « la vieille école », on verra ci-après que la production de cette période, aussi inégale qu'abondante, recèle une appréciable quantité de petits et grands chefs-d'œuvre, justifiant qu'on y fasse de larges détours.
Notes
1. Vignal Marc, Les nouveaux courants musicaux entre 1750 et 1780, dans Jean et Brigitte Massin (dir), « Histoire de la musique occidentale », Fayard, Paris 2003, p. 583-584.
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Samedi 1 Juin, 2024