musicologie
Michel Rusquet, Trois siècles de musique instrumentale : un parcours découverte. III. Le temps de Bach : Allemagne[France - Italie - Autres nations]

Les Suites anglaises de Johann Sebastian Bach

Johann Sebastian Bach

« La découverte des suites de Dieupart et des concertos de Vivaldi a révélé à Bach des styles qu'il ignorait. Composées vraisemblablement à Weimar, les Suites anglaises (BWV 806 à 811) réussissent, pour la première fois dans un même cycle, la fusion entre le concerto italien, les danses françaises et italiennes et le contrepoint allemand. »52  Et la réussite est telle qu'on pourrait la traduire par une formule : le champion des « goûts réunis », c'est Bach !

L'appellation de ces six Suites, que le musicien finit de mettre en forme à Coethen, voire à Leipzig, continue d'intriguer tant ces œuvres s'apparentent à la suite française. Ce qui est sûr, c'est qu'elle n'a pas été le fait de Bach, celui-ci les désignant sous le titre de « suites avec préludes », ce qui au passage présentait l'avantage de les distinguer des Suites françaises. Alors, faut-il accorder foi à la mention « fait pour les Anglois » figurant sur un manuscrit d'un des fils de Bach, ou plutôt y voir une référence à Dieupart, ce Français de Londres, dont notre musicien avait recopié les suites ? Une hypothèse d'autant plus recevable que le compositeur y a puisé le sujet du prélude de la première de ses suites « anglaises ».

À l'évidence, « on ne découvre quasi aucun trait anglais dans les six suites. Bach s'y conforme à la tradition de la suite allemande qui, durant la seconde moitié du XVIIe siècle, avait importé de France quatre danses : l'allemande, la courante, la sarabande et la gigue ; intercalant entre la sarabande et la gigue des Galanterien facultatives (danses ou mouvements dansants différant du caractère des principales sections) et faisant précéder le tout d'une section d'introduction. »53

Cette section d'introduction, malgré son titre (aussi modeste que trompeur) de Prélude, occupe une place de premier plan qui en fait un moment fort dans chacune des six suites. C'est particulièrement vrai des suites no 2 en la mineur et no 3 en sol mineur, dont les préludes sont comme de magnifiques mouvements de concerto à l'italienne, mais aussi de la suite no 5 en mi mineur, avec son beau prélude de style fugué qui évoque l'orgue, et plus encore de la suite n° 6 en mineur, dont l'éblouissant prélude, le plus développé des six, se révèle aussi riche musicalement qu'éprouvant pour les doigts de l'interprète.

Autre moment d'élection dans ces suites : la sarabande. Ainsi de la suite no 1 en la majeur, avec sa « merveilleuse sarabande, dont on a comparé le thème à celui de la berceuse de l'Oratorio de Noël. »54 Et on pourrait les citer toutes, jusqu'à la puissante et magnifique sarabande de la Suite no 6. Mais on s'arrêtera tout spécialement sur celle de la suite n3 : « la plus belle sarabande des six, sublime, endolorie, passionnée et passionnante — avec de longues tenues […], de troublantes dissonances, des glissements enharmoniques, des effleurements de tonalités lointaines (labémol mineur !). Les agréments qui suivent sont plus expressifs encore, avec une gauche émancipée et parlante, qui évoque d'avance la manière de Chopin. »55

Bien évidemment, parmi les mouvements de danse qui se succèdent au sein de ces suites particulièrement développées, il en est beaucoup d'autres qui suscitent une vraie délectation, ne serait-ce que le plaisir de voir le compositeur accommoder à son goût les différents types de danses, y compris les Galanterien (bourrée, gavotte, menuet et passepied). Mais on ne peut s'empêcher de décerner une mention spéciale aux gigues finales où, cinq fois sur six, le contrepoint allemand reprend tous ses droits : à cet égard, celle de la suite no 4 en fa majeur, par sa bravoure et son exubérance, vient opportunément « sauver » une suite qui passe pour être la moins réussie du lot, alors que celle de la Suite no 6 conclut en apothéose la plus riche et la plus belle (sans doute avec les deuxième et troisième) de ces Suites anglaises.

Suite anglaise no 1 en la majeur (BWV 806), Sarabande, par Gustav Leonhardt.


Suite Anglaise no 2 en la mineur BWV 807, Prelude, Allemande, Courante, parIvo Pogorelich.


Suite Anglaise no 3 en sol mineur BWV 808, Prélude, Courante, Murray Perahia.


Suite Anglaise no 3 en sol mineur BWV 808, Prélude, Courante, Murray Perahia
Suite Anglaise no 3 en sol mineur BWV 808, Sarabande, Gustav Leonhardt.


Suite Anglaise no 4 en fa majeur BWV 809, Gigue, Glenn Gould.


Suite Anglaise no 5 en mi mineur BWV 810, Prélude.

Suite Anglaise n°6 en ré mineur BWV 811, Prélude, Angela Hewitt


Notes

52. Venturini Philippe, dans « Le Monde de la musique » (243), mai 2000.  

53.  Geiringer Karl, Bach et sa famille : sept générations de génies créateurs (traduction par Marguerite Buchet et Jacques Boitel). Buchet Chastel, Paris 1955, p. 305.

54.  Sacre Guy, La musique de piano. Robert Laffont, Paris 1998, p. 176. 

55. Ibid., p.178.

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Vendredi 26 Janvier, 2024