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Michel Rusquet, Trois siècles de musique instrumentale : un parcours découverteIII. Le temps de Bach ( Allemagne)[France - Italie - Autres nations] — Les œuvres pour clavier de Johann Sebastien Bach.

Les Variations Goldberg de Johann Sebastian Bach

Johann Sebastian Bach

Autre sommet incontesté dans l'immense production de Bach : ces Variations Goldberg (BWV 988) que le musicien publia au soir de sa vie, en 1742, en en faisant la quatrième et dernière partie de son Clavierübung.

Tant pis si la légende l'a emporté sur la vérité historique : on a longtemps soutenu que cette œuvre avait été composée à l'intention du comte von Keyserling, ancien ambassadeur de Russie auprès de la cour de Saxe. « Souffrant d'insomnies et ne trouvant de véritable apaisement que dans la musique, c'est pour combler le vide de ses nuits sans sommeil »69 qu'il aurait adressé cette commande à Bach, mission étant donnée à son protégé, un jeune claveciniste du nom de Goldberg, lui-même formé à l'école des Bach, de lui administrer quotidiennement cette œuvre à titre de cure neuro-musicale. Une petite part de vérité subsiste tout de même dans cette histoire, puisqu'on rapporte que Bach offrit au comte un exemplaire des Variations, que celui-ci fut enthousiasmé par cette musique et qu'il en récompensa le compositeur par une coupe en or.

C'est de là que ces variations « tirent le nom de Variations Goldberg sous lequel on les connaît aujourd'hui ; mais le titre exact donné par Bach est Aria avec quelques variations pour clavecin à deux claviers. On notera que Bach se montre exceptionnellement précis sur la nature de l'instrument qu'il entend utiliser pour l'exécution de cette œuvre. Certaines variations sont expressément écrites pour un clavecin à deux claviers ; pour les autres un clavier sera suffisant ; enfin, pour trois d'entre elles, l'interprète aura le choix entre un ou deux claviers. »70  Une précision qui a son importance : déjà l'œuvre est réputée pour ses exigences virtuoses, qui ne font que croître du début à la fin, mais lorsque, à la suite de Glenn Gould, les pianistes décident de se l‘approprier, ils se trouvent condamnés à de redoutables contorsions dans l'exécution de certaines variations à deux claviers.

« Recueil touffu, fantasque, d'une rare densité contrapuntique, les Variations Goldberg […] ne partent pas d'un point pour arriver à un autre, mais tournent autour d'un thème, une paisible aria en forme de sarabande tirée du second Clavierbüchlein que Bach composa pour sa femme Anna-Magdalena en 1725. Elles l'utilisent comme une passacaille, ce qui signifie que seule sa basse, traitée avec une souplesse rythmique suffisante pour répondre aux contingences harmoniques de structures contrapuntiques diverses, est reproduite dans les variations. Les altérations n'affaiblissent en aucune manière la force gravitationnelle que cette basse magistralement proportionnée exerce sur la profusion des figures mélodiques qui viennent l'orner. De variation en variation, plus que le développement d'une mélodie, c'est la construction et les progressions harmoniques d'une basse commune qui semblent intéresser Bach. Frappante est en effet l'autonomie des variations, leur rigueur, la désinvolture avec laquelle elles nient une quelconque parenté figurative avec l'aria. »71

Que dire de plus sur ces trente variations que Bach déclarait modestement avoir « composées à l'intention des amateurs pour le plaisir de leur esprit » ? Sans doute faut-il souligner leur formidable diversité, le musicien y réalisant « en quelque sorte, la synthèse des formes utilisées par lui dans ses pages antérieures (duos, inventions, gigues, fugues, toccatas, chorals ornés, danses, canons, ouverture à la française, etc.) »72, et ce, dans un cadre puissamment ordonné où un canon intervient toutes les trois variations. Tout autant, sinon plus, faut-il relever les espaces laissés à la sensibilité, au cantabile, à l'émotion ou à la méditation, comme les 13e, 15e, 21e et surtout 25e variations, les trois dernières citées étant du reste les seules variations du recueil dans le mode mineur. Et comment ne pas évoquer, après la débauche virtuose des 28e et 29e, cette ultime 30e variation qui vient nous rappeler un aspect trop peu connu de la personnalité de Bach ? Il « y combine en quodlibet deux airs populaires du temps, qui devaient réjouir ses familiers : Il y a si longtemps que je n'ai été auprès de toi et Les choux et les betteraves m'ont fait fuir ! — Après quoi, en façon de congé, on reprend l'aria d'Anna Magdalena […] ; ce n'est plus le même morceau, on s'en doute ; à chaque ligne on entrevoit, dans le filigrane, les fabuleuses métamorphoses auxquelles cette humble basse a donné lieu. »73

« Cette œuvre, en laquelle Glenn Gould ne voyait ni début ni fin, demeure un monument de la musique de clavier en général. Dans aucune autre de ses pages pour clavecin, Bach n'a sans doute atteint une telle intensité, et il faudra très certainement attendre les Variations Diabelli de Beethoven pour retrouver, dans le genre de la variation, un tel sommet. »74

Variations Goldberg, Aria et variations 1, 2 (à 1 clav.), 3 (à 1 Clav.), par Pierre Hantaï.
Variations Goldberg, Variations 10 (a 1 Clav. Fughetta), 11 (a 2 Clav.), 12 (Canone a la quarta), par Maria Tipo.
Variations Goldberg, Variations 19 (a 1 Clav.), 20 (a 2 clav.), 21 (Canone alla Settima), 22 (a 1 clav.), 23 (a 2 clav.), par Rosalyn Tureck.
Variations Goldberg, Variation 25 (a 2 Clav. Adagio), par Pierre Hantaï.
Notes

69. De Place Adélaïde, dans François-René Tranchefort (dir.), « Guide de la Musique de piano et de clavecin », Fayard, 1998, p. 43.

70. Ibid.  

71. Szersnovicz Patrick, dans « Le Monde de la musique » (228), janvier 1999.

72. De Place Adélaïde, op. cit., p. 43.

73. Sacre Guy, La musique de piano : Dictionnaire des compositeurs et les œuvres. « Bouqions », Robert Laffont, Paris 1999, p. 228.

74. De Place Adélaïde, op. cit., p. 43.


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