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Michel Rusquet, Trois siècles de musique instrumentale : Un parcours découverte. III. Le temps de Bach.

Les partitas pour clavier de Johann Sebastian Bach

Johann Sebastian Bach

Les six Partitas pour clavecin (BWV 825 à 830), qu'on a parfois appelées « Suites allemandes », constituent le troisième et dernier grand recueil où Bach pratique la suite pour clavier, et c'est celui où il atteint le sommet de son art.

« Publiées d'abord séparément à Leipzig entre 1726 et 1730, les six Partitas paraissent en 1731 comme Opus 1 de Bach. Ce recueil […] deviendra la première partie de la Clavierübung […]. La fonction pédagogique (« Übung » signifie « exercice » en allemand) en est manifeste, d'autant que le compositeur destine ce cahier à la récréation de l'esprit des amateurs […]. Amateurs très éclairés : cette musique, imprimée et donc publique, présente une grande difficulté d'exécution. Bach veut ainsi prouver que l'art du compositeur égale celui, déjà fameux, du virtuose. »60

Le musicien revient ici à la forme des Suites Anglaises. « Chaque Partita débute par un vaste morceau d'introduction qui diffère des autres par le nom qui le désigne (Praeludium, Sinfonia, Fantasia, Ouverture, Praeambulum, Toccata) et chacun a son caractère propre. La structure des autres mouvements (allemandes, courantes, sarabandes, menuets, gigues, rondeaux, etc.) est plus riche que dans les Suites anglaises et françaises. Ici la fusion des styles (français, italien, allemand, nord-allemand) et le renouvellement de la texture rythmique, si caractéristiques de la manière de la maturité de J.S. Bach, sont particulièrement manifestes. »61

Sinfonia, extrait de la Partita no 2 en ut mineur BWV 826, par Trevor Pinnock.

Dans son attitude vis-à-vis du schéma traditionnel de la suite, Bach apparaît désormais bien peu conformiste. Dans ses Partitas, certaines des Galanterien « ne sont pas des danses (le rondeau de la Partita no 2, ou les airs des Partitas no 4 et 6, par exemple), et le Tempo di gavotta de la Partita no 6 n'a pas vraiment le caractère d'une gavotte. On remarquera aussi que, contrairement à l'usage, la Partita no 2, en ut mineur, ne se termine pas par une gigue (absente de cette suite), mais par un capriccio. Enfin, Bach n'hésite pas à bousculer l'ordre habituel de la Suite… »62 Les sujets d'étonnement ne s'arrêtent pas là, car, tout au long des Partitas, le compositeur manifeste une liberté souveraine : la gigue finale de la première en est un exemple, avec son jeu de croisements de mains, scarlattien avant l'heure ; l'ébouriffant capriccio de la seconde en est un autre, avec ses passages syncopés qui suggèrent le jazz ; et on pourrait en citer bien d'autres, jusqu'à cette étonnante structure tripartite de la toccata qui ouvre la sixième. Et, au nombre des découvertes que nous réservent ces œuvres, il faudrait aller jusqu'à citer quelques signes annonciateurs de la forme sonate classique, comme on en a relevé dans les Sarabandes des quatrième et sixième Partitas.

Gigue de la Partita no 1 en sibémol majeur BWV 825, par Trevor Pinnock.
Capriccio de la Partita no 2 en ut mineur BWV 826, par Trevor Pinnock.
Toccata de la Partita no 6 en mi mineur BWV 830, par Scott Ross.

Au total, qu'elles déroulent leurs sortilèges à travers un dialogue limité à deux voix ou dans une écriture plus fournie, ces six Partitas font l'effet d'un véritable feu d'artifice musical, et portent à l'évidence la signature d'un génie parvenu au zénith de son art. Et on se doit de souligner que, si leur puissance est telle, c'est aussi qu'au-delà des délectations digitales et des prodiges d'écriture, elles renferment une belle variété de climats, avec de merveilleux moments d'expressivité et de sensibilité, comme l'allemande de la quatrième en majeur, les sarabandes des deuxième en ut mineur et cinquième en sol majeur, et plus encore celle — un vrai moment d'éternité — de la sixième en mi mineur.

Allemande de la Partita no 4 en majeur BWV 828, par Murray Perahia.
Sarabande de la Partita no 6 en mi mineur BWV 830, par Mikhail Pletnev.

Notes

60. VENTURINI PHILIPPE, dans « Le Monde de la musique » (243), mai 2000.

61. SZERSNOVICZ PATRICK, dans « Le Monde de la musique » (245), juillet/août 2000.

62. Adélaïde De Place, dans Fr. R. TRANCHEFORT (dir.), « Guide de la Musique de piano et de clavecin », Fayard, 1998, p. 56.

Michel Rusquet
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