Fantaisie et fugue, Prélude et fugue, Prélude et fughetta : sous ces appellations, Bach a produit des œuvres très diverses dont certaines figurent parmi les plus belles qu'il ait écrites pour le clavier.
La palme revient ici à la Fantaisie chromatique et Fugue en ré mineur BWV 903 que le musicien a probablement composées pendant son séjour à Cöthen. Vaste composition d'esprit rhapsodique, ce diptyque se distingue par une force expressive exceptionnelle. Dans ses trois volets successifs, la fantaisie proprement dite « fait plus que de nous restituer, comme sur le vif, un improvisateur de génie, un virtuose aux doigts inventifs, à l'imagination audacieuse — elle nous livre le monologue d'une âme. »77 Une âme étonnamment tourmentée en vérité — du moins jusqu'au retour à la raison et à la lumière opéré par la Fugue finale —, car, au fil de ces épisodes, on passe de l'inquiétude à la déploration, pour osciller ensuite entre révolte et résignation. Avec le même Guy Sacre, il faut reconnaître que « l'instabilité du discours et ses aléas, le dramatisme des figures, le chromatisme, les dissonances, les enchaînements hardis, tout ce vocabulaire expressionniste et sensible » avaient tout pour séduire les romantiques au moment de leur redécouverte de Bach. En l'espèce, le musicien « reprend à son compte avec une maîtrise hors du commun ce que Buxtehude lui a appris, et nous laisse une œuvre dramatique d'une puissance et d'une intensité magnifiques. »78
Fantaisie chromatique et fugue BWV 903, Christophe Rousset.Autres Fantaisies et fugues à marquer d'une pierre blanche, pour ne citer que celles dont l'authenticité n'est pas mise en doute : la Fantaisie et Fugue en la mineur BWV 904, avec la riche et sereine polyphonie à l'ancienne de sa fantaisie qui pourrait presque passer pour une œuvre pensée pour l'orgue, et le climat énergique et contrasté de sa superbe double fugue à quatre voix ; et la Fantaisie et Fugue (inachevée) en ut mineur BWV 906 dont on ne connaît vraiment — et pour cause — que la fantaisie. Une pièce relativement courte mais admirable par son langage harmonique, ce qui ne saurait surprendre s'agissant d'une œuvre tardive, et remarquable par sa construction qui annonce le futur mouvement de sonate avec exposition de deux thèmes contrastés, développement et réexposition.
Fantaisie et Fugue en la mineur BWV 904, Alfred Brendel.S'agissant des Préludes et fugues destinés au clavecin, et pour nous en tenir à ceux dont l'authenticité est acquise ou plausible, les honneurs reviennent à l'évidence au Prélude et fugue en la mineur BWV 894 que le musicien écrivit vers la fin de son séjour à Weimar : « Vaste composition, animée de bout en bout d'un élan, d'un souffle prodigieux, et si riche, en vérité, que Bach ne résista pas à l'envie, quinze ans plus tard, de l'adapter, avec l'ajout d'un adagio central (emprunté à la Troisième Sonate pour orgue), pour en faire le Concerto pour flûte, violon, clavecin et cordes BWV 1044. »79 À un moindre degré, on prêtera intérêt à quelques diptyques plus confidentiels : le Prélude et fugue en la majeur BWV 896 et les deux Préludes et fuguettes en la mineur BWV 895 et en ré mineur BWV 899, même si l'authenticité de ces trois œuvres n'est pas acquise ; et, a fortiori, les trois Préludes et fuguettes BWV 900 à 902, respectivement en mi mineur, fa majeur et sol majeur, trois œuvres qui réservent de fort beaux moments, parmi lesquels le superbe Prélude en sol majeur, et dont les deux dernières présentent une intéressante particularité : leurs fuguettes sont les versions premières des fugues BWV 888 et 889 du second livre du Clavier bien tempéré.
Fugue en la mineur BWV 894, Robert Hill.77. Sacre Guy, La musique de piano : Dictionnaire des compositeurs et des œuvres. « Bouquins », Robert Laffont, Paris 1998, p.164.
78. De Place Adélaïde, dans Franèois René Tranchefort, « Guide de la musique de piano et de Clavecin. « Les indispensables de la musique », Fayard, Paris 1987, p. 62.
79. Sacre Guy, op. cit., p. 162.
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Vendredi 26 Janvier, 2024