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Michel Rusquet, Trois siècles de musique instrumentale : un parcours découverte. III. Le temps de Bach [Allemagne ; France ; Italie ; autres nations]

Les Suites françaises de Johann Sebastian Bach

Johann Sebastian Bach

Ces six Suites françaises (BWV 812 à 817) sont moins à l'honneur, du moins au concert, que les « anglaises ». Moins brillantes, donc plus « faciles » d'exécution, elles sont aussi beaucoup plus courtes. Et le fait que Bach ait inséré les cinq premières dans le Clavierbüchlein qu'il composa en 1722 pour sa femme Anna Magdalena suggère que le compositeur les réservait à un usage avant tout pédagogique et « domestique ». Bref, il s'agirait ici d'un art plus intime, ce qui ne sera qu'en partie démenti par la sixième et dernière de ces suites, sans doute plus tardive et assurément plus virtuose.

Poussant plus loin la comparaison, on pourrait avec K. Geiringer avancer que, là où les Suites anglaises « offrent un mélange assez confus de traits appartenant à des périodes différentes qui rend plausible qu'elles aient été commencées avant et achevées après les Suites françaises »56, celles-ci apparaissent « plus unifiées » et, partant, « plus parfaites ». On pourrait ajouter qu'elles sont plus égales en qualité, tout en étant plus variées : l'humeur de ces six suites évolue constamment, des trois premières écrites dans le mode mineur aux trois suivantes composées dans le mode majeur ; à l'intérieur de chaque suite, en l'absence de tout prélude, une grande diversité est de mise dans le choix des différents types de danses où, à côté des quatre «figures imposées » que sont l'Allemande, la Courante, la Sarabande et la Gigue, on trouve tout un éventail de Galanterien ( Menuet, Air, Anglaise, Gavotte, Loure, Bourrée et même Polonaise) ; et plus frappant encore apparaît le traitement qu'en fait le compositeur, celui-ci variant fortement les rythmes, les  caractères et les types d'écriture en mêlant les styles français et italien avec une habileté confondante.

Ainsi, tout en célébrant « la beauté des allemandes, qui sont parfois de véritables préludes et rompent tout lien avec la danse », Guy Sacre souligne la « variété des courantes, les unes françaises et cérémonieuses (rythme à 3/2 ou à 6/4), les autres italiennes (à 3/4 ), d'allure rapide et de souple mélodie », de même que la « variété des gigues, allant du rythme pointé de l'ouverture française à celui, aussi pointé mais plus vif et déluré, de la canarie, ou encore aux bonds légers de la giga italienne ».57 Pour un peu, on en oublierait de mettre en exergue les sarabandes de ces Suites françaises, alors qu'ici aussi elles offrent leur lot de beauté, de sensibilité et d'émotion, mais peut-être est-ce le reflet d'une qualité d'ensemble qu'on ne trouvait pas forcément au même point dans les Suites Anglaises.

Reste la question du qualificatif de « françaises » employé pour les désigner. Bach n'étant pour rien dans cette appellation, « peut-on l'expliquer par l'intégration, au centre du schéma classique de la suite de danses (…), d'un certain nombre de ces mouvements de danses françaises très en vogue à la cour de Versailles : menuets, gavottes, bourrées, loure ? D'un autre côté, on connaît l'influence exercée sur Bach par les musiciens français qu'il découvrit dans sa jeunesse à Lüneburg et à Celle. Ne fut-il pas inspiré pour ses Suites françaises par les clavecinistes français qu'il prenait volontiers pour modèles ? »58 Le style de ces suites, « plus galant, qui favorise la mélodie avant les astuces du contrepoint »59, plaide en ce sens, de même que la présence fréquente de traits caractéristiques de l'art des clavecinistes français : le « style brisé » (ou « luthé ») des Allemandes des Suites nos 1 et 2 , et la profusion de grâces ornementales des Sarabandes des deux dernières suites, en sont probablement les manifestations les plus évidentes. On ne saurait s'en plaindre, car c'est aussi cela qui fait le charme singulier de ces œuvres.

Allemande, extrait de la Suite fançaise no 1 en mineur BWV 812, par Andrei Gravilov.


Gigue, extrait de la Suite française no 3 en si mineur BWV 814, par Andras Schiff.


Allemande, extrait de la Suite française no 4 en mibémol BWV 815, par Christophe Rousset.


Sarabande, extrait de la Suite française no 5 en sol majeur BWV 816, par Gustav Leonhardt.


Gigue, extait de la Suite française no 5 en sol majeur BWV 816, par Glenn Gould.
Suite française no 6 en mi majeur BWV 817, Allemande, Courante, Sarabande et Gigue, par Alicia de Larrocha.


Notes

56. Geiringer Karl, Bach et sa famille : sept générations de génies créateurs (traduction par Marguerite Buchet et Jacques Boitel). Buchet Chastel, Paris 1955, p. 306-307.

57. Sacre Guy, La musique de piano. Robert Laffont, Paris 1998, p.180.

58. DE PLACE ADELAÏDE, dans Fr. R. TRANCHEFORT (dir.), « Guide de la Musique de piano et de clavecin », Fayard, 1998, p. 53. 

59. SACRE GUY, op. cit., p.180.

Œuvres pour clavier : Introduction - Inventions à deux et trois voix - Suites Anglaises - Suites Françaises - Partitas - Clavier bien tempéré - Variations Goldberg - Ouverture à la française et Concerto Italien - Diptyques avec fugue - Toccatas - Petits préludes - Fantaisies, préludes ou fugues isolés - Suites isolées - Sonates - Les seize Concertos - Pièces diverses.


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Vendredi 29 Mars, 2024