Quinze Inventions à deux voix (BWV 772 à 786) et quinze Inventions ou Sinfonias à trois voix (BWV 787 à 801), classées dans les deux cas en suivant les degrés de l'échelle chromatique de la gamme — d'ut majeur à si mineur — mais en évitant les tonalités trop chargées en dièses ou en bémols. Ces trente pièces, Bach les écrivit au cours de ses dernières années à Coethen, à une époque où il eut tout loisir de se consacrer à la musique instrumentale profane et où, notamment à l'intention de son fils aîné Wilhelm Friedemann, il composa tout un florilège d'œuvres didactiques pour le clavier
Guide honnête qui enseignera à ceux qui aiment le clavecin, et tout particulièrement à ceux qui désirent s'instruire, une méthode claire pour arriver à jouer proprement deux voix, puis, après avoir progressé, à exécuter correctement trois parties obligées… Dans son propos liminaire, Bach ajoute qu'il entend amener l'élève à acquérir un jeu chantant et lui donner un solide avant-goût de l'art de la composition. Autant dire que, dans son esprit, il ne s'agissait pas de rédiger une méthode visant simplement à développer la technique digitale de l'apprenti claveciniste.
De fait, derrière ces exercices didactiques se cachent des trésors de musique et d'invention. « Aucun autre compositeur n'a jamais songé à mettre dans des compositions pour clavier de si petites dimensions un contenu d'une semblable signification. »48 « Elles emploient et mêlent toutes les techniques contrapuntiques, le canon, la fugue, le contrepoint double, mais de la façon la plus souple, sans rigueur doctrinaire. La proposition initiale une fois trouvée, Bach se laisse emporter par une imagination inépuisable, dont l'auditeur ne saurait jamais prévoir les caprices. Variété des sujets, et de leur traitement ; merveilleuse indépendance des voix, égalité plus étonnante encore : si la pédagogie a durablement adopté ces morceaux, c'est qu'ils fournissent aux deux mains leur compte de labeur. En échange, quelle profusion de beauté ! »49
On reste confondu devant les prodiges de vie et de subtilité que le compositeur parvient à réaliser dans une écriture réduite à deux voix, et l'émerveillement ne fait naturellement que croître à l'écoute des Sinfonias à trois voix où nous « attendent de plus grandes beautés, et une résonance plus longue (comme on dit d'un vin qu'il est long en bouche…) »50 Encore faut-il souligner, car on ne le sait pas assez, que ces deux cahiers nous livrent un Bach étonnamment proche et sensible, avec des pages d'une grande expressivité, dont l'exemple le plus frappant nous est fourni par la Sinfonia no 9 en fa mineur : dans cette pièce, « l'interprétation polyphonique complexe des trois sujets et l'admirable construction formelle sont utilisées à des fins expressives ; il règne une atmosphère de sinistre pathétisme dont Bach lui-même a rarement dépassé le pouvoir dramatique. »51
Invention à 2 voix no 8 en fa majeur (BWV 779), par András Schiff.48. Geiringer Karl, Bach et sa famille : sept générations de génies créateurs (traduction par Marguerite Buchet et Jacques Boitel). Buchet Chastel, Paris 1955, p. 300.
49. Sacre Guy, La musique de piano. Robert Laffont, Paris 1998, p. 153.
50. Ibid., p. 155.
51.Geiringer Karl, op. cit., p. 300.
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Samedi 27 Janvier, 2024