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Michel Rusquet, Trois siècles de musique instrumentale : un parcours découverte : la musique instrumentale en Allemagne de Beethoven à Schubert.

Le quatuor no 12, opus 127, de Ludwig van Beethoven

La musique de chambre de Ludwig van Beethoven.

Quatuors à cordes ; opus 18 ; opus 59 ; opus 74 ; opus 95 ; opus 127 ; opus 130 ; opus 131 ; opus 132 ; opus 135 ; opus 133 ; Autres œuvres en quatuor ; Quintettes à cordes.

beethoven

Quatorze années séparent le onzième quatuor du douzième quatuor (opus 127 en mi♭majeur) achevé en octobre 1824. Cet opus 127 ouvre la prodigieuse série des cinq derniers quatuors à cordes, laquelle constitue « la somme poétique de la création beethovénienne la plus intérieure. »138 Surmontant toutes les épreuves qui l’assaillent, « le musicien est alors en pleine force créatrice, et compose dans l’enthousiasme : « Beethoven travaille dans le délire de sa joie et dans la joie de son délire », devait dire un de ses amis. »139 Et tant pis si, à sa création six mois plus tard, ce quatuor fut mal reçu ; Beethoven aurait lui-même donné la recette en disant : « Il faut l’entendre souvent ». Peut-être pouvait-il en fait attribuer cet échec à une exécution un peu bâclée, car l’œuvre elle-même ne marque pas de franche rupture stylistique avec les quatuors antérieurs. Elle  apparaît de plus relativement détendue et souriante, et même très pastorale. « C’est sans doute un lyrisme chaleureux, regénéré par les spectacles de la nature dans le site de Baden, propices à des « élévations » de l’esprit, qui domine dans cet ouvrage. »140

Œuvre admirable en tout cas que ce quatuor, un des plus denses et des plus parfaits parmi les cinq derniers. « Malgré son architecture d’apparence classique, le douzième quatuor est significatif d’un état ambigu, mouvant, des formes. Tout en se souvenant de la forme sonate, l’œuvre, tout entière habitée par l’esprit de la variation, invente sa propre structure : le compositeur ne nie pas ici les éléments conflictuels, mais les apprivoise. Plus que le jeu des structures, plus qu’une rhétorique du contrepoint, ce sont un climat presque continûment lyrique, une luxuriance mélodique sans équivalent chez Beethoven (sinon peut-être dans la 31e sonate pour piano opus 110) qui caractérisent l’opus 127. »141 Il faudrait ici s’étendre sur chacun des quatre mouvements de l’œuvre, des géniales subtilités du premier, avec son développement essentiellement polyphonique, au joyeux carrousel de quatre thèmes du finale où le musicien semble faire son miel de simples chansons paysannes, en passant par l’étonnante « spéculation rythmique » du scherzando vivace. Mais, plus que tout autre, c’est le vaste deuxième mouvement (Adagio, ma non troppo e molto cantabile) qui nous transporte sur les cîmes. « La plus sublime des prières », disait Vincent d’Indy qui voyait dans la splendide mélodie de cet adagio une quasi-réminiscence du « Benedictus qui venit » de la messe en ré majeur du même Beethoven. Cette mélodie, Beethoven va en tirer une série de variations d’une beauté miraculeuse qui culminera dans la troisième — indiquée molto espressivo — « couronnement spirituel de tout le mouvement et, en fait, du quatuor tout entier » [J. Kerman].  Dans ces sublimes six variations, le thème demeure certes « la référence constante du souvenir… ou plutôt du songe ; mais il n’est pas moins profondément transfiguré, jusqu’à ce qu’un visage tout à fait nouveau vienne se substituer au visage originel. Ses traits reflètent une grande mélancolie ; l’évolution constante de l’harmonie, de plus en plus chromatique, crée le climat crépusculaire du morceau. Parfois, c’est une page de Tristan que l’on croit entendre… »142

Ludwig van Beethoven, Quatuor no 12, en mi♭ majeur, opus 127, par le Talich Quartet.

 

plumeMichel Rusquet
29 octobre 2019

Notes

138.Boucourechliev André, Beethoven, « Solfèges », Éditions du Seuil, Paris 1963, p. 93.

139. Tranchefort François-René, Guide de la musique de chambre, Fayard, Paris 1998, p .92.

140.  Ibid., p.93

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141. Szersnovicz Patrick, dans « Le Monde de la musique » (276), mai 2003

142. Boucourechliev André, op. cit.

 


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