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Michel Rusquet, Trois siècles de musique instrumentale : un parcours découverte : la musique instrumentale en Allemagne de Beethoven à Schubert.

Le quatuor no 13, opus 130, de Ludwig van Beethoven

La musique de chambre de Ludwig van Beethoven.

Quatuors à cordes ; opus 18 ; opus 59 ; opus 74 ; opus 95 ; opus 127 ; opus 130 ; opus 131 ; opus 132 ; opus 135 ; opus 133 ; Autres œuvres en quatuor ; Quintettes à cordes.

beethoven

« Dans le treizième quatuor (opus 130, en si♭majeur), qui comprend six mouvements […], la loi est celle de la plus grande diversité, de la constante opposition des formes, de climats psychologiques. Tout se passe comme si Beethoven voulait rassembler en une seule œuvre un maximum de formes, de la danse allemande à la fugue, et faire la synthèse de tous les domaines de l'expression. Ce principe de diversité et de contrastes se retrouve d'ailleurs à l'intérieur de chaque mouvement... »143

Composé en deux mois à peine et achevé en octobre 1825, il fut créé à Vienne en mars 1826. « Le succès fut mitigé, bien que les deuxième et quatrième mouvements fussent bissés ; mais la résistance du public au finale de l’œuvre, jugé trop austère et difficile, incita l’éditeur Artaria à obtenir de Beethoven qu’il détache ce mouvement de la partition [en y substituant un autre finale]. Ce à quoi se résigna avec peine le compositeur. Ainsi la grande fugue constituant ce mouvement devait-elle connaître un destin autonome : elle parut d’abord, transcrite pour piano à quatre mains, comme opus 134, puis, en 1830, comme opus 133 (voir, plus loin, dix-septième quatuor). »144

On rapporte la réaction de Beethoven lorsqu’on lui fit part de l’incompréhension rencontrée par la grande fugue et du succès des deux mouvements bissés par le public : « Ah ! les bœufs ! les ânes ! Oui, oui, ces friandises ! Ils se les font servir encore une fois ! Pourquoi pas plutôt la fugue ? Elle seule aurait dû être recommencée. »

« Friandises » ? Certes, ces deux mouvements aux contours délibérément « populaires » (le deuxième, presto, et le quatrième, Alla danza tedesca), au demeurant les plus brefs des six, sont d’un poids relatif assez limité ; ils n’en ont pas moins toute leur importance dans l’architecture générale de l’œuvre. Quant aux critiques dont le dernier mouvement est parfois l’objet, il se trouvera toujours des esprits chagrins pour déplorer que Beethoven ait cédé aux pressions en remplaçant sa grande fugue finale par cet allegro de caractère gai et dansant, lequel ne peut, c’est indéniable, que retirer à ce quatuor une partie de sa force d’impact ; reconnaissons cependant que ce finale de substitution reste un morceau tout à fait admirable avec ses superbes contre-chants et son développement en style fugué. Cela dit, si l’œuvre se situe si haut parmi les chefs-d’œuvre dédiés au quatuor à cordes, elle le doit avant tout à ses trois mouvements impairs. D’abord à son formidable premier mouvement qui forme une sorte de concentré de l’art du compositeur à son zénith : « Plus que sur une opposition de thèmes selon la forme sonate traditionnelle, Beethoven mise, dans ce premier mouvement, sur l’alternance de deux « temps » et la simultanéité des contraires : calme de l’introduction, avec ses incessants retours, et résolution de l’allegro. Dès lors, la polyphonie se révèle plus libre et plus audacieuse que jamais »145.

Puis, en troisième position, vient l’andante con moto qui, sous des dehors a priori modestes, fort peu « démonstratifs » en tout cas, est probablement, selon André Boucourechliev, « une des pages les plus raffinées de Beethoven sur le plan rythmique, et l’une des plus spirituelles de toute son œuvre ». De forme sonate sans développement, « ce mouvement est noté  poco scherzoso, dans un esprit humoristique raffiné, parfois ombré de mélancolie, et parfois un peu fantasque, déjà quelque peu brahmsien »146.

Et enfin, voici un des moments les plus magiques de la création beethovénienne : « S’il est un exemple de totale concentration musicale, où le moindre rapport est surtendu, où le moindre événement est chargé de sens, c’est bien la cavatine, cinquième mouvement de l’opus 130. […] Pièce d’une bouleversante beauté, il semble que Beethoven lui-même y était profondément sensible : jamais ma propre musique n’aura eu un tel effet sur moi, aurait-il dit à Holz. Les richesses de la cavatine sont inépuisables ; l’épanouissement des motifs mélodiques n’est que la part la plus évidente de son réseau de forces tendu à l’extrême. Dans la partie médiane cette tension éclate à la surface, se traduit dans les oppositions rythmiques entre le premier violon et les trois autres instruments, culmine dans les accents angoissés, oppressés d’une ligne mélodique lacérée par les silences […]. Par ces vides placés précisément là où chaque cellule vitale doit atteindre son point d’appui rythmique, le devenir est constamment suspendu, la détente constamment refusée, la musique est comme une respiration saccadée dans un espace sans air, haletante… »147

Ludwig van Beethoven, quatuor no 13, en si♭majeur, opus 130, par l'Alban Berg Quartet, enregistrement de concert.

 

Ludwig van Beethoven, quatuor no 13, en si♭majeur, opus 130, 5. Cavatina, par le Lindsay String Quartet.

 

plumeMichel Rusquet
30 octobre 2019

Notes

143. Boucourechliev André, Beethoven, « Solfèges », Éditions du Seuil, Paris 1963, p. 96.

144. Tranchefort François-René, Guide de la musique de chambre, Fayard, Paris 1998, p. 94.

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145. Ibid., p. 95.

146. Ibid., p. 95.

147. Boucourechliev André, op. cit., p. 96-97.


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