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Michel Rusquet, Trois siècles de musique instrumentale : un parcours découverte : la musique instrumentale en Allemagne de Beethoven à Schubert.

Le quatuor no 14, opus 131, de Ludwig van Beethoven

La musique de chambre de Ludwig van Beethoven.

Quatuors à cordes ; opus 18 ; opus 59 ; opus 74 ; opus 95 ; opus 127 ; opus 130 ; opus 131 ; opus 132 ; opus 135 ; opus 133 ; Autres œuvres en quatuor ; Quintettes à cordes.

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Sans doute le plus puissant de tous, le plus dense, le plus exigeant aussi. Pour beaucoup de commentateurs, ce quatorzième quatuor (opus 131 en ut♯ mineur), en réalité l’avant-dernier (achevé seulement quelques mois avant sa mort), est « le plus beau de tous ; Wagner, en son temps déjà, s’en fit l’exégète très « romantique » : en un texte célèbre, il a parlé à son propos de méditation d’un « saint », muré dans sa surdité, à l’écoute exclusive de ses voix intérieures. Le quatorzième quatuor constitue l’ultime protestation et l’ultime défi pour briser cet isolement. L’œuvre est bâtie d’un seul tenant, sans interruption entre ses sept mouvements : c’est pour bien affirmer une volonté de continuité que Beethoven a, chaque fois, aboli les doubles barres. Mais existent des liens implicites, très forts, harmoniques et surtout rythmiques, entre chaque partie. Il est remarquable que les troisième et sixième mouvements, qui ne dépassent pas chacun trente mesures, font office de brèves introductions à ceux qui suivent : subsistent donc cinq mouvements réellement indépendants. Dans sa structure, mais aussi par l'écriture, le quatuor opus 131 anticipe souvent sur les audaces de l’École de Vienne, comme du plus grand compositeur de quatuors du XXe siècle, Béla Bartók. »148

Portique à la mesure de la grandeur de l’œuvre , l’Adagio ma non troppo est en réalité une fugue d’une étonnante sérénité d’écriture et d’une expression méditative particulièrement prenante. « Volant et libre comme l’air », l’Allegro molto vivace qui lui fait suite « défie les cadres formels divers dans lesquels on tente encore de l’enfermer. Il ne connaît que sa propre logique, inventée pour lui seul. Ses ramifications thématiques, souples et élancées, découlent d’une seule source, rythme de tarentelle qui ne suspend sa course qu’à bout de souffle… »149  Puis, après le fugitif intermède de l’Allegro moderato-Adagio, voici le mouvement le plus vaste de l’œuvre : l’Andante ma non troppo e molto cantabile. « Ce thème et variations d’une superbe plastique, d’une extrême simplicité de ton, presque un quatuor à lui seul, constitue le centre de gravité de l’œuvre, ainsi qu’une synthèse de la conception beethovénienne de la variation ».150 Dans ces sept variations, dont les deux premières sont encore presque « classiques », « chaque nouvelle métamorphose est plus poussée, plus intégrale… La plus étrangement belle est la sixième variation, adagio à 9/4. Dans l’évocation fervente, sotto voce, s’insinue soudain une ombre, un bref groupe de doubles croches fuyantes. Il agit d’une façon ambiguë, tantôt comme brutal événement rythmique, tantôt, à peine audible, comme une présence insidieuse, comme un timbre, obscur, troublant, insaisissable… »151

Autre grand moment, le vaste scherzo (presto) qui vient en cinquième position, « mouvement complètement imprévisible en son parcours tissé de répétitions, de retours incessants (sur les indications périodiques Molto poco adagio suivies de Primo tempo), jusqu’à effacer tout jalon temporel ».152 On enchaîne, en contraste total, avec un adagio en sol♯ mineur qui n’est certes qu’un bref mouvement de « passage », mais d’une densité telle que ce chant de déploration, porté par la voix émouvante de l’alto, touche au plus profond de l’âme, avant d’introduire le grandiose mouvement final, qui « relève entièrement de la forme sonate, si soigneusement évitée jusqu’alors, ici propice à une formidable bataille instrumentale ».153

D’entrée et tout au long du morceau, on est en effet saisi par la puissance implacable, l’âpreté et la véhémence d’un finale dont le thème principal lui-même, « sa charpente est d’acier », note André Boucourechliev, laissait d’emblée prévoir les proportions. Et, au bout de ce parcours de quarante minutes d’une musique si intense, on se dit que Beethoven ne manquait ni d’humour ni de détachement lorsque, dans une lettre à son éditeur, il qualifiait de « volées de-ci, de-là, et mises ensembles » les sept parties qui composent cette œuvre d’exception…

Ludwig Beethoven, Quatuor no 14 en ut♯ majeur, opus 131, par le Juilliard String Quartet (1976).

 

Ludwig Beethoven, Quatuor no 14 en ut♯ majeur, opus 131, IV. Andante ma non troppo e molto cantabile, par le Quartet Talich.

 

plumeMichel Rusquet
29 octobre 2019

Notes

148. Tranchefort François-René, Guide de la musique de chambre, Fayard, Paris 1998, p. 96.

149. Boucourechliev André, Beethoven, « Solfèges », Éditions du Seuil, Paris 1963, p. 101.

150. Tranchefort François-René, op. cit., p. 97.

151. Boucourechliev André, op. cit., p. 101-103.

152. Tranchefort François-René, op. cit., p. 98.

153. Ibid., p. 98.

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