bandeau texte musicologie

Michel Rusquet, Trois siècles de musique instrumentale : un parcours découverte : la musique instrumentale en Allemagne de Beethoven à Schubert.

Le quatuor no 16, opus 135, de Ludwig van Beethoven

La musique de chambre de Ludwig van Beethoven.

Quatuors à cordes ; opus 18 ; opus 59 ; opus 74 ; opus 95 ; opus 127 ; opus 130 ; opus 131 ; opus 132 ; opus 135 ; opus 133 ; Autres œuvres en quatuor ; Quintettes à cordes.

beethoven

Dernière œuvre totalement achevée de Beethoven, qui l’écrivit entre juin et octobre 1826, le seizième quatuor (opus 135 en fa majeur) se démarque nettement des précédents. D’abord par sa coupe en quatre mouvements (et encore le troisième fut-il rajouté in extremis…), allant de pair avec une concision souvent qualifiée de lapidaire, et au moins autant par son esprit général, tout ou presque de sérénité : après la tension dramatique et l’effervescence des quatuors précédents, on est ici frappé par l’équilibre et la légèreté de l’architecture. Mais on l’est tout autant par d’autres aspects qui donnent à ce quatuor un caractère énigmatique et parfois déroutant. Ce sont une écriture acérée, « la finesse de la polyrythmie et tous les nombreux aspects prémonitoires de cet ultime chef-d’œuvre qui, même s’il appartient plus que les autres derniers quatuors à l’idéal architectural hérité de Haydn et de Mozart, déploie des inflexions d’une furieuse modernité : on croit par moments entendre non du Beethoven, mais du Bartok et du Schönberg, voire du Webern. »156

L’œuvre s’ouvre par un allegretto d’une merveilleuse délicatesse d’écriture où, au-delà des qualités de légèreté et d’équilibre de la construction, on ne peut qu’admirer la transparence de la polyphonie, comme l’élégance des développements et des transitions. Suit un Vivace, qui « tient lieu de grand scherzo, d’une vigueur et d’une diversité rythmique peu ordinaires […]. Véritable cas de déstabilisation rythmique, une sorte de « mécanisme détraqué » aux yeux d’André Boucourechliev. »157 Après ces audacieux jeux rythmiques, voici le dernier mouvement écrit par Beethoven, son « doux chant de repos ou chant de paix » (« Süsser Ruhegesang, Friedensgesang »). « Ce sont des variations une fois de plus, où la mélodie libère ses plus secrètes beautés. La première, plus lente encore que le thème, introduit le silence, rend la parole haletante. La seconde développe le thème en imitations. La troisième lui apporte cette infime transformation mélodique qui, comme à la fin du « Chant de reconnaissance » de l’opus 132, comme à la fin de l’opus 111, résonne comme un adieu. Non point dans les larmes, mais dans une profonde sérénité. »158  Puis vient ce finale qui a fait couler beaucoup d’encre avec son titre Der schwergefasste Entschluss (« la résolution difficilement prise ») et l’énigmatique question / réponse figurant en exergue : Muss es sein ? Es muss sein ! (« Le faut-il ? Il le faut ! »). « Interrogation du Destin ? Pas vraiment. Un bourgeois viennois, un certain Dembscher, ne s’était pas dérangé pour la première exécution du treizième quatuor, mais s’était vanté d’en obtenir le manuscrit chez lui, quand il le voudrait et sans bourse délier. Beethoven, furieux, répondit dans un billet qu’il ne prêterait le manuscrit qu’ayant reçu cinquante florins. Le bourgeois reçut le billet et, suffoqué, demanda : « Le faut-il vraiment ? ». Et Beethoven de s’écrier : « Il le faut ! … Sors ta bourse ! Il le faut ! ». D’où naquit le canon, dont il reprit le thème dans ce finale… »159 Un thème auquel vont s’ajouter deux autres motifs donnant lieu à des développements pleins de surprises, jusqu’au « merveilleux imprévu qui termine l’œuvre, un retour du motif populaire en pizzicatos, aux quatre instruments. « Muss es sein » ? L’œuvre de quatuor de Beethoven — le domaine de sa plus profonde et plus secrète pensée — s’achève non sur quelque geste pathétique du surhomme, du « titan », mais sur un doux sourire. »160

Ludwig van Beethoven, Quatuor no 15, en fa majeur, opus 135, par l'Alban Berg Quartett (1981).

 

plume Michel Rusquet
3 novembre 2019

© musicologie.org

musicologie.org
 rss

Notes

56. Szersnovicz Patrick, dans « Le Monde de la musique » (239), janvier 2000.

157. Tranchefort François-René, Guide de la musique de chambre, Fayard, Paris 1998, p. 101.

158. Boucourechliev André, Beethoven, « Solfèges », Éditions du Seuil, Paris 1963, op. cit., p. 106.

159. Tranchefort François-René, op. cit., p. 102.

160. Boucourechliev André, op. cit., p. 107.


À propos - contact |  S'abonner au bulletinBiographies de musiciens Encyclopédie musicaleArticles et études | La petite bibliothèque | Analyses musicales | Nouveaux livres | Nouveaux disques | Agenda | Petites annonces | Téléchargements | Presse internationale | Colloques & conférences | Collaborations éditoriales | Soutenir musicologie.org.

Musicologie.org, 56 rue de la Fédération, 93100 Montreuil ☎ 06 06 61 73 41

ISNN 2269-9910

bouquetin

Mercredi 6 Novembre, 2019 3:06