bandeau actu gazette jeudi 14 septembre 2017

Musique de chambre à Giverny : deux géants en révolution

Concert du 26 août 2017, musée des impressionnismes

Julia Turnovsky, Elina Buksha, Aylen Pritchin, Nikita Boriso-Glebsky, Vladimir Percevic, Luka Ispir, Xavier Jeannequin, Kei Tojo, Lisa Strauss, Jean-Édouard Carlier, Won Hae Lee, Zlatomir Fung. Photographie © musicologie.org.

Ludwig Van Beethoven, Quatuor n° 11, opus 95, « Serioso », en fa mineur, 1. Allegro con brio, 2. Allegretto ma non troppo, 3. Allegro assai vivace ma serioso - Più allegro, 4. Larghetto espressivo - Allegretto agitato - Allegro,  composé de mai à octobre 1810, dédicacé à Nikolaus Zmeskall von Domanovanecs, créé par le Quatuor  Schuppanzigh en 1814, version orchestrée pour cordes de Gustav Mahler.

Elina Buksha, Aylen Pritchin, Fedor Rudin (violons 1), Nikita Boriso-Glebsky, Luka Ispir, Julia Turnovsky (violons 2), Kei Tojo, Xavier Jeannequin, Vladimir Percevic (altos), Won Hae Lee, Zlatomir Fung, Lisa Strauss (violoncelles), Jean-Édouard Carlier (contrebasse)

Ce quatuor a été composé au cours des 20 années de grande inspiration. Entre 1795 et 1815, Beethoven a composé pratiquement toutes ses symphonies, ses sonates pour piano, Fidelio, onze de ses seize quatuors, la messe en do, etc. La surdité totale et la mort de son frère en 1815, suivie des démêlés avec sa belle-sœur pour obtenir la garde de son chenapan de neveu sera un tournant dans sa vie. Mais on n'en est pas là. En 1810, il peut encore partiellement entendre, et ne peut faire la sourde oreille à l'échec de son projet de mariage avec Thérèse Malfatti, la fameuse Élise de la jolie bagatelle en la mineur : mi mi mi si do laa,  do mi la sii,  gna gna gna gnaa … Ainsi peut-on expliquer le caractère dramatique de cette œuvre, sa fureur, son désespoir, même si Beethoven n'est pas homme à se laisser aller. Mais il n'y a pas que cela. La surdité handicapante, la prise et l'occupation de Vienne par les troupes françaises, le bruit insupportable de la démolition des remparts de la ville auxquels sa maison est adossée, le manque de « pain mangeable », sont autant de raisons justifiant les blessures et la douleur.

Soixante années après la mort de Beethoven, Gustav Mahler est nommé directeur musical de l'Opéra de Vienne, après avoir été 1er chef à celui de Hambourg.  Au cours de ses premières années viennoises, il orchestre trois quatuors : cet opus 95 de Beethoven, aussi son opus 131 (14e quatuor) dont la partition est perdue, et Der Tot und das Mädchen (La jeune fille et la mort), 3e quatuor de Franz Schubert. Il n'a donné que le 11e quatuor de Beethoven, ce fut un échec. Son arrangement est respectueux, avec quelques ajouts de basses.

Nikita Boriso-Glebsky, Lisa Strauss, Luka Ispir, Xavier Jeannequin.

Dmitri Chostakovitch, Deux pièces pour octuor à cordes, opus 11, 1. Prélude : adagio, mineur, 2. Scherzo : allegro molto - moderato - allegro, sol mineur, dédicacées à Volodia Kurtchavov, composées en 1924-1925, créées au théâtre Stanislavski de Moscou par les quatuors Glière et Stradivarius, 9 janvier 1927.

Nikita Boriso-Glebsky (violon 1), Elina Buksa  (violon 2), Aylen Pritchin (violon 3), Fedor Rudin (violon 4), Kei Tojo (alto 1), Vladimir Percevic (alto2), Michel Strauss (violoncelle 1), Zlatomir Fung (violoncelle 2).

Après la mort de son père en 1922, Chostakovitch fait bouillir la marmite en jouant dans les cinémas, tout en poursuivant ses études au conservatoire. Il commence la composition de sa première symphonie et celle de l'octuor, est opéré, profite de sa convalescence en Crimée pour tomber amoureux, s'active à boucler la symphonie  avec laquelle il passe haut la main son examen, la crée à Leningrad, se fait connaître dans le monde entier parce que l'œuvre est tombée dans les oreilles de chefs d'orchestre influents qui la piquent au bout de leur baguette, achève la composition de l'octuor, le crée en 1927, se présente au premier concours Chopin de Varsovie, d'où il sort avec une mention honorable.  Les pièces opus 11 sont deux magnifiques et magistrales miniatures. Le prélude, est une sorte de version russe de l'expressionniste Nuit transfigurée (Verklärte Nacht) de Schönberg. Le Scherzo, d'une motricité mécaniste endiablée, est une étude d'effets spéciaux, tuilages (en trois couches), effets d'amplification, de montées en tensions, d'envolée, de vagues de rebonds, sur des battements mécaniques et des sifflements qui pourraient évoquer les machineries d'un navire. Un chef d'œuvre constructiviste.

Lisa Strauss. Photographie © Musicologie.org.

Chostakovitch, Quatuor à cordes, n° 8, opus 110, en do mineur, 1. Largo, 2. Allegro molto, 3. Allegretto, 4. Largo, 5. Largo, dédicacé aux victimes de la guerre et du fascisme, créé par le Quatuor Beethoven le 15 mai 1960 à Leningrad.

Nikita Boriso-Glebsky (Violon 1), Luka Ispir  (violon 2), Xavier Jeannequin (alto), Lisa Strauss (violoncelle).

En juillet 1960, Chostakovitch est sur le tournage de Cing jours cinq nuits, un film de Leo Arnchtam (le sauvetage d'œuvres d'arts dans les ruines de Dresde en 1945 avec l'Armée rouge, ses relations avec les allemands, et une romance).  Le tournage se fait à Görlitz, en Suisse saxonne, une très belle région escarpée au sud-est de Dresde. Mais la vue des ruines de Dresde le touche, il  compose en trois jours le quatuor, qui va au-delà des besoins du film qu'on peut visionner dans YouTube, et entendre comment le quatuor y a été utilisé (https://bit.ly/2i0KUwt).

Nikita Boriso-Glebsky. Photographie © musicologie.org.

Chostakovitch semble en avoir fait une œuvre « autobiographique », on trouve le codage musical des initiales de son nom, comme dans d'autres de ses œuvres  (DSCH), selon la graphie anglo-saxonne des notes D (ré), Es (mi bémol), C (do), H (si), les quatre notes qui ouvrent l'œuvre, comme thème structurant, et des citations extraites de plusieurs de ses symphonies (1re et 10e), de son 1er  trio, de son concerto pour violoncelle, de son opéra Lady de Mtsensk, de chants révolutionnaires, de Wagner (le Leitmotiv du « destin » dans le Ring) et de Tchaïkovski (6e symphonie, « pathétique ») évoquant ainsi la Russie et l'Allemagne. Le « Quatuor de Dresde » dont tous les mouvements sont en mode mineur et en toutes les nuances de noir, est le plus court et le plus célèbres des quatuors de Chostakovitch.

Aylen Pritchin. Photographie © musicologie.org.

Beethoven, Quatuor à cordes opus 135, n° 16, en fa majeur, 1. Scherzo, 2. Trio, 3. Scherzo, 4. Coda, dédicacé à Johann Wolfmayer, composé1826, créé le 23 mars 1828 à Vienne, 3e  mouvement seul : Lento assai, cantante e tranquillo

Fedor Rudin, Julia Turnovsky, Luka Ispir (violons 1), Nikita Boriso-Glebsky, Elina Buksa, Aylen Pritchin (violons 2), Kei Tojo, Xavier Jeannequin, Vladimir Percevic (altos), Won Hae Lee, Zlatomir Fung, Lisa Strauss, (violoncelles), Jean-Édouard Carlier (contrebasse).

Les derniers quatuors de Beethoven (nos 12 à 16) sont le couronnement de son œuvre. Ce n'est pas passé comme une lettre à la poste. Si des modernistes éclairés comme Fanny et Félix Mendelssohn trouvaient cette dernière manière touchante et envoûtante, leur père pensait que Beethoven était un mythomane, d'autres que sa musique était chinoise, irritante, «  le dernier effort d'une imagination en délire ». Cette « musique dégoûtante » faisait éternuer Cherubini. Les admirateurs de la première heure du compositeur mettront ses « égarements » au compte de sa surdité.

Vladimir Percevic. Photographie © musicologie.org.

Ce quatuor est la dernière œuvre achevée de Beethoven. Sa composition est troublée par la tentative de suicide de son neveu, le 30 juillet 1826, et début août par les questions relatives à l'avenir du jeune homme. Grâce aux Van Breuning, il intégre l'armée rapidement (l'exergue du dernier  mouvement ? La difficile décision finale. Le faut-il ? Il le faut ! Il le faut !)

Ce mouvement, un flux mélodique en thème et quatre variations, d'autant plus intense que retenu, est une des plus belles pages expressives de Beethoven. Joué en orchestre à cordes, les basses renforcées, on est comme au seuil de l'univers wagnérien.

 

Jean-Marc Warszawski
août 2017

Les concerts de la session 2017

1. Ode à la joie ; 2. Sur les routes de la soie ; 3. Le mythe et la musique ; 4. Au cœur des Mille et une nuits ; 5. Au bord de la Caspienne ; 6. Soirée Franco-Russe ; 7. La Révolution d'octobre ; 8. La poédsie et la musique ; 9. La révolution de l'art en musique ; 10. Deux géants de la révolution en musique ; 11. Prends garde à toi !

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Mercredi 15 Novembre, 2023