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Duo

Jean-Jacques Rousseau
Duo
dans le « Dictionnaire de musique »

Duo , s. m. Ce nom se donne en général à toute musique à deux parties; mais on en restreint aujourd'hui le sens à deux parties récitantes, vocales ou instrumentales, à l'exclusion des simples accompagnements qui ne sont comptés pour rien. Ainsi l'on appelle duo une musique à deux voix, quoiqu'il y ait une troisième partie pour la basse-continue, et d'autres pour la symphonie. En un mot, pour constituer un duo, il faut deux parties principales entre lesquelles le chant soit également distribué.

Les règles du duo, et en général de la musique à deux parties, sont les plus rigoureuses pour l'harmonie : on y défend plusieurs passages, plusieurs mouvements qui seroient permis à un plus grand nombre de parties ; car tel passage ou tel accord, qui plaît à la faveur d'un troisième ou d'un quatrième son, sans eux choqueroit l'oreille. D'ailleurs on ne seroit pas pardonnable de mal choisir, n'ayant que deux sous à prendre dans chaque accord. Ces règles étoient encore bien plus sévères autrefois ; mais on s'est relâché sur tout cela dans ces derniers temps ou tout le monde s'est mis à composer.

On peut envisager le duo sous deux aspects, savoir : simplement comme un chant à deux parties, tel, par exemple, que le premier verset du Stabat de Pergolèse, duo le plus parfait et le plus touchant qui soit sorti de la plume d'aucun musicien; ou comme partie de la musique imitative et théâtrale, telle que sont les duos des scènes d'opéra. Dans l'un et dans l'autre cas, le duo est de toutes les sortes de musique celle qui demande le plus de goùt, de choix et la plus difficile à traiter sans sortir de l'unité de mélodie. On me permettra de faire ici quelques observations sur le duo dramatique, dont les difficultés particulières se joignent à celles qui sont communes à tous les duos.

L'auteur* de la Lettre sur l'opéra d' Omphale a sensément remarqué que les duos sont hors de la nature dans la musique imitative ; car rien n'est moins naturel que de voir deux personnes se parler à-la-fois durant un certain temps, soit pour dire la même chose, soit pour se contredire, sans jamais s'écouter ni se répondre; et quand cette supposition pourroit s'admettre en certains cas, ce ne seroit pas du moins dans la tragédie, où cette indécence n'est convenable ni à la dignité des personnages qu'on y fait parler, ni à l'éducation qu'on leur suppose. Il n'y a donc que les transports d'une passion violente qui puissent porter deux interlocuteurs héroïques à s'interrompre l'un l'autre, à parler tous deux à-la-fois ; et même, en pareil cas, il est très ridicule que ces discours simultanés soient prolongés de manière à faire une suite chacun de leur côté.

Le premier moyen de sauver cette absurdité est donc de ne placer les duos que dans des situations vives et touchantes, où l'agitation des interlocuteurs les jette dans une sorte de délire capable de faire oublier aux spectateurs et à eux-mêmes ces bienséances théâtrales qui renforcent l'illusion dans les scènes froides, et la détruisent dans la chaleur des passions. Le second moyen est de traiter le plus qu'il est possible le duo en dialogue. Ce dialogue ne doit pas être phrasé, et divisé en grandes périodes comme celui du récitatif, mais formé d'interrogations, de réponses, d'exclamations vives et courtes, qui donnent occasion à la mélodie de passer alternativement et rapidement d'une partie à l'autre, sans cesser de former une suite que l'oreille puisse saisir. Une troisième attention est de ne pas prendre indifféremment pour sujets toutes les passions violentes, mais seulement celles qui sont susceptibles de la mélodie douce et un peu contrastée, convenable au duo, pour en rendre le chant accentué et l'harmonie agréable. La fureur, l'emportement, marchent trop vite; on ne distingue, on n'entend qu'un aboiement confus, et le duo ne fait point effet. D'ailleurs ce retours perpétuel d'injures, d'insultes, conviendroit mieux à des bouviers qu'à des héros, et cela ressemble tout-à-fait aux fanfaronnades de gens qui veulent se faire plus de peur que de mal. Bien moins encore faut-il employer ces propos doucereux d' appas, de chaînes, de flammes, jargon plat et froid que la passion ne connut jamais, et dont la bonne musique n'a pas plus besoin que la bonne poésie. L'instant d'une séparation, celui où l'un des deux amants va à la mort ou dans les bras d'un autre, le retour sincère d'un infidèle, le touchant combat d'une mère et d'un fils voulant mourir l'un pour l'autre; tous ces moments d'affliction où l'on ne laisse pas de verser des larmes délicieuses : voilà les vrais sujets qu'il faut traiter en duo avec cette simplicité de paroles qui convient au langage du coeur. Tous ceux qui ont fréquenté les théâtres lyriques savent combien ce seul mot addio peut exciter d'attendrissement et d'émotion dans tout un spectacle. Mais si-tôt qu'un trait d'esprit ou un tour phrasé se laisse apercevoir, à l'instant le charme est détruit, et il faut s'ennuyer ou rire.

Voilà quelques-unes des observations qui regardent le poète. A l'égard du musicien, c'est à lui de trouver un chant convenable au sujet, et distribué de telle sorte que, chacun des interlocuteurs parlant à son tour, toute la suite du dialogue ne forme qu'une mélodie, qui, sans changer de sujet, ou du moins sans altérer le mouvement, passe dans son progrès d'une partie à l'autre, sans cesser d'être une et sans enjamber. Les duos qui font le plus d'effet sont ceux des voix égales, parceque l'harmonie en est plus rapprochée ; et entre les voix égales celles qui font le plus d'effet sont les dessus, parceque leur diapason plus aigu se rend plus distinct, et que le son en est plus touchant. Aussi les duos de cette espèce sont-ils les seuls employés par les Italiens dans leurs tragédies ; et je ne doute pas que l'usage des castrati dans les rôles d'hommes ne soit dû en partie à cette observation. Mais quoiqu'il doive y avoir égalité entre les voix, et unité dans la mélodie, ce n'est pas à dire que les deux parties doivent être exactement semblables dans leur tour de chant; car outre la diversité des styles qui leur convient, il est très rare que la situation des deux acteurs soit si parfaitement la même qu'ils doivent exprimer leurs sentiments de la même manière : ainsi le musicien doit varier leur accent, et donner à chacun des deux le caractère qui peint le mieux l'état de son ame, surtout dans le récit alternatif.

Quand on joint ensemble les deux parties (ce qui doit se faire rarement et durer peu), il faut trouver un chant susceptible d'une marche par tierces ou par sixtes, dans lequel la seconde partie fasse son effet sans distraire de la première. (Voy. UNI'TÉ DE MÉLODIE.) Il faut garder la dureté des dissonances, les sons perçants et renforcés, le fortissimo de l'orchestre, pour des instants de désordre et de transports où les acteurs, semblant s'oublier eux-mêmes, portent leur égarement dans l'ame de tout spectateur sensible, et lui font éprouver le pouvoir de l'harmonie sobrement ménagée : mais ces instants doivent être rares, courts, et amenés avec art. Il faut, par une musique douce et affectueuse, avoir déja disposé l'oreille et le coeur à l'émotion, pour que l'une et l'autre se prêtent à ces ébranlements violents, et il faut qu'ils passent avec la rapidité qui convient à notre foi-blesse : car quand l'agitation est trop forte, elle ne peut durer, et tout ce qui est au-delà de la nature ne touche plus.

Comme je ne me flatte pas d'avoir pu me faire entendre par-tout assez clairement dans cet article, je crois devoir y joindreun exemple sur lequel le lecteur comparant mes idées pourra les concevoir plus aisément : il est tiré de l' Olympiade de M. Metastasio : les curieux feront bien de chercher dans la musique du même opéra, par Pergolèse, comment ce premier musicien de son temps et du nôtre a traité ce duo dont voici le sujet.

Mégaclès s'étant engagé à combattre pour son ami dans les jeux où le prix du vainqueur doit être la belle Aristée, retrouve dans cette même Aristée la maîtresse qu'il adore. Charmée du combat qu'il va soutenir et qu'elle attribue à son amour pour elle, Aristée lui dit à ce sujet les choses les plus tendres, aux-quelles il répond non moins tendrement, mais avec le désespoir secret de ne pouvoir retirer sa parole, ni se dispenser de faire, aux dépens de tout son bonheur, celui d'un ami auquel il doit la vie. Aristée, alarmée de la douleur qu'elle lit dans ses yeux et que confirment ses discours équivoques et interrompus, lui témoigne son inquiétude; et Mégaclès, ne pouvant plus supporter à-la-fois son désespoir et le trouble de sa maîtresse, part sans s'expliquer, et la laisse en proie aux plus vives craintes. C'est dans cette situation qu'ils chantent le duo suivant :

 

MÉGACLÈS

Mia vita..... addio.
Ne' giorni tuoi felici
Ricordati di me.

ARISTÉE.

Perchè cosi mi dici,
Anima mis, perchè?

MÉGACLÈS

Taci, bell' idol mio.

ARISTÉE.

Parla, mio dolce amor.

 

(Ensemble.)

MÉGACLÈS

Ah! che parlando,

ARISTÉE.

Ah! che tacendo,

     oh Dio!

 

Tu mi traffigi il cor!
(à part.)
Veggio languir chi adoro,
Ne intendo chi adoro
Ne intendo il suo languir!

MÉGACLÈS, à part
Di gelosia mi moro,
E non Io posso dir !

TOUS DEUX, ensemble.

Chi mai provô di questo
Affanno più funesto,
Più barbaro dolor?

 

Bien que tout ce dialogue semble n'être qu'une suite de la scène, ce qui le rassemble en un seul duo, c'est l'unité de dessin par laquelle le musicien en réunit toutes les parties, selon l'intention du poète.

A l'égard des duos bouffons qu'on emploie dans les intermèdes et autres opéras corniques, ils ne sont pas communément à voix égales, mais entre basse et dessus. S'ils n'ont pas le pathétique des duos tragiques, en revanche ils sont susceptibles d'une variété plus piquante, d'accents plus différents et de caractères plus marqués. Toute la gentillesse de la coquetterie, toute la charge des rôles à manteaux, tout le contraste des sottises de notre sexe et de la ruse de l'autre, enfin toutes les idées accessoires dont le sujet est susceptible ; ces choses peuvent concourir toutes à jeter de l'agrément et de l'intérêt dans ces duos, dont les règles sont d'ailleurs les mêmes que des précédents en ce qui regarde le dialogue et l'unité de mélodie. Pour trouver un duo comique parfait à mon gré dans toutes ses parties, je ne quitte-rai point l'auteur immortel qui m'a fourni les deux autres exemples; mais je citerai le: premier duo de la Serva Padrona : Lo conosco a quegl' occhietti, etc., et je le citerai hardiment comme un modèle de chant agréable, d'unité de mélodie, d'harmonie simple, brillante et pure, d'accent, de dialogue et de goût auquel rien ne peut manquer, quand il sera bien rendu, que des auditeurs qui sachent l'entendre et l'estimer ce qu'il vaut.

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