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Carmen de Georges Bizet, London Symphonie Orchestra, sous la direction de Georg Solti (1976)

Georges Bizet, Carmen, Troyanos, Domingo, Van Dam, Te Kanawa, London Symphonie Orchestra, sous la direction de Georg Solti. 3 disques 33 t. stéréo, DECCA 1976 [7451/53].

Enregistré en juillet et décembre 1975, au Henry Wood Hall, London.

Carmen (Tatiana Troyanos), Don Jose (Placido Domingo), Escamillo (José van Dam), Micaela (Kiri te Kanawa), Frasquita (Norma Burrowes),Mercedes (Jane Berbié), Dancaïre (Michel Roux), Remendado (Michel Sénéchal),Zuniga (Pierre Thau), Morales (Thomas Allen), Lilias Pastia (Jacques Loreau), Guide (Guillaume Berbié.)

John Alldis Choir (director: John Alldis) ; Boys Chorus from Haberdashers' Aske's School ; Elstree. Director : Alan Taylor.

London Philharmonic Orchestra, Conductor: Georg Solti.

Le livret

Face 1. Prélude, acte I.
Face 2.
Face 3, entracte, acte II.
Face 4, entracte, scène 1.
Face 5.
Face 6. entracte, scène 2.

Le fascicule d'accompagnement français et anglais : 1. My Recording of Carmen-1975 by Georg Solti = Ma réalisation de Carmen_1975, par Georg Solti ; 2. Carmen's Place in History, par Winton Dean= Situation de Carmen dans l'histoire, par Winton Dean ; 3. Synopsis ; 4. Side Analysis ; 5.Libretto. [+... télécharger]

Ma réalisation de Carmen - 1975, par Georg Solti

« L'orchestre n'arrête pas de babiller et de raconter interminablement des choses qu'on ne lui demande pas ». « Nourri de succulences  enharmoniques comme tous les prophètes de la musique future, Bizet semble avoir mis, au contraire, son âme à une telle diète qu'elle en est morte... d'ingénieux détails dans l'orchestre, des dissonances risquées et maintes subtilités instrumentales n'arrivent pourtant pas à nous rendre sensibles les tourments utérins de Mlle Carmen ni les désirs de ses amants dévoyés... la musique manque de nouveauté autant que de distinction. Il n'y a ni plan, ni unité de style... ce n’est, en définitive ni dramatique ni spectaculaire ».

C'est ainsi que les critiques du Monde Illustré et du Siècle parlèrent de la première représentation de Carmen en mlars 1875. On devine quel four monumental s'ensuivit. La sensualité de la musique, les passions sauvages illustrées par l’intrigue tout autant que la « basse extraction » des personnages principaux choquèrent profondément la sensibilité du public. Jamais, auparavant, on n’avait vu autant de prolétaires sur une scène d’opéra : contrebandiers, romanichels, ouvrières, caporaux, gens du commun déambulant en fumant leur cigarette ! Pas un seul capitaine, point de généraux ni de barons, ni de Prince mais seulement du petit peuple dont le comportement semblait choquante immoralité aux gens « bien » de la classe moyenne, considérant l’opéra comme un endroit adéquat pour faire rencontrer leurs progénitures en vue de mariage. Certes, un opéra tel que Carmen était mal adapté à de telles préoccupations et personne, pas même les experts, ne semble avoir flairé le génie de Bizet.

La Carmen qu’écrivit Bizet était un opéra avec dialogues parlés. Cet élément me servit de point de départ lorsque j'envisageai la réalisation du présent enregistrement car je souhaitais m’approcher autant que possible de ce que je crois avoir été les voeux de Bizet concernant son opéra. Celà dit, il me faut souligner que personne au monde ne peut prétendre savoir ce que Bizet lui-même aurait souhaité. Nous possédons, en effet, deux versions différentes de cet opéra sous sa forme dialoguée : celle publiée par le musicologue allemand bien connu Fritz Oeser, fondée sur un manuscrit relativement ancien de l'oeuvre, et la partition-chant éditée par Choudens en 1875, laquelle représente, sans doute, ce qui fut joué le premier soir. En gros, la version Oeser dure 15 minutes de plus si bien qu’en comparant les deux nous pouvons savoir quels passages ont été coupés ou modifiés au cours des répétitions.

Ce que, cependant, nous ne saurons jamais, c’est quelles modifications Bizet lui-même souhaita faire ou encore s’il a jamais souhaité en faire aucune. Les coupures ont pu être pratiquées pour des raisons de commodité, (les uns ou les autres prétendant, par exemple, que le passage en question était trop long, ou trop difficile ou quoi que ce soit d’autre) plutôt que pour des raisons purement musicales qui eussent relevées de la seule expérience et du seul jugement de Bizet. II est donc possible que toutes les coupures lui ont été imposées et que lui- même souhaitait entendre l’intégrité de la version la plus longue. Mais il est egalement admissible que toutes les coupures aient été décidées par lui et que l’édition Choudens 1875 représente ses dernières volontés en ce domaine. Il est enfin probable que la vérité se situe entre ces deux extrêmes : que certaines coupures aient été imposées et que d'autres soient le fait de l’auteur. Nous n’en savons tout simplement rien.

En insistant sur le fait que Bizet avait conçu et écrit son Opéra avec dialogues parlés. Je ne souhaite pas le moins du monde nier le talent manifesté par Guiraud lorsqu’après la mort de Bizet, il écrivit d’admirables récitatifs avec orchestre (l'honnêteté exige de le reconnaître), certains d’entre eux étant si réussis qu'il serait bien difficile de dire s’ils sont, ou non. du Bizet authentique si nous ne savions déjà, ce que le compositeur avait écrit réellement. Guiraud eut une extraordinaire faculté de s'adapter au style des compositeurs et, par exemple, il écrivit des récitatifs tout aussi réussis pour Offenbach. Mais malgré (ou peut-être à cause de) cet admirable talent, ce qu'il a écrit n’est jamais qu'une falsification de l'Opéra de Bizet puisqu'il a introduit des récitatifs que l'auteur n’a jamais souhaités.

J'ai été moi-même élevé avec Carmen dans la version Guiraud. Tout enfant, à Budapest, je la découvris en Hongrie : ma soeur chantait Micaela et je connaissais donc par cœur la musique de Micaela, version Guiraud, dès mes 8 ou 9 ans. Lorsqu’en 1946 je fus nommé directeur artistique de l’opéra d’État de Munich, la première œuvre que j’entrepris de monter fut Carmen. Six ans plus tard, ce fut Frankfort et, comme par hasard, Carmen fut encore le premier oéra que j’entrepris d’y jouer. Je pense avoir dirigé Carmen au moins 50 fois tandis que je travaillais en Allemagne, toujours dans la traduction allemande mais avec les récitatifs chantés. Ce n'est qu’après ma nomination à Covent Garden, en 1961, que j’appris qu’il y avait une autre version que celle de Guiraud, publiée par Choudens en 1875. Au début des années 60 on parla, en outre, beaucoup d’une troisième version de Carmen : Herr Fritz Oeser avait découvert, dans une bibliothèque parisienne, une partition manuscrite de la main de Bizet, antérieure à toutes celles étudiées jusqu'alors, partition qui contenait des passages qui m'étaient entièrement inconnus. Lorsque j'eus cette édition en main, je décidai de la monter à Covent Garden et, en 1967, nous offrîmes un spectacle fondé sur la version Oeser, Charles Mackerras étant au pupitre. Simultanément il m’apparut qu’il était clair comme le jour que l’opéra, avec dialogues parlés, était le plus authentique et que, désormais, rien d'autre n’était à considérer.

Une des raisons pour lesquelles cette version dialoguée est beaucoup plus efficace que celle de Guiraud, vient de l’équilibre entre le parlé et le chanté, dosage dont Bizet use d’une façon dramatique remarquable. Carmen est, de toute évidence, un mélange de comédie et de tragédie. Dans le premier acte, la légèreté est maintenue par les dialogues avec seulement quelques allusions aux scènes dramatiques qui vont venir. Plus tard, tandis que la tragédie prend le dessus, les textes parlés se font de plus en plus rares tandis que la musique s’impose définitivement pour soutenir l’émotion, et ceci jusqu’au dernier acte où il n'y a pratiquement plus de dialogue. Les idées et les sentiments sont alors entièrement chantés, comme ils le seraient dans Wagner — non pas en récitatifs mais en ariosos, ariosos rapides il est vrai — et ceci parce que l'émotion est trop forte pour être exprimée par du texte.

Les récitatifs de Guiraud avaient détruit cet équilibre savant entre le parlé et le chanté, mais ceci n’est très apparent que lorsque l’œuvre est donnée dans sa version originale française. Si elle est chantée en allemand, en hongrois ou même en anglais, qui sont des langues beaucoup plus sonores, cette évolution est beaucoup moins sensible et c’est peut-être pourquoi je me suis si longtemps contenté de la version Guiraud.

La Carmen authentique de Bizet, avec dialogues parlés, est un chef d’œuvre que je place, en tant que produit d'un génie absolument original et sans antécédents, sur le même plan que « Les Maîtres Chanteurs » et « Don Giovanni ». Je ne suis certes pas le seul faut-il le dire, et il n’est pas indifférent de rappeler que Carmen est l’opéra le plus souvent joué partout dans le monde, dépassant même, en célébrité, Paillasse et Cavalleria Rusticana. L’œuvre est d'une construction admirablement équilibrée et d’une extraordinaire précision : Bizet est capable d’exprimer en 16 mesures ce que presque tout autre compositeur aurait dit en 160 et peut être sans y parvenir avec le même succès.

J’ai quitté Covent Garden en 1971 mais j’y retournai deux ans plus tard, pour y diriger une nouvelle Carmen, à nouveau dans sa version dialoguée. On y suivait, quasi telle-quelle, la version Oeser. Ces représentations remportèrent un grand succès mais on me fit le reproche d’accepter les idées d’Oeser dans leur totalité, sans avoir pris connaissance des arguments que l’on pouvait développer à l’encontre de certains de ses aspects. Il y avait quelque vérité dans ce reproche mais je dois faire remarquer qu’au cours des répétitions j’avais proposé de supprimer quelques passages qui, à mon sens, faisaient longueur ou n'étaient pas d’une qualité égale au reste, ou encore qui risquaient de compromettre la tension dramatique. Cependant après avoir discuté avec mon assistant Jeffrey Tate — qui m’apporta, aussi, son aide inestimable pour la réalisation de cet enregistrement, ce dont je tiens à le remercier avec gratitude — je me convainquis que l’œuvre serait plus homogène en coupant le moins possible.

Lorsque nous en fûmes à réaliser les présents disques, il est évident qu’il me fallut repenser encore cette question des allègements. Jeffrey Tate m’accompagna auprès d’un éminent musicologue anglais, Winton Dean, lequel avait beaucoup écrit sur la partition Choudens 1875, laquelle représente, à ses yeux, la version finale souhaitée par Bizet, à l’exception envisageable de quelques détails sur lesquels il admettait que l'on pouvait discuter. Je rendis également visite à Herr Oeser, en Allemagne, lequel, je le crains, ne sera pas autrement satisfait de ce que je n'utilise qu’une petite partie de sa version, ce dont je n’ai pourtant pas à me tourmenter outre mesure puisqu'il me donna, de plein gré, carte blanche pour l’utiliser ou éliminer à ma guise.

Sur la base de ces contacts avec deux musicologues d’opinion parfois différente, je me persuadai que mon travail était de garder tout ce qui dans la version Oeser me paraissait bon, mais en la délestant de tout ce qui, à mes yeux, pouvait y faire traîner l’action en longueur ou de ce qui n’ÿ est pas, musicalement parlant, aussi bon que dans la version Choudens 1875, j’ai suivi alors le texte de cette dernière édition. Etant donné qu’il est aujourd’hui impossible de savoir quelle était la volonté exacte de Bizet, ces décisions ont été prises d’après le pratique que j’avais acquise en dirigeant l'œuvre et d'après l’idée que je me fais de l’adéquation, ou de l’inopportunité, de tel passage avec tel contexte. Je ne saurais dire si la version que je propose est conforme aux vœux de Bizet (personne ne pourrait le dire) mais c'est un texte que j'ai établi en toute conscience et usant de toute mon expérience.

 

© Musicologie.org
2 avril 2021

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Vendredi 2 Avril, 2021