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Monaco, le 25 mars 2024 —— Jean-Luc Vannier.

La Fille du régiment à l’opéra de Monte-Carlo : on signe !

La Fille du régimentLa Fille du régiment. Opéra de Monte-Carlo. Photographie © OMC-Marco Borrelli.

Jean-Louis Grinda est bien un homme de théâtre. Et un homme heureux. L’ancien directeur de l’opéra de Monte-Carlo savourait, dimanche 24 mars salle Garnier, l’incontestable succès de sa mise en scène dans une nouvelle production de La Fille du régiment de Gaetano Donizetti (1797-1848). Au point d’entendre ici ou là dans l’atrium de l’opéra pendant la pause, des commentaires tels que celui d’Alphonse Aulard en 1885 : « Ah que la République était belle sous l’Empire ! ».

Cette œuvre en deux actes ne suscite, lors de sa création le 11 février 1840 à l’Opéra-Comique, que peu d’engouement : elle ne tient d’ailleurs l’affiche que deux petites semaines. Il est vrai que le compositeur propose alors simultanément plusieurs autres pièces à l’Opéra, au Théâtre de la Renaissance et au Théâtre-Italien : « on ne peut plus dire : les théâtres lyriques de Paris », s’insurge Hector Berliozdans Le Journal des débats du 16 février 1840, mais « les théâtres lyriques de M. Donizetti », accusant ce dernier de livrer « une véritable guerre d’invasion ».

Regula MühlemannRegula Mühlemann (Marie). Photographie © OMC-Marco Borrelli.

Cet opéra possède nombre de qualités à même de séduire le public : enchainement rythmé des scènes, respiration initiée par des intervalles parlés, alternance subtile entre élans militaires nourris de cet esprit cocardier à la gloire de la France – l’année 1840 est aussi celle du retour des « cendres » de Napoléon aux Invalides – et épisodes comiques agencés par Jean-Louis Grinda avec une truculence qui rappelle, outre les somptueux costumes de Jorge Jara, son Falstaff. Indubitablement, du Jacques Offenbach avant l’heure. Mais nous y trouvons aussi de superbes mélodies dramatiques : en témoignent l’air de Marie « Il faut partir » au premier acte de même que celui du second « Mon sort » introduit par un magnifique violoncelle solo (Delphine Perrone). Des arias qui annoncent celles de La Favorite quelques mois plus tard à l’Opéra de Paris. Nous décelons par surcroît quelques échos subreptices à L’Elixir d’Amour (1832) où l’air de Tonio à l’acte II « S’il me fallait cesser d’aimer » se termine comme celui de Nemorino « si puo morir » du célébrissime « Una furtiva lagrima ».

Sous la baguette attentive mais classique de Ion Marin, l’orchestre philharmonique de Monte-Carlo fait crépiter les accents guerriers et autres marches militaires d’une Ouverture enrichie d’un prologue en vidéo signé Gabriel Grinda. Pour s’ouvrir sur les – toujours admirables – chœurs de l’opéra (Stefano Visconti) : les masculins – un peu trop – tremblotants devant les grognards napoléoniens envahisseurs du Tyrol, observent « L’ennemi s’avance, Amis, armons-nous ! » tandis que ceux des femmes implorent à genoux la « Sainte Madone ! ».

La Fille du régimentRegula Mühlemann (Marie) et Javier Camarena (Tonio). Photographie © OMC-Marco Borrelli.

Quoique légère, la partition n’en regorge pas moins d’acrobaties vocales qui requièrent une distribution, principalement celle du couple Marie et Tonio, des plus exigeantes. Dans le rôle-titre et prise de rôle, la soprano Regula Mühlemann, entendue à la Staatsoper de Vienne dans Die Entführung aus dem Serail, puis, plus récemment à Monaco dans Ein deutsches Requiem, nous réjouit tout comme elle nous émeut : voix charmante par sa fraîcheur juvénile dans « Et comme un soldat, j’ai du cœur ! » ou par son « chant du régiment » et ce, avec un effort considérable – nous l’apprécions – de diction. Mais plus encore par les accents déchirants – un suraigu retenu et de toute beauté en finale – de son chant d’adieu à l’acte I, par ses parfaites vocalises dans sa « leçon de chant » avec la marquise ainsi que par sa cavatine « Par le rang et l’opulence » à l’acte II. Ovation garantie.

Doté de cette incandescence de timbre, celle des grands ténors qui enflamme les salles, Javier Camarena se paie avec Tonio un moment de gloire personnelle avec son « Ah mes amis, quel jour de fête ! » : air connu pour le contre-ut à répétition. Et, afin d’infliger un vigoureux démenti à l’apparente faiblesse du dernier d’entre eux, il aura à cœur, après une salve interminable d’applaudissements enthousiastes, de nous gratifier d’un « bis » où il montrera avec encore plus d’aisance et de netteté, son impeccable maitrise technique de montée en puissance et de restitution contrôlé du souffle. Assurément, du grand art.

La Fille du régimentLa Fille du régiment. Opéra de Monte-Carlo. Photographie © OMC-Marco Borrelli.

Très belle prestation de Jean-François Lapointe (Sulpice) dont nous retrouvons avec plaisir toute la palette intonative d’une infaillible ligne de chant. Tout aussi agréable Marie Gautrot (La Marquise de Berkenfield et Albine dans Thaïs). Magnifique composition de drôlerie de Jean-François Vinciguerra (La Duchesse de Crakentorp et Tourillon dans une Chauve-souris marseillaise).

Si La Favorite a, en France, le statut de « chef-d’œuvre de Donizetti » pendant tout le xixe siècle, alors que c’est Lucia di Lammermoor  qui triomphe dans le reste de l’Europe, la « 1000ème » représentation à l’Opéra-Comique de La Fille du régiment interviendra en janvier 1908 (H. Lacombe, Histoire de l’opéra français, du Consulat aux débuts de la IIIe République, Fayard, 2020, p. 1159). Autant dire que « l’invasion » perdure. Et plaît.

 

Jean-Luc Vannier
Monaco, le 25 mars 2024
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Mardi 26 Mars, 2024 17:04