Marseille, 22 février 2023 —— Jean-Luc Vannier.
Héloïse Mas (Carmen) et Amadi Lagha (Don José). Photographie © Christian Dresse.
« Le xixe siècle est l’époque du “voyage d’Espagne” comme on l’appelait alors… On cherche en Espagne, dont l’Andalousie est l’essence, une énergie humaine que l’on croit exsangue dans le nord » (Hervé Lacombe, Christine Rodriguez, La Habanera de Carmen, Fayard, 2014, p. 48). Nous pouvions donc, légitimement, espérer découvrir, mardi 21 février à l’opéra de Marseille, une Carmen impétueuse, au tempérament bien trempé ! Et ce, d’autant plus qu’il s’agissait d’une coproduction de trois prestigieux établissements lyriques : Marseille, le Capitole de Toulouse et Monte-Carlo. Las !
Assistée de Vanessa d’Ayral de Serignac, la mise en scène de Jean-Louis Grinda manque cette fois-ci étonnamment d’inspiration : deux immenses parois métallisées d’une arène imaginaire ne cessent d’effectuer des rotations sur le plateau, clivant récurremment l’espace scénique sans que le sens profond de cette mobilité du décor (Rudy Sabounghi) daigne nous apparaitre. Au risque de nous occasionner le vertige, cet incessant « tournez manège ! » au ralenti freine, voire rigidifie le bon déroulement de l’action : à l’instar du dernier acte où une vidéo (Gabriel Grinda) projette à deux reprises sur l’un de ces murs — une seule fois aurait amplement suffi — l’image du toréro en train de prier avant d’entrer dans l’arène. Pour quelles raisons en outre l’ouverture devrait-elle forcément résumer — et ainsi déflorer — au public la trame de l’œuvre jusqu’à la mort de Carmen ? Saluons, en revanche, la performance indiscutable de la danseuse de Flamenco Irene Rodriguez Olvera : sa prestation galvanise la dramaturgie.
Irene Rodriguez Olvera (Danseuse). Photographie © Christian Dresse.
La distribution — c’est regrettable de devoir l’écrire ainsi — nous aura franchement laissé sur notre faim. Entendue dans le rôle de Siebel d’un Faust monégasque, Héloïse Mas ne parvient pas véritablement à convaincre dans celui de Carmen : outre une tessiture très orientée vers les graves — son « à toi » du « prends garde » nous plonge dans un caverneux sépulcral —, son registre vocal beaucoup trop monolithe nous prive de cet envoûtement fascinant, de cette audace latente mais empreinte de fougue tumultueuse dans la « Habanera » — tout comme dans son « Près des remparts de Séville » qui pourtant fait appel à bien d’autres affects — dont Nietzsche rappelait, sur son exemplaire de la partition, « qu’elle est un exercice de séduction, irrésistible, satanique, ironiquement provocant » (Joseph-Marc Bailbé, « Carmen de Bizet », in Histoire et littérature : les écrivains et la politique, PUF, 1977, p. 411). Tout aussi monochrome dans l’expression, sans couleur jusqu’à oublier la beauté renversante, subtile imploration du cœur humain épris, du pianissimo sur le si bémol aigu final du « j’étais une chose à toi » dans l’air « La fleur que tu m’avais jetée », le Don José d’Amadi Lagha s’agite en outre sur scène dans un grand désordre et, probablement, aux dépens de sa concentration vocale. Desservie par une diction défaillante et une très faible projection de sa voix, la Michaela d’Alexandra Marcellier ne s’impose pas non plus. Les deux complices féminines de Carmen (Charlotte Despaux pour Frasquita et Marie Kalinine pour Mercédès) feraient presque de l’ombre aux deux principales héroïnes par leur chant densément coloré et agréablement enjoué. Nonobstant quelques difficultés dans les notes basses, Jean-François Lapointe s’en sort nettement mieux dans le personnage d’Escamillo.
Jean-François Lapointe (Escamillo). Photographie © Christian Dresse.
Nous n’en adresserons que plus d’éloges à la direction de l’orchestre, des chœurs de l’opéra de Marseille (Emmanuel Trenque) et des enfants de la Maîtrise des Bouches-du-Rhône (Samuel Coquard) par Victorien Vanoosten. Direction magistrale des pupitres dont chaque intervention est minutieusement lancée — quelle panoplie inventive et variée dans la gestuelle ! — sans qu’il ne lâche rien par ailleurs dans la conduite des artistes sur le plateau. Mais nous devinons aisément l’obligation dans laquelle il s’est souvent retrouvé, ici de ralentir considérablement le tempo, là d’abaisser le volume sonore de l’orchestre, afin de s’adapter aux difficultés des chanteurs. Il n’empêche qu’il nous délivre une superbe ouverture et, plus encore, une magnifique peinture orchestrale au tout début de l’acte III.
Carmen. Opéra de Marseille. Photographie © Christian Dresse.
Formé à Marseille puis auprès de Daniel Barenboim à Berlin, le jeune maestro dirigera bientôt à Vilnius l’orchestre national de Lituanie dans Daphnis et Chloé de Maurice Ravel (18 mars) avant de faire ses « débuts » le 16 avril au Musikverein de Vienne avec le Tonkünstler-Orchester dans un programme Respighi, Bartók et Debussy. Sans oublier, fin juin, un concert « Folle soirée de l’opéra radio classique » au TCE avec notamment Karine Deshayes.
Marseille, le 22 février 2023
Jean-Luc Vannier
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Mercredi 22 Février, 2023 18:33