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30 octobre 2014, par Jean-Luc Vannier ——

La Habanera de « Carmen » : prends garde au tube !

La Habanera de Carmen

Lacombe Hervé et Rodriguez Christine, La habanera de Carmen : Naissance d'un tube, Fayard, Paris 2014 [224 p. ; ISBN 978-2-213-68261-7 ; 17,00 €].

Entre Nina Hagen qui la chante à Berlin en 1982, le Théâtre du Pont du Ciel de Pékin qui en fait, le 1er janvier de la même année, le premier ouvrage lyrique occidental à être traduit en chinois et le Muppets Show dont un numéro — hilarant — lui est dédié, que reste-t-il de la sulfureuse héroïne de Prosper Mérimée, de cette petite musique espagnole d'origine cubaine et de la première, le 3 mars 1875 à Paris, de cet opéra composé par Georges Bizet ? À lire la passionnante étude qu'Hervé Lacombe, auteur des biographies de Bizet et de Poulenc assisté par Christine Rodriguez, consacrent à cette « irrépressible Marseillaise » de la psyché  amoureuse selon l'expression de Peter Szendy, « La Habanera de Carmen » ne fut pas véritablement un « enfant de Bohème ». Comment cela se pourrait-il, expliquent les spécialistes dès leur introduction, lorsque « l'essentiel des paroles n'est pas le fait du librettiste mais du compositeur », « l'exotique entrée en scène » du rôle-titre « ne vient pas du compositeur mais de l'interprète » tandis que les « principaux thèmes musicaux » n'émanent pas de Bizet mais d'un « autre compositeur qui lui-même s'est inspiré de musiques cubaines devenues espagnoles ! ». 

Universalité d'un « texte littéraire » qui sollicite « mille influences » géographiques, humaines et où la chanson « sorte de mécanique répétitive, sidérante, hypnotique », consacre cette « pulsion de vie sans oblitérer la menace qu'elle implique ». Un « exercice de séduction irrésistible, satanique, ironiquement provocant » écrira Nietzsche sur l'exemplaire de sa partition. Pour en saisir toutes les articulations, les deux auteurs nous entraînent, avec force détails et anecdotes, dans l'histoire du genre, la saga du personnage de Carmen et l'archéologie de la composition musicale. Aussi érotique que les volutes de cigares à la mode qui enveloppent sa gestation, voyageuse du bout du monde, de l'Espagne aux Caraïbes jusqu'aux Philippine où un ami de George Sand entend parler d'une « Carmencita », « corps scandaleux » que la première interprète Célestine Galli-Marié sut « rendre à l'imagination du spectateur », « La Habanera » échappe à son créateur quelques mois à peine après la mort de Bizet : elle inspirera, à en croire Hervé Lacombe et Christine Rodriguez, L'España d'Emmanuel Chabrier (1883), la Havanaise pour piano et violon de Camille Saint-Saëns (1887), « Les parfums de la nuit » deuxième partie d'Iberia de Claude Debussy (1905-1908) ou le troisième mouvement de la Rapsodie espagnole de Maurice Ravel (1907-1908).

À se concentrer exclusivement sur ce qu'ils tiennent pour « l'emblème » de Carmen, les auteurs délaissent l'intérêt susceptible d'être porté aux autres arias de l'œuvre. Lesquelles pourraient peut-être éclairer, voire rehausser le retentissement dans l'après-coup de cette « Habanera » : le « poison » de la séduction n'opère-t-il pas encore dans l'air de la séguedille à propos duquel Monserrat Caballé rappelait la nécessité « non de hurler mais de susurrer cette chanson d'amour à l'oreille du geôlier » ? N'est-ce pas à ce moment « d'abandon » par Don José libérant Carmen que se noue et bascule l'intrigue ? Si « l'amour » et le verbe « aimer » sont entendus plus de cinquante fois dans « La Habanera », ne faut-il pas attendre l'ultime parole du grand air de José « La fleur que tu m'avais jetée » pour lui entendre dire, enfin : « Carmen, je t'aime » ?

Nice, le 30 octobre 2014
Jean-Luc Vannier


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