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Victorien Vanoosten dirige magistralement Hérodiade à l’opéra de Marseille

Béatrice Uria-Monzon (Hérodiade) et Jean-François Lapointe (Hérode). Photographie © Christian Dresse.

Marseille, 23 mars 2018, par Jean-Luc Vannier ——

« C’est un opéra joué à peu près tous les vingt ans » nous assurait un mélomane à l’issue, vendredi 23 mars, de la première représentation de Hérodiade. Marseille n’avait d’ailleurs pas monté cette œuvre de Jules Massenet inspirée du dernier des « Trois Contes » de Gustave Flaubert Hérodias depuis…1966. En coproduction avec l’Opéra de Saint-Étienne, cette nouvelle production marseillaise reprend cette adaptation tellement libre du récit biblique qu’elle fit dire à Camille Saint-Saëns : « ce type étrange de puberté lascive et d’inconsciente cruauté qui a nom Salomé, fleur du mal éclose dans l’ombre du temple, énigmatique et fascinante, s’était changée en Marie-Magdeleine ». Mais Massenet aimait tellement les femmes que son opéra, créé au Théâtre de la Monnaie de Bruxelles le 19 décembre 1881, ne pouvait pas occulter l’incandescente passion amoureuse de l’héroïne et, plus encore, ne pas faire trébucher le prophète Jean devant tant de sensualité : pas de grâce sans défaillance, nous rappelle l’apôtre Paul ! La Première à Lyon, en 1885, faillit d’ailleurs encourir les foudres de la censure du Primat des Gaules. Une dualité érotisme-église constante chez ce compositeur et dont l’air « rappelle-toi » entre Hérodiade et Hérode à l’acte I annonce, trois années plus tard, les retrouvailles torrides entre Manon et le chevalier Des Grieux au parloir de Saint-Sulpice.

Florian Laconi (Jean) et Inva Mula (Salomé). Photographie © Christian Dresse.

Pourtant, la véritable trame d’Hérodiade se situe dans cette souffrance violente mais enfouie, de la filiation rompue entre une mère et sa fille : Hérodiade a abandonné très tôt Salomé pour le pouvoir d’où sa haine pour celle-ci dont le retour en menace la détention et l’exercice tandis que sa fille, en recherche de sa mère — ses toutes premières paroles dans l’œuvre — croit en trouver un substitut transférentiel dans la douceur mystique, sacrificielle et féminine qui émane de Jean le Baptiste.

Ce que le remarquable travail du directeur musical, à lire sa note d’intention où il explique son « intérêt particulier pour la psychologie des personnages telle que dépeinte par Flaubert », a bien saisi : « D’où vient cette haine et cette lutte pour le pouvoir au détriment même de l’existence de sa propre fille ? » s’interroge celui qui avait déjà – superbement –  dirigé comme premier travail de chef d’orchestre Le Portrait de Manon sur la Canebière.

Inva Mula (Salomé) et Jean-François Lapointe (Hérode). Photographie © Christian Dresse.

Une direction musicale sur laquelle nous ne tarirons pas d’éloges, et ce pour plusieurs raisons. En premier lieu, et comme il nous le confiait déjà dans un entretien en octobre 2015 ,  un travail minutieux de la partition mais aussi, pour cette Hérodiade, une étude du « contexte de cette création musicale et des sources littéraires du livret ».  Et de préciser : « je prête alors, de plus en plus, une attention particulière aux détails de phrasé, d’articulations, de relation entre la musique et le texte, d’orchestration, d’équilibres et de beaucoup d’autres choses » . Mais celui qui reconnaît apprendre beaucoup de sa collaboration actuelle, en tant qu’assistant, de Daniel Barenboim, « souhaite aussi représenter Massenet dans une ligne résolument moderne,  notamment dans le travail de la prosodie et dans le choix des tempi ». Un maestro qui sait, lorsqu’il n’a pas besoin d’être vu du plateau comme dans les interludes musicaux — systématiquement et légitimement applaudis — se séparer de sa baguette pour diriger avec beaucoup d’expressivité corporelle et à mains nues. Ou qui, assumant sa morphologie longiligne, écarte, à l’acte I les bras en croix afin d’obtenir cette amplitude sonore et cette intensité de couleurs de la part de l’orchestre de l’opéra de Marseille aux effectifs renforcés. Comme pour un « orchestre straussien » précise le maestro. Une direction aussi sans faille du plateau et des chœurs particulièrement imposants (52 artistes, des doubles-chœurs et même quelques triples-chœurs, explique leur chef Emmanuel Trenque), tous deux suivis avec méticulosité : « pendant les répétitions scéniques, je suis très présent pour conseiller les chanteurs et je souhaite aussi trouver de petits moments avec chacun d’eux pour travailler plus en profondeur, comme une mélodie ou un lied » ajoute celui qui dirigera dès avril prochain Les pêcheurs de perles de Georges Bizet à la nouvelle Staatsoper de Berlin.

Hérodiade. Opéra de Marseille. Photographie © Christian Dresse.

La mise en scène de Jean-Louis Pichon met en exergue ce qu’il appelle « la vision irréductiblement pessimiste de Flaubert, thème fondamental de cette œuvre dans laquelle il faut bien reconnaître une véritable tragédie qui, à sa manière, détruira tous les protagonistes ».  D’où un décor sombre, anxiogène et des costumes d’une couleur de sable aussi friable que le destin des personnages, signés Jérôme Bourdin.

Nous serons plus embarrassés par la distribution. Et ce, malgré une seconde partie (actes III et IV) nettement plus investie vocalement.  Deux exceptions : celle, remarquable, d’Hérode superbement incarné par le baryton Jean-François Lapointe. Lequel, dans ces deux dernières saisons, n’aura pas démérité par des prises réussies de grands rôles. Et celle aussi,  dans le personnage de Phanuel, de la basse Nicolas Courjal qui sait brillamment jongler avec de multiples registres vocaux.

Nous serons moins laudatifs avec les voix féminines. La Salomé d’Inva Mula ne nous convainc guère tant la soprano restreint, volontairement ou non, sa ligne de chant, évite les aigus exigeants et peine à compenser ces faiblesses par son jeu scénique. Des faiblesses lyriques que nous avions déjà relevées dans son Adina d’un Elisir d’amore à Marseille en décembre 2014 mais aussi qu’un de nos confrères avait mentionnées en juin de la même année dans une version concertante d’Othello à Pleyel.

Hérodiade. Opéra de Marseille. Photographie © Christian Dresse.

Entendue dans le rôle de Léonor à Monte-Carlo,  Béatrice Uria-Monzon, dont il faut — enfin — saluer les efforts d’une diction auparavant aléatoire et qui faisait sa mauvaise réputation malgré ses indéniables qualités vocales, campe une Hérodiade puissante et résolue. Le Jean du ténor Florian Laconi se rattrape fort heureusement en seconde partie avec d’impressionnants forte mais n’échappe pas au sentiment d’une certaine fragilité dans sa ligne de chant. La soprano Bénédicte Roussenq-Canavaggia (La Babylonienne), le baryton Jean-Marie Delpas (Vitellius), la basse Antoine Garcin (Le Grand Prêtre), le ténor Christophe Berry (La Voix du temple) complètent, avec les danseuses des ballets imposés par l’académisme lyrique hexagonal de l’époque (Laurie Delenclos, Emilie Eliazord, Clémentine Faurant et Charlotte kah), cette belle prestation d’ensemble.

Marseille, le 24 mars 2018
Jean-Luc Vannier

 

Jean-Luc Vannier, jlv@musicologie.org, ses derniers articles : José Cura, magnifique Peter Grimes à l’opéra de Monte-Carlo Il Barbiere di Siviglia en rêve de musique à l'opéra de MarseilleLumière et ombres de l’étoile Netrebko au Grimaldi Forum de MonacoOlga Peretyatko et Juan Diego Florez réunis pour Les Contes d'Hoffmann à l'opéra de Monte-CarloGustavo Dudamel dirige sans passion la Wiener Philharmoniker à l'opéra de Monte-CarloToutes les chroniques de Jean-Luc Vannier.

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bouquetin

Samedi 24 Mars, 2018 18:24