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Jean-François Lapointe Hamlet corps et âme à l'opéra de Marseille

Jean-François Lapointe (Hamlet), Sylvie Brunet-Grupposo (Gertrude), et Marc Barrard (Claudius)Jean-François Lapointe (Hamlet), Sylvie Brunet-Grupposo (Gertrude), et Marc Barrard (Claudius). Photographie © Christian Dresse.

Une ouverture de saison lyrique, c'est un défi. Elle imprime, parfois, le reste de la programmation de l'année mais s'impose, presque toujours, au souvenir des mélomanes. En coproduction avec l'opéra national du Rhin, l'opéra de Marseille tentait, mardi 27 septembre pour sa première, un audacieux pari. In fine réussi : Hamlet du compositeur français Ambroise Thomas (1811-1896). Créée à l'Académie impériale de musique le 9 mars 1868 sur un livret de Jules Barbier et de Michel Carré, cette œuvre en 5 actes et 7 tableaux s'inspire du drame de Shakespeare. Elle offre néanmoins de singuliers contrastes. Le fait le plus étrange surgit au gré de son déroulement: nous croyons repérer ici ou là telle ou telle mélodie, telle ou telle orchestration, certes moins élaborée mais suffisamment explicite pour laisser affleurer en nous le sentiment que ces dernières sont le fruit d'autres compositeurs, contemporains ou successeurs nettement plus connus qu'Ambroise Thomas.

L'ouverture ressemble, par exemple, à l'une de celles à même d'être savourée chez Verdi (1813-1901), mais nettement moins dense et moins épanouie que celles du maître de Parme. La légèreté du chœur « Chassons l'ennui » à l'acte I nous plonge soudainement dans une atmosphère insouciante digne d'une opérette de Jacques Offenbach (1819-1880). Mais le plus spectaculaire et sans aucun doute le plus déconcertant, provient des ondulations et des sauts de rythme de l'ouvrage qui semblent annoncer, là encore avec moins de poésie, moins  de raffinement et de méticulosité, le Pelléas et Mélisande de Claude Debussy (1862-1918).

Jean-François Lapointe (Hamlet)Jean-François Lapointe (Hamlet). Photographie © Christian Dresse.

Dans cette version déjà éprouvée en Avignon, Vincent Boussard signe une mise en scène très épurée, sans artifice mais porteuse d'une incessante tension fiévreuse et ponctuée de violentes oscillations entre simple frémissement, surgissement d'angoisse et crises de désespoir : à l'image du duo d'une sauvage brutalité et d'une ambivalence toute oedipienne entre Hamlet et sa mère à l'acte III. Il n'hésite pas à exploiter l'avant-scène et les loges latérales tandis que le décor unique de Vincent Lemaire — de sombres parois de papier mâché-glacé et bordées de moisissures à la base — accentue l'oppression psychologique et prophétise le funeste destin des personnages : une fructueuse collaboration qui nous rappelle leur magnifique travail dans Agrippina au Staatsoper de Berlin en mai 2013. Les costumes de Katia Duflot — le rouge sang pour la robe de Gertrude contre le blanc virginal de celle d'Ophélie – et les lumières de Guido Levi ont leur incontestable part dans la prégnance ravageuse qui mine les fondations de ce royaume.

La direction musicale de Lawrence Foster nous comble d'aise. Elle nous fait découvrir une partition d'une charpente aussi inattendue que respectable, rigoureuse dans le respect classique de la grande ouverture ou des interludes tout en mettant en exergue la surprenante modernité d'un trombone dans le prélude à la scène 2 de l'acte I (Laurent Cabaret) ou, là où nous pouvions attendre le violoncelle plus romanesque, celle d'un solo du saxophone alto (Jean-Marc Pongy) qui accompagne le célèbre duo amoureux entre Hamlet et Ophélie. Sourcilleuse, la direction tout aussi énergique du plateau permet de ne pas ralentir la cadence soutenue de la dramaturgie, fertile à la fois en rebondissements et en moments plus linéaires d'introspection.

Sylvie Brunet-Grupposo (Gertrude) et Jean-François Lapointe (Hamlet).Sylvie Brunet-Grupposo (Gertrude) et Jean-François Lapointe (Hamlet). Photographie © Christian Dresse.

Le baryton québécois Jean-François Lapointe exulte dans le rôle-titre. Entendu et apprécié dans Moïse et Pharaon donné en novembre 2014 ou plus récemment dans un somptueux Falstaff, sa présence dans la distribution assurait une prestation de qualité. Outre cette impeccable diction — d'autres devraient s'en inspirer — qui rend inutile le panneau de surtitrage, sa passion maitrisée dans sa ligne de chant, à la tessiture étendue et dont la puissance du souffle sait équitablement nourrir avec une rare justesse de ton, la fureur projetée ou la profondeur intimiste, nous garde invariablement captif tout au long de l'opéra. Il sait implorer Ophélie sur le fait de « douter de la lumière…mais de ne pas douter de son amour » à l'acte I, jongle avec un registre plus ludique dans « Ô vin, dissipe la tristesse » — presque un one man show à l'avant-scène — écume de rage contre sa mère ou sombre dans le délire à l'apparition du spectre paternel « Ô mystère ». Loin du personnage évanescent auquel le Hamlet shakespearien nous a trop souvent habitué, celui qui célèbre ses trente-cinq années de chant professionnel sans avoir altéré une once de ses capacités vocales et qui se lancera en février prochain dans son premier Wagner (Wolfram du Tannhaüser version de Paris le 19 février 2017 à l'opéra de Monte-Carlo) admet avoir été influencé dans ce rôle par « ses interprétations antérieures de Pelléas et de Roméo ». À mi-chemin entre symbolisme et romantisme, Jean-François Lapointe réussit ce tour de force d'atteindre un subtil équilibre sans édulcorer le réel de la tragédie ni chavirer dans d'incessants abîmes de perplexité. Du grand art lyrique légitimement ovationné à l'issue de la représentation.

Patrizia Ciofi (Ophélie). Photographie © Christian Dresse.

Le personnage d'Ophélie nous convainc sans susciter pleinement notre enthousiasme : Patrizia Ciofi dont nous avions déjà souligné certaines des ambiguïtés vocales, possède encore, nonobstant la raideur de ses vocalises ou le resserrement de ses aigus, les atours d'une belle voix, très émouvante dans son air « mieux vaut mourir ». Ses ressources techniques lui permettent l'accomplissement de l'acte IV entièrement dévolu à son délire. Une folie que la soprano tire, sans rechigner à la dépense physique, vers le registre de la régression: une folie un peu trop fluette à notre goût.

La mezzo-soprano Sylvie Brunet-Grupposo se taille un franc succès dans le rôle de Gertrude tandis que le baryton Marc Barrard campe un Claudius pertinent après un inquiétant vibrato au départ. Avec les chœurs de l'opéra dirigés par  Emmanuel Trenque, le ténor Rémy Mathieu (Laërte), la basse Patrick Bolleire (Le Spectre doublé pour la partie acrobatique par Julien Degremont), le ténor Samy Camps (Marcellus), le baryton Christophe Gay (Horatio), le baryton Jean-Marie Delpas (Polonius), la basse Antoine Garcin et le ténor Florian Cafiero (1er et 2e fossoyeurs) ont contribué à honorer le baryton Bernard Imbert, disparu le 2 juillet dernier et à la mémoire duquel toutes les représentations de cet Hamlet ont été dédiées.

Hamlet, Opéra de Marseille. Photographie © Christian Dresse.

Marseille, 28 septembre 2016
Jean-Luc Vannier

 

Jean-Luc Vannier, jlv@musicologie.org , ses derniers articles : L'enfant et les sortilèges de Jeroen Verbruggen grandit aux Ballets de Monte-CarloConcert inaugural flamboyant de Cecilia Bartoli et des Musiciens du Prince à MonacoLetter to a man : dans la tête de Vaslav Nijinsky au Monaco Dance ForumDes créations à la « pointe » du sommet pour le Gala de l'Académie Princesse GrâceCecilia Bartoli et l'Opéra de Monte-Carlo créent Les Musiciens du Prince Renée Fleming chante l'intimisme des Frauenliebe und -leben de Robert Schumann à l'Opéra de Monte-Carlo Toutes les chroniques de Jean-Luc Vannier

 

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bouquetin

Mercredi 28 Septembre, 2016 23:01