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13 décembre 2013, par Jean-Luc Vannier ——

Le sanguin Juan Diego Florez triomphe dans « La Favorite » à l'Opéra de Monte-Carlo

Le royaume de Castille, au milieu du XIVe siècle, ne badine pas avec l'honneur. Encore moins avec l'amour. Deux notions suspectes, à notre époque, d'un vieillissement accéléré. D'où la tentation de tenir La Favorite, opéra en quatre actes de Gaetano Donizetti créé le 2 décembre 1840 à l'Académie royale de musique de Paris, pour un drame belcantiste chargé d'une désuète opulence lyrique. Procès d'intention susceptible d'être encouragé par l'hypothèse d'une version de concert scotomisant les effets de la mise en scène.

Juan Diego FlorezJuan Diego Florez (Fernand). Photographie © Opéra de Monte-Carlo.

Autant de préjugés définitivement écartés par l'excellente version proposée, jeudi 12 décembre à l'Auditorium Rainier III, par l'Opéra de Monte-Carlo. Laquelle sera jouée le 18 décembre prochain au Théâtre des Champs-Elysées. Une direction musicale magistrale, solide, un brin trapue comme son auteur, le maestro québécois Jacques Lacombe, dont le geste précis, vif et énergique charpente les pupitres d'un orchestre philharmonique de Monte-Carlo en grande forme et redonne du souffle, de l'ardeur et une dynamique fluide à la partition. Un chef en accord parfait avec les chanteurs et les musiciens. En témoignent l'intensité suggestive de l'ouverture, le dialogue instrumental au début de l'acte IV entre l'appel divin de l'orgue et le désir humain du violoncelle ou le son de la harpe annonçant la prière de Léonor.

Béatrice Uria-Monzon Béatrice Uria-Monzon (Léonor), Juan Diego Florez-(Fernand) et Jacques Lacombe (Direction-musicale). Photographie © Opéra de Monte-Carlo.

Cette exigeante ligne de direction musicale s'ajustait au mieux avec le niveau hors du commun atteint par la performance, maintenue d'un bout à l'autre de l'œuvre, de Juan Diego Florez : dans le rôle de Fernand, le célèbre ténor d'origine péruvienne domine la distribution par la puissance sanguine et néanmoins sous contrôle de son chant. Il multiplie ses sauts d'octave avec une aisance et une énergie encore plus remarquables que ses fameux neuf contre-ut de Tonio dans La Fille du régiment  (« Ah ! mes amis, quel jour de fête ! »), une des sources de sa renommée. C'est à peine si son visage se contracte dans l'exploit phonique. Phénomène d'autant plus saisissant que l'ancien élève du Curtis Institute of Philadelphia s'autorise cette audace dès la scène 1 à l'acte I — sa voix à peine chauffée — dans son air « un ange, une femme inconnue » : une prouesse vocale qui lui vaut la première de ses très nombreuses et chaleureuses ovations. Dans le personnage du roi de Castille Alphonse XI, le baryton Jean-François Lapointe, issu également de la « belle Province »,  ne peut que susciter le plus authentique enthousiasme : son apparition à l'acte II dans son air « Léonor, Viens ! » nous fait découvrir et apprécier une voix charnue mais suave, presque ouatée, envoûtante « double-crème » dans sa version masculine, en référence à celle de la soprano américaine Renée Fleming.  Son magnifique air au début de l'acte III « je me venge en roi » en revêt encore plus de noblesse. La basse britannique Nicolas Cavallier campe un très convaincant Balthazar, le Supérieur du couvent, notamment lorsque ses graves désignant l'attachement ascétique à la mort croise les aigus enflammés de Juan Diego Florez à la fin de la scène 1 de l'acte I. Une belle prestation tout comme celle, plus modeste mais tout aussi juste, du ténor belge Alain Gabriel dans celui de Don Gaspar, Officier du roi.

Jean François Lapointe Jean François Lapointe (Alphonse XI). Photographie © Opéra de Monte-Carlo.

Les voix féminines suscitent moins de dithyrambe. Nous ne pouvons certes nier les facultés vocales de la mezzo-soprano Béatrice Uria-Monzon dans le caractère trempé de Léonor de Guzman. Mais force est de reconnaître qu'elle ne recherche pas toujours les vaillances des aigus comme à la fin de sa prière de l'acte III « Ô mon Fernand, tous les dieux de la terre… ». Le principal reproche concerne sa diction approximative — c'était déjà le cas lors de son interprétation de « La Navarraise » sur le Rocher en janvier 2012 — ainsi que les déconcertantes imprécisions et libertés prises avec le texte de la partition vers la fin de la représentation. En raison de sa voix trop souvent « rentrée » dans son air de la scène 2 « les plaisirs et l'amour », sa partenaire, la soprano russe Julia Novikova, ne laissera pas un souvenir impérissable du personnage d'Inès, la suivante de Léonor. Une mention particulière pour les Chœurs de l'opéra de Monte-Carlo, notamment dans leur somptueux et séraphique « Frères, creusons l'asile où la douleur s'endort » de l'acte IV. Plusieurs rappels, sous les ovations massives du public, saluèrent la richesse musicale et vocale de cette production monégasque.

 La FavoriteSaluts. La Favorite. Photographie © Opéra de Monte Carlo.

Nice, le 13 décembre 2013
Jean-Luc Vannier


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