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Monaco, 27 avril 2023 —— Jean-Luc Vannier.

La Belle de Jean-Christophe Maillot : poésie et manichéisme chorégraphiques

Mimoza Koike Mimoza Koike (La fée Lilas) et Alexis Oliveira (Le Prince). Photographie © Alice Blangero.

Créé il y a plus de vingt ans dans cette même salle des Princes du Grimaldi Forum, le ballet La Belle de Jean-Christophe Maillot était à nouveau, mercredi 26 avril, présenté au public de la Principauté. Dans une note d’intention, le chorégraphe fétiche du Rocher reconnait que cette nouvelle version comporte « nécessairement quelques différences ». « Mes ballets, explique-t-il encore, sont toujours en évolution… l’art chorégraphique est mouvant, fluctuant ». « Je défends avec passion le fait que mes chorégraphies ne sont pas des archives ou des œuvres fragiles auxquelles il ne faudrait pas toucher ».

Si la scénographie d’Ernest Pignon-Ernest est maintenue, tout comme l’inévitable soutien musical des œuvres majeures de Piotr Ilitch Tchaïkovski (The Sleeping Beauty, Ouverture 1812 et Roméo et Juliette), Bernice Coppieters cède sa place dans le rôle-titre à Olga Smirnova, guest du Het Nationale Ballet. Une invitée régulière puisqu’elle avait déjà participé, avec le Ballet du Théâtre Bolchoï à l’ouverture de l’Année de la Russie à Monaco en décembre 2014. Dominique Drillot soigne toujours les jeux de lumière tandis que pour les costumes, Philippe Guillotel est cette fois-ci accompagné de Jérôme Kaplan.

Jaat BenootJaat Benoot (La Reine Mère - Carabosse). Photographie © Alice Blangero.

L’ouverture — la vidéo d’un jeune homme couché qui ouvre un livre ancien de contes — instille déjà dans les esprits cette mise en abîme d’une histoire destinée à maintenir jusqu’à la fin une question centrale : s’agit-il d’un rêve ou de la réalité ? Le manichéisme excessivement tranché du scénario qui oppose le monde des Crochus, sombre, corseté, cantonné au noir et au gris métallisé, à celui des Pétulants, pétri d’une joyeuse exubérance enrichie de couleurs flashy, permet au chorégraphe de mettre en exergue les interstices par lesquels, au sein de ces deux mondes, s’infiltrent — seulement — la bonne fée Lilas (Mimoza Koike) et Carabosse (Jaat Benoot). Réserver cette faculté de passage et d’intervention à ces deux personnages — Carabosse/La Reine Mère nous semble d’ailleurs, clinique à l’appui, plus près du monde réel que son alter ego Lilas — nous paraît toutefois contrevenir aux règles connues de l’univers onirique tout comme à celles de la réalité : le « travail du rêve » qui vise simultanément à maintenir le rêveur endormi tout en lui permettant d’exprimer des motions pulsionnelles refoulées travestit sans cesse nos représentations nocturnes. Dans la réalité, nos pulsions les plus antagonistes demeurent intriquées et nous ballottent entre différents repères structuraux.

Olga SmirnovaOlga Smirnova. Photographie © Alice Blangero.

Cette chorégraphie nous en donne ainsi quelques exemples : dans l’univers soi-disant doré de La Belle, la scène où celle-ci évolue dans une bulle d’air apparemment protectrice mais finalement attaquée et percée par la meute déchaînée des Prétendants, outre le rappel du fuseau qui pique et la fait sombrer dans un profond sommeil, ne figure-t-elle pas aussi la violence inouïe de la fécondation ? Dans celui du Prince, avec un tel sadisme castrateur de la Reine Mère, cela tient du miracle — ou du conte de fées — que le fils (Alexis Oliveira) ne devienne pas homosexuel.

Les pointes impeccablement rectilignes d’Olga Smirnova dont le corps ondule néanmoins avec une grâce infinie et la sublime poésie qui émane du dernier acte où le baiser extatique entre Le Prince et La Belle tient lieu de fil rouge chorégraphique — une réminiscence du Roméo et Juliette de 1996 repris en 2015 — effacent comme par enchantement ces menues interrogations et nous comblent de ravissement. Avec, en prime, cette touche d’humour — Le Prince doit un bref instant reprendre sa respiration — si caractéristique du chorégraphe : il sait humaniser son étude et susciter dans l’audience cette identification essentielle à la bonne communication et au partage de ses propres affects. Il l’avait d’ailleurs fait d’une manière plus magistrale et plus exceptionnelle encore dans sa reprise de Œil pour œil en mai de l’année passée. Sans doute l’effet de surprise — la nouveauté est la condition de la jouissance — inhérent à l’enquête criminelle menée dans Œil pour œil n’a-t-il pas joué dans La Belle dont personne n’ignore l’histoire. Avec pour conséquence, la tentation permanente du public de rapporter les scènes observées sur le plateau à celles inscrites dans nos mémoires : une difficulté supplémentaire pour le chorégraphe dont la subtilité du travail doit suggérer sans copier.

Les Pétulants.Les Pétulants. Photographie © Alice Blangero.

Le méat ultime entre les « bons » et les « méchants » réconcilie en quelque sorte les contraires. La Reine Mère succombe à une forme de Liebestod : elle meurt elle aussi d’amour mais par empoisonnement. Éros, nous le savons, n’est pas partageux !  

Monaco, le 27 avril 2023
Jean-Luc Vannier
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Samedi 29 Avril, 2023 1:34