Jean Christophe Maillot. Photographie © Alice Blangero.
Dans cette élaboration pétrie d'introspection personnelle, la Cendrillon de Jean-Christophe Maillot apparaît caressant avec nostalgie la robe blanche de sa défunte mère, dans un processus de deuil affectant différemment la fille et le père et que le chorégraphe a lui-même expérimenté dans Vers un pays sage en 1995 et repris en décembre 2012. Mais le véritable fil rouge de cette proposition chorégraphique se situe ailleurs et nous rappelle ce conseil, aux accents emblématiques, prodigué aux solistes du Bolchoï pour La Mégère apprivoisée : « ne dansez pas pour le public ! Racontez-vous une histoire et les voyeurs que nous sommes en jouiront ». Dans ce couple de perversion, le voyeur réclame l'assistance de l'exhibitionnisme qui s'étaye sur un fétichisme du pied subtilement évoqué par la chorégraphie: celui nu de Cendrillon plongé dans les paillettes, celui du prince « reniflé » avec vénération par ses amis flagorneurs, ceux des danseuses présentés au prince comme attirail de séduction, l'exploration fiévreuse par le prince de celui de Cendrillon à leur première rencontre, les pieds bandés et blessés des deux sœurs afin de pouvoir enfiler la pantoufle de verre, les pieds de la fée et du père qui « s'unissent » dans la scène finale. Outre l'inévitable référence symbolique au pied pour le métier de la danse — analysera-t-on jamais le rapport inconscient du danseur à son pied que l'activité chorégraphique ne cesse de meurtrir ? —, le fétichisme « podophile » renvoie au polymorphisme sexuel de la période infantile n'excluant pas le « plaisir olfactif coprophile » (Sigmund Freud, Karl Abraham, Correspondance complète, 1907-1925, NRF, Gallimard, 2006, p. 121 et 147). Les enfants comprennent bien mieux les contes de fées que les parents comme l'expérience d'une « Cendrillon » au Staatsoper de Berlin pour les « moins de 6 ans » nous l'avait enseigné. Taillée dans le plus pur diamant de la créativité « Maillot », Cendrillon doit aussi son succès à l'indiscutable performance des Ballets de Monte-Carlo : la nécessaire cohésion millimétrée des artistes n'altère jamais l'expression, toujours lumineuse, de leurs jeux individuels. Pourquoi refuser ce moment de bonheur qu'ils nous délivrent ?
Monaco, le 24 juillet 2015
Jean-Luc Vannier
© musicologie.org


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