musicologie

Monaco, 17 avril 2023 —— Jean-Luc Vannier.

Il barbiere di Siviglia à Monte-Carlo : buffissimo et standing ovation !

Cecilia Bartoli (Rosina). Photographie © OMC – Marco Borrelli.

« En treize jours, la musique du Barbier fut achevée. Rossini croyant travailler pour les Romains, venait de créer le chef-d’œuvre de la musique française, si l’on doit entendre par ce mot la musique qui, modelée sur le caractère des Français d’aujourd’hui, est faite pour plaire le plus profondément possible à ce peuple, tant que la guerre civile n’aura pas changé son caractère » (Stendhal, La vie de Rossini, édition de Pierre Brunel, Folio classique 2433, Gallimard, 1992, p. 208). Stendhal mesurait-il la portée de ses réflexions sur ce melodramma buffo en deux actes, créé le 20 février 1816 au Teatro Argentina de Rome ? Toujours est-il que la version du Festival de Salzbourg de 2022 présentée dimanche 16 avril à l’opéra de Monte-Carlo a remporté un succès tel que la Salle Garnier s’est levée comme un seul homme pour ovationner cette production qui marque la première année de la direction de l’opéra par Cecilia Bartoli.

José Coca Loza (Fiorello) et Edgardo Rocha (Le Comte Almaviva). Photographie © OMC – Marco Borrelli.

Il y avait de quoi : bien au-delà de la multiplication pléthorique des facéties et autres pitreries scéniques, aussi exubérantes que le tempérament bien connu de leur auteur, la mise en scène signée Rolando Villazon esquisse une enjambée dans l’imaginaire et le fantastique — décors de Harald B. Thor et vidéos de Rocafilm/Roland Horvath — en puisant dans d’inoubliables références cinématographiques et musicales. Lesquelles jaillissent et viennent ponctuer, fugaces et sans crier gare, le déroulement de la pièce. En sollicitant les mémoires collectives, ces remémorations nous replacent — serions-nous perdus à ce point ? — dans le temps et dans l’espace. Certes, cette intrusion foisonnante de gags frôle parfois le double risque de l’excès et de la confusion. Au point de pousser les chanteurs aux limites de leurs lignes de chant tant il leur faut tenir compte des minutieux réglages de leurs gestuelles et de leurs mimiques avec ici, l’instantané d’un accord, là, le changement inopiné de rythme d’une mélodie. Certains s’en sortent d’ailleurs mieux que d’autres.

Ildar Abdrazakov (Don Basilio). Photographie © OMC – Marco Borrelli.

Autant dire que, de l’ouverture auréolée des magnifiques et élégantes sonorités bien distinctes des instruments jusqu’au finale, la direction assurée par Gianluca Capuano ne mérite que des éloges — le mot nous paraît même bien faible — tant la rigueur doublée de l’énergie insufflée à l’orchestre des Musiciens du Prince et au plateau — dont les chœurs de l’opéra de Monte-Carlo qui ne se perdent pas nonobstant la confusion générale du finale au premier acte ! — garantissent le parfait enchaînement des scènes : et ce, nonobstant nos légitimes interrogations sur le surgissement aussi spontané qu’inattendu de situations telles qu’elles adviennent naturellement dans le fil d’une production gorgée de bouffonneries mais que l’intelligente et étroite complicité entre les artistes parvient à camoufler avec une rare subtilité.

Nicola Alaimo (Figaro) et Cecilia Bartoli (Rosina). Photographie © OMC – Marco Borrelli.

La brillante distribution — un truisme au regard des noms — ne fut pas le moindre des atouts de ce Barbier monégasque. Entendu dans le rôle de Don Ramiro d’une Cenerentola sur le Rocher, le Comte Almaviva d’Edgardo Rocha nous gratifie d’une ligne de chant puissante, dotée d’harmonies chaleureuses mais qui donne parfois le sentiment d’atteindre quelques limites, notamment dans les enchainements vocalisants. Marquant son retour dans un rôle qu’elle avait interprété à Monte-Carlo à ses débuts, Cecilia Bartoli se joue des mille et une difficultés vocales dévolues à la partition de Rosina en investissant le personnage de toute son expérience et sans jamais faiblir des affèteries et autres pétillantes truculences dont elle garde jalousement le secret. Et dont elle sait orner le célébrissime « una voce poco fa ». Inoubliable Rigoletto à Marseille, Nicola Alaimo domine d’un bout à l’autre le personnage – toujours présent même en son absence – de Figaro : son magnifique « largo al factotum » du premier acte n’emprunte fort heureusement pas le chemin des scurrilités d’autres interprétations tout en accompagnant ses prestations vocales d’une infinitude de drôleries scéniques. Si Alessandro Corbelli ravit tout autant le public avec le personnage de Bartolo, c’est pourtant Ildar Abdrazakov qui l’emporte à l’applaudimètre dans sa composition extraordinaire d’un Nosferatu/Don Basilio aussi imposant vocalement que scéniquement. Rebeca Olvera (Berta et Adalgisa dans une Norma monégasque) José Coca Loza (Fiorello), Paolo Marchini (Ambrogio) et Przemlyslaw Baranek (Un Ufficiale) apportent leurs belles pierres à cet imposant édifice. Signalons la participation exceptionnelle d’Arturo Brachetti, le géant italien du transformisme, dans le rôle d’Arnoldo destiné à incarner passerelle et liant dans cet épique maelström scénographique. Lequel tranche singulièrement avec ses plus récents ancêtres : si la version monégasque de Jean-Louis Grinda frappait aux portes de l’Italie, celle d’une coproduction marseillaise lui préférait la sobriété. Peu importe : « depuis sa seconde représentation aux Italiens d’Il Barbiere di Siviglia avec Joséphine Fodor-Mainvielle en Rosina qui lance en 1819 le rossinisme français », le maestro de Pesaro prend la tête des dilettanti de la « résistance » contre l’essor du wagnérisme dans l’hexagone (« Les mutations étrangères du goût français », in Histoire de l’opéra français, du Consulat aux débuts de la IIIe République, sous la direction d’Hervé Lacombe, Fayard, 2020, p. 276 ). Au fait : à quand un Richard Wagner en Principauté ?

 

Monaco, le 17 avril 2023
Jean-Luc Vannier

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