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Michel Rusquet, Trois siècles de musique instrumentale : un parcours découverte — IV. Entre Bach et Mozart.

IV. Entre Bach et Mozart : Allemagne ; France; Italie ; Bohème ; Autriche ; Angleterre ; Espagne et portugal.

Les symphonies de Carl Philipp Emanuel Bach (1714-1788)

Introduction ; sonates pour clavier ; autres œuvres pour clavier ; œuvres pour orgue ; musique de chambre ; œuvres concertante ; les symphonies

Voici curieusement un genre que Carl Philipp Emanuel n'a cultivé qu'avec parcimonie : dix-huit symphonies au total, dont huit composées au cours de ses années berlinoises, et dix écrites à Hambourg. Mais gardons-nous d'y voir un manque d'intérêt, car cette maigre production comporte quelques-unes de ses partitions majeures.

Les huit  Symphonies berlinoises

Écrites entre 1741 et 1762, ces huit premières symphonies Wq 173 à 181 (H 648 à 656) existent pour la plupart en au moins deux instrumentations différentes, l'exemple le plus connu étant celui de la cinquième en mi mineur qui nous est parvenue en une version pour cordes seules (Wq 177 – H 652) et une autre avec adjonction de cors, hautbois et flûtes (Wq 178 – H 653). Toutes en trois mouvements, elles se signalent souvent par leur fougue et leur penchant pour la sensibilité, mais on y sent un musicien encore en phase de recherche et d'expérimentation. Toutefois, une au moins de ces œuvres, la cinquième en mi mineur déjà citée, retient fortement l'attention grâce à « un premier mouvement puissant, presque violent, contenant des passages s'élevant comme des fusées, des sauts du majeur au mineur pleins d'effet, de brusques pianissimi encadrés par des forte », et à son final « qui, avec ses lignes mélodiques en dents de scie et son souffle de violente détermination, représente le véritable tour de force d'un compositeur particulièrement émotif. »30

Carl Philipp Emanuel Bach, Symphonie Wq 178 en mi mineur, par l'Akademie für Alte Musik Berlin.

Les Symphonies pour cordes et continuo

Composées à Hambourg en 1773, ces six symphonies Wq 182/1-6 (H 657 à H 662) sont nées d'une commande du baron van Swieten, alors ambassadeur d'Autriche à Berlin, qui eut le bon goût de donner carte blanche au musicien. En l'invitant à ne tenir aucun compte des difficultés qu'elles pourraient présenter au niveau de l'exécution, il souhaitait certainement pousser Emanuel à y faire preuve des mêmes audaces que dans ses œuvres pour clavier, et il ne dut pas être déçu. Car, de la première à la dernière de ces six symphonies, le compositeur « exprime avec un minimum de moyens (orchestre à cordes et basse continue) et un maximum d'acuité l'originalité de son style, synthèse tourmentée de l'Empfindsamkeit et du Sturm und Drang. La musique y est d'une densité presque abrupte : mouvements brefs, rythmique tendue, contrastes explosifs, discours haletant, harmonie incertaine. »31 Et en effet, comme ce fut sûrement le cas du baron à l'époque, on apprécie « aussi bien la fougue, les excentricités et les contrastes de ces œuvres que leur souplesse et leur clarté d'écriture. »32

Carl Philipp Emanuel Bach, Symphonie Wq 182/5 en si mineur, par Il Giardino Armonico (direction, Giovanni Antonini).

Les « Symphonies pour orchestre avec douze voix obligées »

Publiées en 1780, ces quatre dernières symphonies Wq 183/1-4 (H 663 à H 666) « furent entendues à Hambourg le 16 août 1776, avec quarante musiciens. Elles sont respectivement en re majeur, mi♭majeur, fa majeur et sol majeur, et sont écrites pour cordes (deux violons, alto, violoncelle, contrebasse), deux flûtes, deux hautbois, basson, deux cors et continuo. Les vents n'ont pas qu'une fonction de remplissage harmonique ou de renforcement sonore, comme dans les symphonies berlinoises, mais sont traités de façon très différenciée, et souvent en solistes (virtuoses ou très poétiques). Ces œuvres sont aussi expérimentales et surprenantes que les six pour cordes de 1773. »33

Elles les dépassent en vérité  en qualité artistique, car elles « sont imprégnées d'une force dramatique inhabituelle, même dans les œuvres d'Emanuel. L'ascension puissante vers un sommet, au début de la symphonie en re majeur, la sinistre chaîne de trilles du premier mouvement de la symphonie en mi♭majeur et le spirituel final de celle en fa majeur laissent dans l'esprit de l'auditeur des traces indélébiles. Il y a plus qu'une simple coïncidence dans le fait que le final de la deuxième symphonie de Beethoven se rapproche de très près, mélodiquement parlant, du début de cette symphonie en fa majeur qui est probablement la plus prenante de la série. »34   Dans ces quatre symphonies, bien éloignées de ce qui se faisait alors à Mannheim, Londres ou Paris, le musicien ose plus que jamais « bouleverser le bon ordonnancement baroque et galant sans pour autant adhérer à la joliesse préclassique : il multiplie dans ces pages réellement novatrices, écrites à 12 ou 14 parties, des bizarreries dans l'écriture des vents […], des véhémences rythmiques et d'inattendues excursions harmoniques qui hachent le discours et font ressembler ces symphonies à des croisières chaotiques mais aux escales soigneusement ménagées par un artiste génial. »35

Carl Philipp Emanuel Bach, Symphonie Wq 183/3 en fa majeur par The English Concert (direction, Andrew Manze).

Michel Rusquet 2015.
© musicologie.org

Notice biographique Musicologie.org

Notes

30. Geiringer Karl, op. cit. , p. 409.

31. Macia Jean-Luc, Diapason 442 , novembre 1997.

32. Vignal Marc, Le Monde de la musique 275, avril 2003.

33. Vignal Marc, dans Fr.R. Tranchefort (dir.), Guide de la Musique symphonique,  Fayard, Paris 2002, p. 16-17.

34. Geiringer Karl, op. cit., p.410.

35. Macia Jean-Luc, Diapason 523, mars 2005.

Voir également : Wilhelm Friedemann Bach - Carl Philipp Emanuel Bach - Johann Christian Bach - Johann Christoph Friedrich Bach - Christoph Willibald Gluck - Franz Xaver Richter - Johann Ludwig Krebs - Gottfried August Homilius - Johann Gottlieb Goldberg - Johann Gottlieb Graun - Johann Adolph Scheibe - Joachim Bernhard Hagen

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Mercredi 6 Avril, 2022 23:51