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Michel Rusquet, Trois siècles de musique instrumentale : Un parcours découverte. IV. Entre Bach et Mozart.

Allemagne ; France; Italie ; Bohème ; Autriche ; Angleterre ; Espagne et portugal.

La musique instrumentale de Johann Christian Bach (1735-1782)

On a fait de lui « le Bach de Londres », voire « le Bach de Milan ». Avec ce « petit dernier » des fils du grand Bach, on saute carrément une génération, et — ceci expliquant un peu cela — on s'écarte sensiblement des traditions familiales.

Il eut en effet « une carrière atypique pour un Bach. Après avoir, après la mort de leur père, poursuivi sa formation auprès de Carl Philipp Emanuel à Berlin, il gagna à l'âge de vingt ans (1755) l'Italie, où aucun Bach ne s'était jamais rendu, y composa trois opéras, genre qu'aucun Bach n'avait jamais pratiqué, et, pour obtenir le poste d'organiste à la cathédrale de Milan, se convertit au catholicisme. Devenu l'élève du célèbre Padre Martini à Bologne, il se transforma en musicien italien, et c'est en tant que tel qu'en 1762, il fut appelé à Londres, cité cosmopolite et mondaine qui devait rester son port d'attache et où, en 1764-1765, il impressionna fortement, et pour toujours, l'enfant Mozart. »1

Si l'on en croit Wilhelm Friedemann, Bach père aurait eu cette formule à l'emporte-pièce : « Mon Christian est un gamin fort sot et c'est la raison pour laquelle il aura des succès dans le monde. »  Ce qui est sûr, c'est que ce Johann Christian, qui se faisait appeler John Bach à Londres après s'être rebaptisé Giovanni en Italie, possédait « le don de se faire des amis et jouissait, par nature, d'une facilité d'adaptation et d'une aisance charmante que l'on ne trouve guère chez les Bach et qu'il tenait probablement de sa mère. »2  A la différence de ses frères musiciens, il « franchit allègrement les frontières. Il fut le seul des quatre à rompre radicalement avec l'héritage musical de l'Allemagne du Nord, à cultiver assidûment la galanterie, et apparemment le seul à n'avoir jamais interprété, dans le cadre de ses activités professionnelles, une œuvre de son père. Pendant vingt ans, il participa activement à la vie musicale et théâtrale intense de la capitale britannique, un des hauts lieux de l'opéra italien en Europe. Il organisa et dirigea à partir de 1765, avec le gambiste Carl Friedrich Abel, les concerts par abonnements Bach-Abel, fit chaque mercredi de la musique chez la reine, devint professeur des enfants royaux, introduisit en Angleterre le piano-forte. Il composa cinq opéras italiens pour Londres et deux pour Mannheim, ainsi qu'un opéra français pour Paris. »3

Il écrivit aussi un nombre considérable d'œuvres instrumentales couvrant tous les genres alors à l'honneur, et ses partitions circulèrent un peu partout en Europe. Mais le succès l'abandonna dans ses dernières années et les difficultés s'amoncelèrent, conduisant à sa disparition prématurée. Celle-ci émut, dit-on, surtout ses créanciers, mais Mozart, en l'apprenant, eut cette réaction, rare chez lui : « Bach n'est plus, quelle perte pour la musique ! » Il est vrai que le divin Wolfgang, qui l'avait côtoyé à deux reprises (une fois à Londres, pendant son enfance, puis en 1778 à Paris), lui vouait une grande affection et savait mieux que quiconque ce que son art devait à ce grand aîné.

Plus que son œuvre, c'est d'ailleurs cette image de précurseur de Mozart que la postérité a retenue. La musique de Johann Christian est pourtant loin de démériter. « Ivresse mélodique, élégance, sensualité, facilité apparente caractérisent son style (il fut un des créateurs de l'allegro chantant repris par Mozart), mais n'en cachent pas moins le métier le plus sûr. »4   Un métier acquis en partie auprès de son père et de son demi-frère Emanuel, et plus encore auprès du plus grand maître de musique de l'Italie d'alors, le Padre Martini, le tout débouchant sur un art préclassique très accompli, caractérisé par « une musique noble, mais claire, d'une technique sûre, mais exempte de lourdeur. »5  D'aucuns ajouteront méchamment : « Hélas sans vrai génie … », mais doit-on lui faire grief de n'avoir pas été un autre Mozart ?  On peut simplement regretter qu'il ait trop systématiquement recherché le succès et le suffrage des amateurs, lui qui avouait  « Moi, je compose pour vivre » ; et que, victime de sa popularité, il n'ait pas même évolué, ni gagné en profondeur ou en puissance d'expression, une fois parvenu à sa pleine maturité artistique, c'est à dire au cours des vingt années qu'il passa à Londres.

L'œuvre pour clavier

Chez Johann Christian, les œuvres pour clavier ne tiennent pas la place centrale qui est la leur chez Carl Philipp Emanuel. Du reste, il semble n'avoir montré un réel intérêt pour le clavier  qu'à Londres, après avoir découvert les vertus du pianoforte, et s'il a été un grand promoteur du nouvel instrument, il n'a consacré au clavier qu'une production restreinte : des pièces éparses de faible portée dans le registre des danses ou des variations, diverses sonates restées inédites, quelques duos auxquels nous reviendrons plus loin, et surtout — car c'est elles et elles seules que l'on retient en général — deux séries de six sonates publiées en tant qu'opus 5 et opus 17.

Sur ces douze sonates, « deux seulement empruntent des tonalités mineures ;  et quatre s'étendent à trois mouvements, le reste préférant le patron italien en deux parties (mais il faut mettre à part la sixième sonate de l'opus 5, qui commence par un prélude et fugue). Le mouvement lent est donc une rareté, mais quand il est présent, il l'emporte presque toujours sur les autres, par une qualité particulière de douceur, de pureté mélodique. Le finale de prédilection est le rondo, ou le menuet. Quant à la forme sonate, lot du premier mouvement et de quelques derniers, l'auteur la taquine de toutes les façons, sans trop s'avancer ; structure légère, qui n'encombre pas le paysage mélodique. »6

Elégance et raffinement sont les qualités dominantes de ces sonates qui, dans certaines pages, se signalent par leur brio, leur inventivité, voire une réelle puissance. À ce titre, une place à part est à réserver à la sonate en ut mineur opus 5 no 6 — la plus ancienne des douze — qui s'ouvre par une introduction grave et passionnée débouchant sur une solide double fugue, reflétant l'héritage familial et surtout l'enseignement reçu du Padre Martini. Autre œuvre à mettre en exergue, la sonate opus 17 no 2, également en ut mineur, qui se distingue tant par ses qualités d'écriture que par ses accents véhéments et contrastés révélateurs de l'influence du Sturm und Drang. Pour le reste, au milieu de pages d'intérêt assez inégal, on prètera une attention spéciale, pour son inventivité, à l'opus 17 no 5 en la majeur, de même qu'à certains mouvements particulièrement réussis, comme l'allegro de l'opus 5 no 4,ou l'extraordinaire prestissimo final de l'opus 17 no 6 qui inspire à Guy Sacre les mots suivants : « On songe au meilleur Haydn, voire au premier Beethoven. »

Johann Christian Bach, Sonate opus 5 no 6 en do mineur, par Trevor Pinnock.
Johann Christian Bach, Sonate opus 17 no 2, en do mineur, par Harald Hoeren.

À côté des douze sonates, faisons aussi mention ici de quatre duos (un pour deux claviers, les autres pour quatre mains) que Johann Christian fit paraître sur le tard au milieu de deux recueils (opus 15 et opus 18) de musique de chambre. Ces œuvres « marquèrent en Angleterre le début d'une grande floraison de sonates pour deux pianos ou pour piano à quatre mains, genres illustrés en particulier par Clementi. Particulièrement réussies, vigoureuses et rythmées, parfois centrées sur la séduction mélodique, elles sont fort proches des partitions analogues et plus tardives de Johann Christian Bach, sonate pour 2 pianos en sol majeur (II. Tempo di Minuetto) par Güher & Süher Pekine.


L'œuvre de chambre

Même sans tenir compte des partitions restées inédites, ni de celles sur lesquelles subsistent de forts soupçons de non-authenticité, le catalogue d'œuvres de chambre de Johann Christian est riche de nombreux opus composés entre la fin de sa période italienne et ses dernières années londoniennes.

Une part significative est, il est vrai, constituée de sonates pour clavier avec accompagnement de violon ou de flûte (les six de l'opus 10, les six de l'opus 16, les quatre de l'opus 15 et les quatre autres de l'opus 18), des œuvres qui relèvent avant tout du divertissement de bonne compagnie, un art assez typique des années 1660-1780 où on se devait d'écrire pour la distraction immédiate et raffinée d'un public d'amateurs et de praticiens dilettantes. Dans ce genre très en vogue à l'époque, notamment en France, « la partie de violon (ou de flûte), parfois non obligée […] ou ajoutée après coup, se contentait de l'accompagnement ou se bornait à compléter la sonorité du clavier, donnant à l'ensemble un certain coloris. Malgré quelques interventions dialoguées, le violon ne dominait jamais. Il ponctuait les temps, remplissait discrètement les mesures moins remplies du clavier ou doublait sa mélodie ou sa basse à l'unisson, à l'octave ou à la tierce. »8  Même si, dans certaines des sonates évoquées, le violon (ou la flûte) se voit parfois confier des effets d'écho et des imitations, voire quelques passages en solo, on ne saurait trop attendre de ces œuvres marquées avant tout par l'élégance et la séduction mélodique dont Johann Christian est coutumier.

Il en va différemment — au moins pour partie — des autres partitions de chambre que Johann Christian a confiées à des ensembles divers allant du trio au sextuor. Mettons ici à part les six sonates (parfois qualifiées de trios) de l'opus 2, écrites pour clavecin avec accompagnement de violon ou flûte et violoncelle, car le rôle confié au violoncelle y est tellement réduit que ces sonates se rapprochent très fortement de celles évoquées plus haut, avec cependant une partie de violon (ou flûte) plus fournie. Relèvent en revanche du genre du trio les six trios (ou nocturnes) de l'opus 4 pour deux violons et alto ou basse obligée. Ces ouvrages, probablement écrits à Milan, apparaissent bien en fait comme des trios pour cordes au sens où nous l'entendons aujourd'hui, car l'alto n'y est nullement relégué au rôle de basse de support. « La formation particulière de l'ensemble instrumental confère à ces œuvres un caractère délicat et immatériel, peu commun à cette époque. »9 Puis viennent diverses partitions faisant appel à quatre instruments sans clavier : ce sont notamment, avec des traits qui les rattachent nettement à la tradition de la sonate en trio, les six quatuors de l'opus 8 pour flûte, violon, alto et violoncelle ;  et on peut y ajouter, maintenant que les doutes sur leur authenticité semblent dissipés, les six quatuors nettement plus tardifs de l'opus 19 où les bois (deux flûtes, ou flûte et hautbois) tiennent les premiers rôles.

Johann Christian Bach, quatuor opus 19 no 2 en re majeur par Camerata Köln.

Le meilleur de l'œuvre de chambre de Johann Christian, avec à la clé quelques vrais joyaux, est cependant à rechercher dans ses opus dédiés à cinq ou six instruments. Mentionnons déjà, même si on ne sait toujours pas s'il faut l'attribuer à Johann Christian ou à son frère Johann Christoph Friedrich, le beau sextuor en ut majeur pour hautbois, deux cors, violon, violoncelle et piano-forte opus 3. Citons également, car ils comportent de beaux exemples de style concertant pour clavier, les deux quintettes pour clavier, flûte, hautbois, violon et violoncelle opus 22, et surtout les six quintettes (opus 11) pour flûte, hautbois, violon, alto et continuo, dont deux au moins — le no 4 en mi♭majeur et le no 6 en re majeur — se sont acquis une popularité méritée. Ces joyaux finement ciselés, qui furent apparemment écrits pour les concerts de chambre de la reine Charlotte d'Angleterre, comptent parmi les œuvres les plus remarquables du musicien. Dans ces six œuvres, dont cinq — chose rare dans l'œuvre de chambre de Johann Christian — sont en trois mouvements, celui-ci se « révèle en pleine possession de ses moyens, son style est des plus gracieux, ses mélodies séduisantes et puissantes à la fois. Il utilise une écriture digne des anciens trios et répartit ses instruments en deux groupes de deux instruments, plus la basse qui joue le rôle d'un continuo chiffré. […] L'alternance des instruments à vent et des instruments à cordes, qui donne à l'ensemble une couleur variée, est particulièrement plaisante. »10

Johann Christian Bach, Quintette opus 22 no 2 en fa majeur par la Berliner Barock Compagney.
Johann Christian Bach, Quintette opus 11 no 6 en re majeur par le Concentus Musicus Wien, sous la direction de Nicolaus Harnoncourt.
Johann Christian Bach, Sextuor en ut majeur par le Berliner Barock Compagney. 1. Allegro, 2. Larghetto, 3. Rondo : Allegro.

Avec Karl Geiringer, en guise de conclusion sur l'œuvre de chambre du musicien, on a envie de reprendre ici un extrait d'une lettre que Leopold Mozart adressa à son fils en 1778, invitant celui-ci, à l'exemple de Johann Christian, à écrire « quelque chose de neuf, bref, léger et populaire […], peut-être des quatuors faciles… Penses-tu que tu abaisserais le niveau de ta qualité en composant pareilles œuvres ? En aucune façon ! Bach, à Londres, a-t-il jamais publié quelque chose d'autre ? Le petit est grand lorsqu'il est composé de manière naturelle, coulante, aisée et mis en œuvre comme il faut. Bach s'est-il dévalorisé en agissant ainsi ? Aucunement ! La structure et la charpente solides, la continuité : voilà ce qui distingue le maître de l'imbécile, même dans les riens. »

Les Concertos

On connaît de Johann Christian Bach, outre un concerto pour violon, quelques concertos pour instruments à vent (un pour flûte, deux pour hautbois, deux pour basson) où l'on retrouve sans surprise les qualités de charme et de séduction du compositeur.

Johann Christian Bach, Concerto pour hautbois en fa majeur T 291 par Helen Jahren et Musica Vitae, sous la dirtection de Peter Csaba.

C'est cependant le concerto pour clavier qui fut sa forme de prédilection et ce, à tous les stades de sa vie créatrice.

Ce sont d'abord les six concertos de jeunesse conservés à l'état de manuscrits qu'on désigne du nom de Concertos berlinois. Il les écrivit alors qu'il complétait sa formation auprès de Carl Philipp Emanuel, et sous le contrôle (voire avec l'aide) de celui-ci. S'ils dénotent un réel talent précoce, ces concertos en trois mouvements (ce qui ne sera pas la règle par la suite) nous montrent un Johann Christian atypique, au point qu'on se demande parfois si c'est bien lui qui tenait la plume. Du reste le no 6 en fa mineur continue de faire débat , et il semble bien qu'il serait en réalité de Wilhelm Friedemann Bach… Il y a en effet dans ces concertos une véhémence rythmique, des tensions abruptes, des atmosphères sombres caractéristiques de l'univers du Sturm und Drang, bien loin de la suavité radieuse qui sera la marque du « Bach de Londres ». Mais n'est-ce pas justement ce qui fait l'intérêt de ces premiers essais dans le genre ?

Johann Christian Bach, Concerto berlinois no 6 en fa mineur (I. Allegro di molto), par Anthony Halstead et The Hanover Band.

Viendront ensuite, publiés à Londres en 1763, 1770 et 1777 respectivement, les opus 1, 7 et 13 constitués chacun de six concertos pour clavier (clavecin pour l'opus 1, clavecin ou pianoforte pour les opus 7 et 13), avec chaque fois quatre œuvres en deux mouvements et seulement deux en trois mouvements. Des concertos qui, par maints aspects, annoncent ceux de Mozart : « Comme on comprend que Mozart se soit laissé séduire par l'élégance et le raffinement de celui qui fut l'un de ses maîtres, car il y a là tant de grâce, de légèreté et de délicatesse, mais aussi tant de frémissements ! Le dernier fils de Jean-Sébastien cultiva assurément l'art de plaire et le sens du théâtre, et si ses allegros débordent d'une charmante spontanéité, symbole de l'art galant dont il est l'un des plus grands représentants, ses mouvements lents ne sont jamais dénués de profondeur ou de mélancolie. »11  Un exemple parfait en est fourni par l'opus 7 no 5 en mi bémol dont l'Andante central est une pure merveille, et les concertos de l'opus 13, d'une substance plus riche que les précédents, marquent le point d'aboutissement du musicien dans le genre. Pour Karl Geiringer , « avec leur superbe maîtrise de l'instrument et leur charme, ils sont en quelque sorte le pendant en musique des portraits de grandes dames que peignaient en même temps Gainsborough et Reynolds. »12  Ajoutons, un peu plus que pour l'anecdote, que certains concertos de Johann Christian comportent une touche bienvenue de « couleur locale » : l'opus 1 no 6 se termine par une suite de variations sur le God Save the King ; les opus 13 no 2 et no 4 empruntent quant à eux à d'anciennes mélodies écossaises, et le dernier cité eut manifestement l'heur de plaire à Haydn puisque celui-ci en tira en 1792 une très belle pièce pour piano seul.

Johann Christian Bach, Concerto opus 7 no 5 en mi♭majeur, par Anthony Halstead et The Hanover Band.
Johann christian Bach, Concerto opus 13 no 4 en mi majeur, par Anthony Halstead et The Hanover Band.

Les Symphonies concertantes

« La symphonie concertante était l'un des genres les plus pratiqués à l'époque classique, de Mannheim et Vienne à Paris ou Londres, amateurs et interprètes raffolant de ces compositions où à l'élégance motivique du style galant s'ajoutait la possibilité de faire briller à bon compte les solistes des orchestres. Johann Christian Bach, très à l'affût depuis son havre londonien de toutes les modes et du dernier chic, en a laissé au moins dix-huit »13  Sur ces dix-huit, deux n'ont pas été retrouvées, mais les seize qui nous sont parvenues font de notre musicien un des maîtres du genre. L'extrême diversité des combinaisons instrumentales retenues en fait l'un des attraits : certaines de ces œuvres ne convoquent que les cordes, à l'exemple des deux belles symphonies pour violon et violoncelle en la majeur et en si♭majeur, ou de celle en mi♭majeur pour deux violons et violoncelle dont Johann Christian fera ensuite son premier concerto pour basson ;  deux ne retiennent que les instruments à vent, notamment celle en mi♭majeur pour deux clarinettes, deux cors et basson; d'autres mêlent habilement les deux familles d'instruments, en y incluant parfois flûte et alto, dans des combinaisons pouvant aller jusqu'à neuf solistes ; et dans un cas (cette symphonie en si♭majeur est probablement le sommet de la série), le musicien invite le pianoforte à participer aux réjouissances avec trois autres convives (hautbois, violon, violoncelle).

Certes, on n'attendra pas de grands frissons de ces œuvres dont l'objet était sans doute, pour reprendre une expression de J.L. Macia, de joindre « le futile à l'agréable », mais on aurait tort de les bouder : « Avec ce sens de la concision qui fut son apanage, Johann Christian évite les redites assez fréquentes dans les concertantes. Ses instruments dialoguent sans bavardage, et quand ils sont nombreux à tenir la vedette […], ils se contentent d'un petit tour en solo ou d'échanges à deux ou trois. De quoi laisser l'auditeur savourer la grâce des thèmes, la clarté de l'écriture, l'équilibre des proportions. »14

Johann Christian Bach, Symphonie concertante en si♭majeur W C48, pour pianoforte, hautbois, violon et violoncelle, par The Hanover Band, sous la direction d'Anthony Halstead.
Johann Christian Bach, Symphonie concertante en mi♭majeur W C41 pour 2 clarinettes, 2 cors et basson, 1. Allegro assai, 2. Larghetto, 3. Minuetto, The Hanover Band, sous la direction d'Anthony Halstead.
Johann christian Bach, Symphonie concertante en si♭majeur W C46, pour violon et violoncelle (I. Allegro maestoso), par The Hanover Band, sous la direction d'Anthony Halstead.

Les Symphonies (et/ou Ouvertures)

Dans sa musique, Johann Christian a opéré une synthèse très personnelle et réussie entre les éléments de la musique italienne et ceux de la musique germanique, un aspect de son art qui est particulièrement visible dans les nombreuses symphonies et / ou ouvertures qu'il a produites. En réalité, « la tradition italienne dont il s'inspira largement faisait peu de différence entre l'ouverture d'opéra et la symphonie, l'une et l'autre ayant en général trois mouvements (vif-lent-vif) enchaînés ou non, le troisième étant parfois une reprise abrégée du premier. Johann Christian Bach opéra plus ou moins la distinction, mais de façon pas toujours évidente pour une oreille d'aujourd'hui. Ses symphonies s'en tiennent presque toujours à la structure vif-lent-vif, et dans ses recueils publiés de symphonies furent intégrées, telles quelles ou quelque peu arrangées, des ouvertures d'opéra. »15

Les ouvertures proprement dites — les Six ouvertures favorites que le musicien publia en 1763, mais aussi bien d'autres parmi lesquelles les versions originales de pièces intégrées ensuite dans des symphonies — retiennent parfois l'attention, surtout lorsqu'elles bénéficient d'une richesse orchestrale somptueuse comme celle d'Endemione et surtout celle (très « mannheimienne ») de Temistocle.

Johann Christian Bach, Ouverture de Temistocle, par Les Talens Lyriques, sous la direction de Christophe Rousset.

Cependant l'intérêt se porte davantage vers les divers opus de symphonies publiés entre 1765 et 1782 (les six symphonies opus 3, les neuf des opus 6 et 8, les trois de l'opus 9 et les six du fameux opus 18), qui gagnent en substance musicale au fil du temps.

Ainsi, on trouvera déjà dans les opus 6 et 9 quelques vrais joyaux : l'opus 6 no 3, avec son délicieux final, en fait partie. L'orageux (car très Sturm und Drang) opus 6 no 6 en sol mineur est quant à lui à marquer d'une pierre blanche : cette symphonie « vibre d'une émotion sans contrainte et d'un accent personnel passionné, que nous ont également bien fait connaître les symphonies Les Adieux et La Passion de Haydn. Le premier et le dernier mouvements sont tempêtueux, avec des dissonances dures et de brusques sautes de nuances. »16   Et si, depuis toujours, l'opus 9 no 2 en mi♭majeur bénéficie des faveurs du public, ce n'est que justice : « La partie la plus charmante est le deuxième mouvement, un Andante con sordini en ut mineur dans lequel le chant mélancolique et tendre des premiers violons est délicieusement accompagné par les pizzicati des autres cordes. Là, dans un style qui est bien de Christian, cette musique rococo voluptueuse est parcourue par un souffle de tristesse et de nostalgie. »17

Johann Christian Bach, Symphonie opus 6 no 6 en sol mineur (Mouvements I & III) par Akademie für Alte Musik Berlin.
Johann Christian Bach, Symphonie opus 9 no 2 en mi♭majeur (II. Andante) par The Hanover Band, sous la direction d'Anthony Halstead.

C'est toutefois l'opus 18, en partie composé d'ouvertures d'opéras, qui constitue le sommet de la production symphonique de Johann Christian. Non que ces six symphonies soient toutes à mettre sur le même plan, car les quatrième et sixième, malgré leur brio, se situent en retrait. Mais on a là, avec l'opus 18 no 2, qui n'est autre que l'ouverture de Lucio Silla, une des plus belles oeuvres orchestrales du musicien : « Au charme léger et scintillant du premier mouvement s'oppose la solennité de l'Andante qui, en dépit de son caractère altier, donne des signes de la nature mondaine et extérieure de l'auteur. Le rondo final est irrésistible d'éclat et la transparence de ses sinuosités montre à quel point J. Ch. Bach approche parfois du style classique. »18   Et surtout ce recueil contient, avec les opus 18 nos 1, 3 et 5, trois symphonies où le compositeur fait appel à un double orchestre, le premier comprenant cordes, hautbois, basson et cors, le second cordes et flûtes. Même si seules deux de ces œuvres sont entièrement originales (car l'opus 18 no 3 est une adaptation de l'ouverture d'Endimione), on ne peut que s'incliner devant l'exceptionnelle invention mélodique, la noblesse de pensée et le merveilleux équilibre de la forme de ces trois symphonies.

Johann Christian Bach, Symphonie opus 18 no 1 (II. Andante), par The Academy of Ancient Music, sous la direction de Simon Standage.
Johann Christian Bach, Symphonie opus 18 no 2 en si♭majeur (Lucio Silla) I. Allegro con brio, II. Andante, III. Rondo : Presto, The Academy of Ancient Music.
Johann Christian Bach, Symphonie opus 18 no 3 en re majeur (Endemione)  par The Hanover Band, sous la direction d'Anthony Halstead.
Johann Christian Bach, Symphonie opus 18 no 5 en mi majeur, 1. Allegro, 2. Andante, 3. Tempo di minuetto, par The Hannover Band, sous la direction d'Anthony Halstead.égende.

Et puisqu'il est question ici des « symphonies » de Johann Christian Bach, disons au moins un mot des six  symphonies pour instruments à vent  composant le dernier recueil édité de son vivant. Ces six « symphonies » (des sextuors en réalité) « appartiennent au genre éminemment mozartien de la sérénade ou de la cassation pour vents. Jamais le rapprochement entre Johann Christian et Wolfgang Amadeus n'a paru aussi évident. Comment ne pas penser, à l'écoute de cette musique radieuse, gaie et fraîche, à certaines sérénades ou divertimentos pour vents de Mozart ? N'y retrouve-t-on pas le même équilibre raffiné entre les deux clarinettes, les deux bassons et les deux cors ? La même facilité motivique qui enchante par sa spontanéité ? La même atmosphère souriante qui s'ombre parfois d'un accord ténébreux des cors ou de la phrase mélancolique d'une clarinette ? »19  On n'en comprend que mieux le chagrin qu'éprouva Mozart à l'annonce du décès du Bach de Londres.

Johann Christian Bach, « Symphonie » pour instruments à vent no 4 en si♭majeur par le Nachtmusique Ensemble.

Notes

1. Vignal Marc, Le Monde de la musique (239), janvier 2000.

2. Geiringer Karl, Bach et sa famille : sept générations de génies créateurs (traduit de l'anglais par Marguerite Buchet et Jacques Boitel). Buchet Chastel, Paris 1955, p.451.

3. Vignal Marc, op. cit.

4. Vignal Marc, op. cit.

5. Geiringer Karl, op. cit., p.464.

6. Sacre Guy, La Musique de piano. Robert Laffont , Paris 1998, p.142.

7. Vignal Marc, Le Monde de la musique (278) , juillet/août 2003.

8. De Place Adélaïde, dans Fr. R. Tranchefort (dir.), Guide de la Musique de chambre, Fayard, Paris 1998, p.11.

9. Geiringer Karl, op.cit., p.470.

10. De Place Adélaïde, op. cit., p.12.

11.  De Place Adélaïde, Diapason (400), janvier 1994.

12. Geiringer Karl, op. cit., p. 477.

13. Macia Jean-Luc, Diapason (411), janvier 1995.

14. Macia Jean-Luc, op. cit.

15. Vignal Marc, dans Fr.R. Tranchefort (dir.),  Guide de la Musique symphonique, Fayard ,Paris 2002, p. 19.

16. Geiringer Karl, op. cit., p. 480.

17. Geiringer Karl, op. cit., p. 480.

18. Geiringer Karl, op. cit., p. 483.

19. Macia Jean-Luc, Diapason (388), Décembre 1992.



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