Michel Rusquet, Trois siècles de musique instrumentale : un parcours découverte : la musique instrumentale en Allemagne de Beethoven à Schubert.

Sonate pour violon et piano opus 47 (n^o 9) de Ludwig van Beethoven

beethoven

De 1803, l’opus 47 en la majeur,que Beethoven crut bon de dédier au violoniste français Rodolphe Kreutzer (lequel se serait toujours refusé à la jouer, la déclarant tout bonnement « inintelligible »…), est devenue, en partie grâce à Leon Tolstoï, la plus célèbre des dix. Un sort assez enviable pour une sonate que le musicien disait lui-même avoir écrite « dans un style très concertant, quasi comme celui d’un concerto », et, surtout, qu’il avait composée en toute hâte en vue d’un concert que devait donner un certain Bridgetower, jeune violoniste d’origine anglo-polonaise. Cette hâte n’explique pas tout, mais il se trouve que le troisième et dernier mouvement de cette sonate « à Kreutzer » n’est autre que le presto que Beethoven avait écrit un an plus tôt comme finale de sa sixième sonate opus 30 n^o 1, avant de le remplacer par l’allegretto con variazioni évoqué plus haut. D’où, peut-être, le côté quelque peu « bigarré » de l’assemblage des trois mouvements.

Quoi qu’il en soit, cette œuvre dans laquelle Tolstoï a vu le symbole de la passion fatale et dévastatrice mérite très largement l’engouement dont elle est l’objet. On a parlé, à propos de ses premier et troisième mouvements, de « véritable corps à corps de deux instruments » (Jean Chantavoine), et il est vrai, notamment, que le violon y affirme un ton fougueux et déclamatoire qu’on ne lui connaissait pas jusque là. Surtout, le premier mouvement, avec son adagio sostenuto ouvrant sur un presto passionné et violemment contrasté, surclasse par sa grandeur et sa force dramatique tout ce que Beethoven avait écrit auparavant. Brillant, mais plus léger de ton dans l’ensemble, le finale n’a pas le même impact. Entre les deux, l’andante con variazioni apporte une immense plage de détente poétique à partir d’un thème propice aux épanchements les plus intérieurs. Ce mouvement d’une rare perfection est parfois déprécié, alors qu’il « peut être considéré comme un modèle très pur de la variation « figurative ». Si l’on prend ce terme non dans son acception musicale courante […], mais dans le sens que lui donne la peinture moderne, un des traits essentiels de l’évolution beethovénienne peut apparaître. En effet, c’est d’abord la ressemblance au modèle initial, préservée tout au long du mouvement, qui caractérise les variations de l’opus 47. Dans la première, le thème, presque semblable à lui-même, est exposé au piano, l’élément ornemental est confié au violon ; dans la seconde, la situation est inversée : le violon déroule le thème, orné, le piano se limitant à un discret accompagnement. Les rôles sont partagés dans la troisième, le thème se schématise davantage, la métamorphose est plus sensible ; la quatrième variation, après un retour au thème, s’épanouit dans une conclusion très schumannienne et s’estompe dans un climat de recueillement. »¹⁷⁴