bandeau texte musicologie

Michel Rusquet, Trois siècles de musique instrumentale : un parcours découverte : la musique instrumentale en Allemagne de Beethoven à Schubert.

Sonates pour violon et piano opus 30 (nos 6-8), de Ludwig van Beethoven

beethoven

« Composées en 1802, ces trois sonates dédiées au tsar Alexandre 1er de Russie divergent d’inspiration et de style. Elles furent probablement achevées  avant l’été dramatique qui vit Beethoven lutter contre la tentation du suicide. D’un lyrisme radieux, la sixième sonate en la majeurre trouve un climat presque mozartien. Erratique, dramatique, héroïque dans ses volets extrêmes, la septième en ut mineur, la seule du groupe en quatre mouvements, est comme marquée par la présence du silence et même du vide. Au-delà de ses motifs, abrupts, elle dégage une forte impression d’unité thématique et d’économie de moyens. Plus modeste d’apparence que les deux précédentes, la huitième sonate en sol majeur est à la fois légère, impétueuse mais aussi souverainement interrogative. »171

Des trois mouvements de l’opus 30 no 1 en la majeur, on retient surtout le caractère radieux et chaleureux de l’allegro initial, avec ses deux thèmes aux inflexions très mozartiennes, et la tendresse poignante qui se dégage de la mélodie du thème principal de l’adagio molto espressivo ; les six variations auxquelles donne lieu l’allegretto conclusif, sur un gentil thème de veine populaire, pourront en revanche décevoir tant on reste loin des géniales audaces dont Beethoven fera preuve plus tard dans cette spécialité. Dans l’autre sonate en trois mouvements, l’opus 30 no 3 en sol majeur, qui regorge d’impressions rustiques et d’idées originales, on ne peut que se laisser gagner par l’impétuosité rythmique du premier mouvement, et emporter par le tourbillon et les joyeuses farandoles du finale. Mais c’est le tempo di minuetto central, marqué ma molto moderato e grazioso, et assorti d’un trio d’allure quelque peu populaire, qui laisse l’impression la plus profonde : « En ce deuxième mouvement plus énigmatique, semble percer l’angoisse dans laquelle Beethoven vécut alors. »172

Ludwig van Beethoven, Sonate pour violon et piano, opus 30, no 1, en la majeur, I. Allegro, par Itzhak Perlman & Vladimir Ashkenazy.
Ludwig van Beethoven, Sonate pour violon et piano, opus 30, no 3 en sol majeur, II. Tempo di minuetto, ma molto moderato e grazioso, par Sayaka Shoji et Gianluca Cascioli (en concert, Tokyo 2010).


Parmi ces trois sonates, c’est néanmoins l’opus 30 no 2 en ut mineur qui s’impose avec le plus de force. Des trois, « celle-ci s’avère sans doute la plus neuve, celle qui manifeste un nouvel accomplissement personnel. Sur le plan musical, elle correspond, du reste, aux sentiments décrits par Beethoven dans sa lettre de novembre 1801 à son ami Wegeler : « Ô le monde, je voudrais l’étreindre, si j’étais délivré ! […] Pas de repos ! Je veux saisir le Destin à la gueule ; il ne réussira sûrement pas à me courber tout à fait ». D’où le conflit héroïque entre une infirmité de vieillesse, la surdité, et l’enthousiasme de la jeunesse qui s’y affronte : voilà ce que reflète particulièrement cette sonate en ut mineur. »173  On pense ici en premier aux impressionnants assauts d’énergie de l’allegro con brio, tout comme aux coups de boutoir du scherzo, avec ses motifs incisifs et violemment rythmés, et, au moins autant au climat formidablement héroïque de l’allegro final, dont la puissance semble intensifiée par une incroyable économie de moyens. Mais, même dans le sublime adagio cantabile qui vient en deuxième position en déroulant sa longue plainte pathétique, on n’échappe pas non plus à de soudaines poussées de révolte. Tout cela concourt à faire de cette sonate une des œuvres majeures de Beethoven dans le genre.

Ludwig van Beethoven, Sonate pour violon et piano, opus 30, no 2 en ut mineur par Isaac Stern & Eugene Istomin.


plumeMichel Rusquet
20 novembre 2019
© musicologie.org

Notes

171. Szersnovicz Patrick, dans « Le Monde de la musique » (186),  mars 1995.

172. TTranchefort François-René, Guide de la musique de chambre, Fayard, Paris 1998, p. 57.

173. Ibid., p. 55-56.

La musique de chambre de Ludwig van Beethoven.

Sonates pour violon et piano : opus 12 (nos 1-3) ; opus 23 (no 4) ; opus 24 (no 5) ; opus 30 (nos 6-8) ; opus 47 (no 9) ; opus 96 (no 10).


rectangle acturectangle biorectangle texterectangle encyclo


À propos - contact |  S'abonner au bulletinBiographies de musiciens Encyclopédie musicaleArticles et études | La petite bibliothèque | Analyses musicales | Nouveaux livres | Nouveaux disques | Agenda  | Petites annonces | Téléchargements | Presse internationale | Colloques & conférences | Collaborations éditoriales | Soutenir musicologie.org.

Musicologie.org, 56 rue de la Fédération, 93100 Montreuil, ☎ 06 06 61 73 41.

ISNN 2269-9910

bouquetin

Mercredi 6 Juillet, 2022 23:09