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Michel Rusquet, Trois siècles de musique instrumentale : Un parcours découverte

Les Six concertos brandebourgeois de Johann Sebastian Bach

L'œuvre pour orchestre : Les quatre suites (ou Ouvertures) - Les six Concertos brandebourgeois - Les concertos pour violon - Les concertos pour clavecin - Les concertos pour 2, 3 ou 4 clavecins - Le concerto pour flûte, violon et clavecin.

Johann Sebastian Bach

Lorsqu'en 1721 Bach réunit quelques-unes de ses compositions antérieures pour les adresser, avec une dédicace rédigée en français, à un mélomane des plus éminents, « Son Altesse Royale Monseigneur Crétien Louis Marggraf de Brandenbourg » (par ailleurs oncle du roi de Prusse), il était loin d'imaginer l'immense popularité dont allaient bénéficier quelques siècles plus tard ces six concerts qu'il disait avoir accommodés à plusieurs instruments. Mais notre homme, qui passe pour avoir toujours composé pour la seule gloire de Dieu sans se préoccuper de sa propre gloire future, avait ici, sans aucun doute, des visées bien plus immédiates : obtenir un poste à Berlin, et, à cet effet, livrer quelques échantillons de ce qu'il avait pu faire de mieux dans le genre concertant.

D'où, pour notre plus grand bonheur, le caractère assez disparate de ces Concerts brandebourgeois BWV 1046 à 1051 : « Par la variété de leurs effectifs, de leurs styles (italien, français, moderne, ancien), de leurs formes, de leurs genres (concerto grosso, concerto pour soliste) et l'extraordinaire inventivité de leur structure, les Concertos brandebourgeois constituent une inépuisable source musicale, à la fois synthèse et renouveau du discours concertant. »103 En vérité, « ces concertos ne ressemblent à nul autre. Ce ne sont ni exactement des concertos grossos, ni des concertos à plusieurs solistes, mais des formations chaque fois nouvelles, où les timbres se mèlent de manière toujours inédite : ici trois cors, deux hautbois et un violon (Concert no 1) ; là une trompette, une flûte à bec, un hautbois, un violon (Concert no 2) ; tantôt des masses s'opposent : trois violons, trois altos, trois violoncelles (Concert no 3) ; tantôt des instruments traités de manière plus personnelle : une flûte, un violon, un clavecin (Concert no 5). Chacun d'eux est un monde à part, qui ne doit rien à ses voisins, et qui ne doit rien à personne. »104  Le lumineux concerto no 4, avec son concertino formé de deux flûtes à bec et d'un violon, ne fait pas exception, pas plus que l'étonnant n°6 qui associe timbres anciens et modernes en privilégiant les teintes graves : Bach l'écrit en effet pour un ensemble formé de deux altos, deux violes de gambe, violoncelle, contrebasse et clavecin continuo.

Au-delà des questions d'effectifs instrumentaux, il faut souligner l'extrème originalité de l'utilisation qu'en fait le compositeur : « si les Concerts no 1, no 3 et no 6 mettent en œuvre des chœurs instrumentaux (au sens donné à ce terme depuis Giovanni Gabrieli) d'égale importance, et ne donnent à tel ou tel instrument le beau rôle que provisoirement, les Concerts no 2, no 4 et no 5 évoquent au contraire une espèce de pyramide à trois étages : comme fondations, les cordes (ripieno) ;  au-dessus, des solistes (concertino) ;  au sommet, pris parmi les précédents, un soliste encore plus important et agile (trompette dans le no 2, violon dans le no 4, clavecin dans leno 5)105  Ce n'est pas pour rien que le no 5, avec la gigantesque cadence pour clavecin solo de son premier mouvement, passe pour être le premier concerto pour clavecin jamais écrit. On remarquera également, car le lyrisme en demi-teintes qui en résulte touche profondément l'auditeur, que, dans le mouvement lent intermédiaire de ces concertos, Bach ne retient en général qu'un nombre très réduit d'intervenants, se rapprochant ainsi des confidences de la musique de chambre.

Bien sûr, il faudrait aussi souligner l'extraordinaire richesse des combinaisons contrapuntiques dont le compositeur parsème ces œuvres, et au moins autant le génie avec lequel il dissimule sa science à l'arrière-plan de pièces généralement détendues et avenantes. Car dans ces six concertos, «  le rythme vigoureux, la vie, la couleur des timbres, l'inspiration contribuent à l'affranchissement de la polyphonie. Ils semblent incarner la splendeur et l'effervescence de la vie à la cour de Coethen ; ils révèlent en outre le plaisir que prenait le compositeur à écrire pour un groupe d'instrumentistes admirablement formés. Cette musique exprime une exubérance, un optimisme que seul un génie conscient de sa pleine maîtrise nouvellement acquise pouvait traduire. Métier et inspiration, logique de fer et goût pour les expériences nouvelles s'équilibrent dans ces concertos à un point rarement atteint par Bach lui-même. »106

Concerto no 3 en sol majeur BWV 1048, Orchestre baroque de Freibourg, Gottfried Von der Goltz, direction.
Concerto no 4 en re majeur BWV 1049 (I. Allegro), Concerto Italiano, Rinaldo Alessandrini.
Concerto no 5 en re majeur BWV 1050 (I. Allegro), Concerto Italiano, Rinaldo Alessandrini.

Notes

103.  Venturini Philippe, dans « Le Monde de la musique » (227)  décembre 1998  

104.  Beaussant Philippe, dans Jean et Brigitte Massin, « Histoire de la musique occidentale », Fayard, Paris 2003, p. 511.   

105. Vignal Marc, dans François-René. Tranchefort (dir.), « Guide de la Musique symphonique », Fayard, Paris 2002, p. 25.  

106. Geiringer Karl, Bach et sa famille : sept générations de génies créateurs (traduction par Marguerite Buchet et Jacques Boitel). Buchet Chastel, Paris 1955, p. 321.


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Lundi 1 Avril, 2024

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