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29 septembre 2025 — Frédéric Léolla

Sexe et opéra (XIX 11) : Adriana Lecouvreur

Opéra en 4 actes de Francesco Cilea, sur un livret d'Arturo Colautti d’après la pièce d’Eugène Scribe et Ernest Legouvé, créé le 26 novembre 1602, à Milan, Teatro Lirico.

Portrait d'Adrienne Lecouvreur (1692-1730), gravure de Legnay, d'après un dessein de Ch. A. Coypel.

Eh oui, cela semblait à priori impossible dans un répertoire né essentiellement au cours du dix-neuvième siècle, et cependant, si on l’analyse froidement, ce n’est que de la prostitution masculine que le pourtant présenté héroïquement, et avec tous les attributs du mâle italien du 1900, Maurizio di Saxe — tiré un peu par les cheveux du vrai Maurice de Saxe — fait au cours de l’opéra. Certes, Maurizio ne couche pas pour de l’argent — manquerait plus que ça ! — mais Léonor de La favorite non plus, ne couchait pas avec son roi pour de l’argent. Maurizio couche avec la princesse de Bouillon — bien malgré lui, si l’on croit toutes les allusions qu’il y fait devant Adriana et même tout seul (fin acte I) — pour des raisons de politique, d’ambition, de « gloire ». Ou de carrière, selon le cynisme ou la naïveté que l’on veuille mettre dans notre analyse. Mais n’est-ce pourtant pas toujours et encore de la prostitution ? Il couche hors du mariage non pas pour l’amour, mais pour obtenir un bénéfice personnel. Nous nous permettons donc d’inclure le très mâle Maurizio, qui dit aimer Adriana parce qu’elle lui rappelle sa maman et son drapeau (une telle déclaration ferait fuir la plupart des femmes que je connais), de l’inclure donc parmi les exemples de prostitution, seul exemple de prostitution masculine dans le répertoire d’opéra — ce qui en dit long sur la vision de la femme dans ce répertoire.

Adriana Lecouvreur, Théâtre J.K.Tyla Plzeň (Tchéquie), 24 octobre 2009, Šimerda Tomáš, Pokorný Jiří, Sehnoutková Radka, Kopp Miroslav, Fraus Jan, Veberová Ivana, Klimentová Ivana.

Ce qui est encore plus « révoltant » par rapport à notre pauvre Léonor de La favorite, c’est que, en plus, Maurizio n’en éprouve pas le moindre remords. Au contraire, on dirait presque qu’il s’en vante. Et la société — autant la société représentée dans le livret, que la société réelle du public assistant — ne font jamais un geste de rejet ou de condamnation de Maurizio — contrairement à l’exemple, encore une fois, de La favorite, ou de La traviata, ou à la même époque de Sapho, La Rondine, Iris, etc. À croire que la prostitution masculine serait consentie par la société pourvu qu’il n’y ait pas d’homosexualité, que le prostitué ne soit pas payé en argent, mais en « influences », et que le mâle puisse conserver son rôle, ou du moins son apparence, de « dominateur ». J’ose espérer que le Maurizio d’Adriana Lecouvreur de Cilea/Colautti n’est plus un modèle pour personne, mais j’ai bien peur de me leurrer.

Francesco Cilea, Adriana Lecouvreur, acte 4., « No la mia fromte che pensier non muta », Anna Netrebko (Adrienne Lecouvreur), Yusif Eyvazov (Maurice de Saxe), Opéra de Paris sous la direction dce Jader Bignamini, 2024.

Par ailleurs, cette prostitution de Maurizio n’a d’autre but, dramaturgiquement, que de justifier le fait qu’il entretienne les espérances autant de la Princesse de Bouillon que de la comédienne Adriana Lecouvreur. Ce qui permet à son tour de justifier la jalousie dévorante entre les deux femmes. Et de là le conflit des actes 2, 3 et 4. Pour que le bon Maurizio ne passe donc pas pour un goujat et un veule qui ne sait ou ne veut se décider entre deux femmes, le librettiste le prostitue pour des raisons de politique (ou de carrière), ce qui serait censé nous rendre le personnage plus sympathique (!!!).

Enfin, musicalement, la prostitution de Maurizio ne se sent que lorsqu’il est obligé de s’humilier devant sa « cliente », la princesse de Bouillon, en y découvrant un ras-le-bol et une fatigue que l’on veut bien prêter à toute personne exerçant ce « métier » (« l’anima ho stanca »). Par ailleurs il vaut mieux écouter cet opéra sans trop faire attention au livret, et en jouissant pleinement des très belles mélodies de Cilea — même celles qu’il a écrites pour Maurizio (notablement « la dolcissima effigie », la terrible déclaration d’amour dont nous parlions tout à l’heure, servie pourtant par une superbe mélodie).

Voir le chapitre « adultère ».

plume_04 Frédéric Léolla

29 septembre 2025

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Lundi 29 Septembre, 2025 1:42