La Favorita, Gran Teatre del Liceu, Barcelona, décembre 1922.
Musique de Gaetano Donizetti, sur un livret d'Alphonse Royer, Gustave Vaëz et Eugène Scribe, d’après la pièce Le comte de Comminges de François-Thomas-Marie de Baculard d’Arnaud, créée en 1840, Opéra de Paris.
Malgré les avertissements colériques du père Balthazar, le moine Fernand quitte le monastère parce qu’il est tombé amoureux d’une beauté mystérieuse. Celle-ci, Léonor, tout en lui défendant de l’aimer, l’encourage à partir guerroyer contre les maures, ce que Fernand ne manque pas de faire. En fait, Léonor n’est autre que la favorite du roi de Castille Alphonse xi qui, pour pouvoir l’épouser, est prêt à répudier sa femme, la reine. Ce à quoi s’oppose fermement le père Balthazar, oui, le même du début) qui lance l’anathème sur la favorite, Léonor. À l’acte iii, Fernand revient de la guerre, couronné de lauriers. Lorsque son roi, Alphonse, lui demande comment le récompenser, Fernand demande la main de Léonor, avec qui il vient de tomber nez à nez dans la cour royale et dont il continue de tout ignorer. Alphonse, mû plus par un sentiment de jalousie vengeresse que par la magnanimité, décrète que ces noces auront lieu le jour même. Léonor se sent ravie, parce qu’elle aime Fernand, mais piégée parce qu’elle sent qu’elle devrait lui révéler ce que tout le monde sait, sa relation « intime » avec le roi. Elle confie cette tâche délicate à sa confidente Inès. Mais les sbires du roi, qui veut parachever sa vengeance, empêchent Inès de faire cet aveu à Fernand. Ainsi, lorsque Fernand se marie avec Léonor, les courtisans lui font sentir immédiatement leur mépris. Étonné et furieux d’un tel mépris, Fernand veut défier en duel tous les assistants. Arrive alors le père Balthazar (oui, encore lui) qui révèle la vérité à Fernand : il s’est marié avec la favorite du roi. Ce à quoi Fernand, qui se sent trahi par tout le monde, réagit en envoyant valdinguer et le roi et la cour et Léonor et le monde entier : il repartira dans son monastère. L’acte iv a lieu en effet dans le monastère, où Fernand, qui se sent toujours trahi, ne peut pourtant pas oublier Léonor. Celle-ci arrive, méconnaissable, épuisée par la pénitence : elle cherche le pardon de son bienaimé qui d’abord la rejette. Puis il comprend les nobles sentiments de Léonor et se sent prêt à abandonner une nouvelle fois le monastère pour elle. Mais Léonor est au bout du rouleau : elle meurt entre les bras de Fernand, désespéré.
Gaetano Donizetti, La Favorite, Leonora : « Oh mio Fernando », Ebe Stignani (1903-1974), enregistré en 1937. La Favorite, opéra de Donizetti, Vaez et Royer : costumes de [Lucien] Petipas et de Mme Carlotta Grisi [danseurs de l'intermède], 1841.
Basée sur des personnages historiques, au moins pour ce qui concerne Alphonse XI de Castille et sa royale maîtresse Léonor de Guzman, La favorite est peut-être le premier opéra du répertoire à introduire la figure de la courtisane. Certes, Léonor, la protagoniste, n’a prodigué ses faveurs qu’à un seul homme, cet homme étant roi de Castille par-dessus le marché. Elle ne l’a pas fait pour de l’argent, mais parce qu’elle croyait aux promesses de mariage du roi. Mais le mariage n’arrivant toujours pas, cela suffit pour centrer le conflit autour justement des notions de « honte », de « culpabilité » et de « repentir », trois notions qui vont être présentes dans la plupart des figures de courtisane de l’histoire opératique. Ce à quoi s’ajoute, pour le premier acte, la notion de « secret ». Un secret de polichinelle, puisque tout le monde le connaît, sauf celui qui aurait le plus intérêt à le connaître, c’est-à-dire Fernand, l’amant transi qui, du coup, en apprenant au troisième acte la qualité de favorite de sa bienaimée apprendra aussi par la même occasion qu’il est lui-même l’objet de mépris et de risée de toute la société. Ne l’oublions pas, l’opéra romantique n’invente rien là-dessus : le rejet social provenant de la prostitution ou d’autres figures d’interdit sexuel était (hélas, le verbe peut encore se conjuguer au présent) contagieux. Quiconque osera fréquenter une prostituée sans la mépriser, quiconque osera se marier avec elle — voire, pour les femmes « honnêtes », établir une relation amicale — est passible de rejet aussi. Et c’est bien tout le conflit de La favorite.
Gaetano Donizetti, La Favorite, Final du second acte, Leonor (Veronica Simeoni), Alphonse (Vito Priante), Balthazar (Simon Lim), Don Gaspa (Ivan Ayon Rivas), Inès ( Pauline Rouillard), Fernand (John Osborn), Chœur et orchestre de La Fenice, sous la direction de Donato Renzetti, Mise en scène de Rosetta Cucchi.Teatro La Fenice, Venise.Le titre même ne fait pas allusion aux qualités physiques ou spirituelles de la protagoniste, il ne s’agit même pas de son prénom. Il fait directement allusion au stigmate de Léonor. Tel que le fera, quelques années plus tard, l’opéra phare en matière de prostitution, La Traviata (Verdi/Piave), le terme de « traviata » (« égarée », « dévoyée ») étant déjà par ailleurs utilisé dans La favorite par la propre Leonora dans la version italienne de l’œuvre (« Si Alfonso, me traviata, avvilita, m’hai tolto il padre, l’onore, la fe»).
La favorite, opéra de Donizetti, Vaez et Royer : costume de Barouilhet (rôle d'Alphonse), 1841.
Ainsi, la simple qualité de « favorite » est non seulement essentielle pour l’action (le secret du premier et deuxième acte naît de cette qualité que la protagoniste veut occulter, dans le troisième, cette qualité provoque les risées, puis le scandale, et, dans le quatrième, c’est la source du repentir), la qualité de favorite est aussi le moteur de l’évolution psychologique de l’héroïne. Et surtout, cela permet au compositeur de créer quelques pages d’une intensité remarquable, que ce soit le beau duo du deuxième tableau du premier acte « Mon idole, Dieu t’envoie », le superbe air plus cabaletta « Ô mon Fernand, tous les biens de la terre » (structure parfaitement adaptée pour le coup au débat de la protagoniste) ou le magnifique dernier acte, à compter parmi les chefs-d’œuvre du compositeur.
Notons aussi que, si l’héroïne meurt dans la pauvreté et le repentir tel que l’exige la morale, elle aura néanmoins réussi à défroquer — en principe sans le vouloir — le héros alors qu’il vient justement de prononcer ses vœux (« Pour te posséder, je serai sacrilège », finit-il par avouer ! La mort de Léonor arrive à point nommé pour éviter le sacrilège. Nous voilà tous rassurés).
Frédéric Léolla
15 août 2025
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Lundi 18 Août, 2025 1:16