Nice, 1er juillet 2025, —— Jean-Luc Vannier.
Sisters, Karine Deshayes et Delphine Haidan, Orchestre national Avignon-Provence, sous la direction de Débora Waldman, extraits d'opéras de Rossini, Berlioz, Bertin, Bellini, Saint-Saëns, Grandval, Viardot. NomadMusic 2025 (NMM 118).
Elles étaient sœurs et toutes deux mezzo-sopranos. Maria-Felicia Garcia dite La Malibran (1808-1836) et Pauline Garcia (1821-1910), épouse Viardot ont fait les grandes heures du Théâtre-Italien : « Peu importe que les chanteurs ne soient pas italiens de naissance pour être engagés aux Italiens. Ce qui compte avant tout, ce n’est pas qu’ils soient italiens, mais qu’ils représentent une mythique école italienne » précise Céline Frigau Manning dans Histoire de l’Opéra français, du Consulat aux débuts de la IIIe République (p. 283).
C’est en hommage aux deux cantatrices françaises — d’origine espagnole — que deux autres célèbres mezzos, Karine Deshayes et Delphine Haidan, ont enregistré chez NoMadMusic un album intitulé Sisters avec l’Orchestre national Avignon-Provence dirigé par Débora Waldman.
Outre les grands titres du répertoire belcantiste avec des extraits d’œuvres de Gioacchino Rossini ou de ceux de Vincenzo Bellini (1801-1835) — magnifique « O lasciate, lasciatemi morir » de I puritani —, cet enregistrement propose aussi quelques très belles incursions chez Christoph Willibald Gluck (1717-1787) — superbes vocalises de Karine Deshayes sur « Je vais braver le trépas » du Orphée et Eurydice — ou bien encore chez Hector Berlioz (Acte I, scène 4 de Les Troyens).
Cet album possède, par surcroît, le mérite de nous faire découvrir les années d’opposition de Pauline Viardot à Napoléon III : la compositrice s’installe en 1863 avec sa famille à Baden-Baden où elle animera un salon et fera représenter dans un théâtre privé des petits ouvrages dont Le Dernier Sorcier (1867) sur un livret d’Ivan Tourgueniev (1818-1883). Delphine Haidan en interprète « Pourrais-je jamais aimer une autre femme ? ». Ou, plus exotique, des mélodies russes d’Alexandre Pouchkine (1799-1837), d’Afanassi Fet (1820-1892) et d’Ivan Tourgueniev dont « Dans les plaines de Géorgie » avec un vibrant « Что не любить оно не может » (sans aimer ne peut pas vivre) qui termine une mélodie tirée de Les Monts de Géorgie (На холмах Грузии). Avec une petite énigme puisque la musique originale est tantôt attribuée à Pauline Viardot, tantôt à Nikolaï Rimski-Korsakov. Mais il est vrai que la cité thermale du Bade-Wurtemberg accueillait le nec plus ultra des artistes de l’époque et qu’Ivan Tourgueniev fut en quelque sorte l’initiateur de Pauline Viardot au vaste répertoire russe.
La partie orchestrale n’est pas en reste dans cet album et elle contribue tant à la découverte qu’au plaisir : de la compositrice et cantatrice Clémence de Grandval (1828-1907), nous entendons, extrait de son dernier opéra Mazeppa créé au Grand Théâtre de Bordeaux le 24 avril 1892 — livret de Charles Grandmougin et de Georges Hartmann —, le divertissement no 3 « Danse ukrainienne » ou bien l’entracte de l’acte III « Le jardin de Kotchoubey ». Anecdote : lors de son séjour à Paris, Clara Wieck écrit à son futur époux, qu’elle avait voulu rendre visite à Louise-Angélique Bertin mais qu’elle avait trouvé porte close car cette dernière ne se levait pas avant deux heures de l’après-midi. Et de conclure « Da schlafen die Französinnen noch » (Eva Weissweller, Clara Schumann, Eine Biographie, Hoffmann und Campe, 1990, p.120).
L’ouverture d’Otello de Rossini nous rappelle un peu celle d’Il Turco in Italia, tandis que celle du Fausto (1831) de Louise-Angélique Bertin nous fait immanquablement penser, avec ses deux accords massifs et inquiétants, à celle de Don Giovanni !
Retour aux sources, en conclusion, avec l’interprétation de El Desdichado, une chanson espagnole à deux voix sur le poème Chimères publié en 1854, après deux crises de folie, par Gérard de Nerval et mis en musique par Camille Saint-Saëns. Deux belles voix dont les tessitures, les timbres et les grains de voix, étonnamment distincts, se complètent intelligemment.
Jean-Luc Vannier
Nice, le 1er juillet 2025
À propos - contact |
S'abonner au bulletin
| Biographies de musiciens | Encyclopédie musicale | Articles et études | La petite bibliothèque | Analyses musicales | Nouveaux livres | Nouveaux disques | Agenda | Petites annonces | Téléchargements | Presse internationale | Colloques & conférences | Collaborations éditoriales | Soutenir musicologie.org.
Musicologie.org, 56 rue de la Fédération, 93100 Montreui, @, ☎ 06 06 61 73 41.
ISNN 2269-9910.
Mercredi 2 Juillet, 2025 13:49