Jean-Marc Warszawski, 12 septembre 2025
Jan Čmejla, Goethe-Institut Paris, 9 septembre 2025.
Jan Čmejla est tchèque, il est pianiste, il a vingt-deux ans, il a remporté le Concours Johann Sebastian Bach de Leipzig 2025 (après Épinal 2022, Santa Cecilia 2021, Dvořák-Concertino Praga 2019). Gautier Capuçon flairant la bonne affaire l’a intégré à sa fondation, sans avoir contribué en quoi que ce soit au talent du jeune artiste ou à sa formation qui est intégralement tchèque, hormis un perfectionnement à la Haute école des arts de la scène de Manheim.
Nous sommes fidèle au Goethe Institut de Paris, où il s'est produit le 9 septermbre dernier, au cycle des récitals « Piano mon amour » programmé par les pianos Blüthner (Leipzig) et la fondation Alfred Reinhold, mais nous étions vreiment très curieux d’entendre ce tout jeune pianiste victorieux du Concours Johann Sebastian Bach de Leipzig, car dans cette capitale mondiale de la musique, ça ne rigole pas. Nous n’avons pas été déçu.
Aussi Riquet à la houppe que sur les photos, vernies noires, costume gris, sobre, très ajusté, un petit peu trop ajusté (légère prise de poids récent ?), col mao veston et chemise, qui évite cravate comme nœud pap, il nous donne une impression d’étriqué, de pasteur (les couleurs), de notaire de roman, enfin de sobriété quand même étudiée.
En ouverture, honneur bien sûr à Johann Sebastian Bach, qui lui a si bien réussi en juin dernier à Leipzig : la quatrième Partita. C’est au bout de deux mesures sans appel, Glenn Gould a sans aucun doute tendu l’oreille. Un jeu incisif, la régularité dans les traits rapides, tant dans la linéarité que le toucher, pratiquement pas de pédale forte, les basses magnifiquement sèches et solides, une main gauche à toute épreuve, une précision parfaite, une clarté sans une ombre dans l’énoncé aux différentes parties. Il m’a même semblé l’entendre fredonner, tant j’en avais envie. Surtout, un son magnifique et une musicalité exceptionnelle au-delà des régularités mécaniques, comme l’élégance dans l’Allemande.
Jan Čmejla, Goethe-Institut Paris, 9 septembre 2025.
L’enchaînement avec deux études de György Ligeti est bienvenu, si le langage tonal est d’un autre monde, il y a quelque chose en continuité, le rythme peut-être, la pulsation, le flux des notes. La cinquième étude, si aérienne, mystérieuse, qui juxtapose deux rythmes différents, la dixième, toute en virtuosité de vélocité aux effets joyeux et facétieux.
Avec le Carnaval (en 22 scènes1) de Robert Schumann on est vraiment dans un autre monde, on redoute un peu, car on ne brille pas dans tout. Et pourtant, si, toujours avec ce magnifique son, plus travaillé aux doigts qu’aux pédales. C’est le carnaval qu’on traverse, ses personnages qu’on rencontre, les flonflons du bal, l’impression d’aller de lieu en lieu, avec la musique qui s’estompe ou qui s’arrête subitement quand on sort de la salle des fêtes ou du café, avec de belles respirations, tels Frédéric Chopin ou Niccolò Paganini, qui jouent aussi quelque part dans des salons, peut-être dans le même… Jan Čmejla se lève, plonge la tête dans le piano, et joue directement sur les cordes quelques notes en dessous et au-dessus du sillet. Mystère. Trois mystères de sphinx même, que les pianistes ne jouent pas, entre les épisodes « Réplique » et « Papillons » on comprend pourquoi :
Les trois sphinx révèlent la construction des deux thèmes qui traversent toute l’œuvre (sauf dans « Réplique » et « Chopin ». La notation allemande des notes de musique, A, B, C, D, E, F, G, (H) [A=la], avec « is » pour les bémols et « es » pour les dièses, permet d’écrire des mots ou des parties de mots. Ici il s’agit de la ville natale de sa fiancée, « Asch » (2. lab, do, si ou 3. la, mib, do, si) mais aussi, inversé dans le titre des « Lettres dansantes » 1. « Scha » (mib, do, si, la), qui n’est pas utilisé, mystère dans le mystère (peut-être dans des pièces qui n’ont pas été retenues par Schumann ?). Il fallait éclairer le mystère, pour y comprendre quelque chose. Puisque nous y sommes, « Chiarina », entre les épisodes « Lettres dansantes » et « Chopin », est le portrait de Clara Wieck, future Clara Schumann.
Jan Čmejla a trouvé une excellente idée pour interpréter ces trois mystères, même que cela sembla sur le coup fort mystérieux. Mais il sait, sous son aspect si sérieux, parfois un peu bougon, bien rendre les traits d’humour, mais aussi le lyrisme, dont le Carnaval, où se lient bien des amours, souvent d’un soir (« l’Aveu » est bien sûr un aveu d’amour), des infidélités qui durent parfois plus d’un soir, ne manque pas, d’autant que Robert Schumann l’avait, à l’origine, dédié à sa fiancée de l’époque, Ernestine von Fricken.
En bis, Jan Čmejla a joué le nocturne en do dièse mineur de Chopin, d’une beauté à tirer des larmes et en ter les Étincelles de Moritz Moszkowski arrangé par Arcadi Volodos, à une vitesse époustouflante, sans rien perdre du son, de la précision, de la régularité, concurrençant les facéties dont Yuja Wang nous régale régulièrement.
Jan Čmejla est à vingt-deux ans au niveau de la cour des grands, selon nous, comme Daniil Trifonov, il a tout, même une personnalité musicale affirmée que n’a personne d’autre.
Jean-Marc Warszawski
12 septembre 2025
1. Préambule, 2. Pierrot, 3. Arlequin; 4. Valse noble, 5. Eusebius, 6. Florestan, 7. Coquette, 8. Réplique, s.n. Sphinx, 9. Papillons, 10. ASCH - SCHA : Lettres dansantes, 11. Chiarina, 12. Chopin, 13. Estrella, 14. Reconnaissance, 15. Pantalon et Colombine, 16. Valse Allemande, s.n. Intermezzo : Paganini, 17. Aveu, 18. Promenade, 19. Pause, 20. Marche des Davidsbündler contre les Philistins.
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Samedi 13 Septembre, 2025 3:21