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Barcelone, Palau de la Música Catalana, 14 février 2025, Jean-Marc Warszawski.

Palau de la Música Catalana : Daniil Trifonov dix ans après

Daniil Trifonov, Palau de la Música Catalana, 14 février 2025. Photographie © Mario Wurzburger.Daniil Trifonov, Palau de la Música Catalana, 14 février 2025. Photographie © Mario Wurzburger.

Contrairement à ce que bien des gens doivent penser, l’immeuble du Palau de la Música Catalana, inauguré en 1908, n’est pas l’œuvre d’Antoni Gaudí mais de Lluís Domènech i Montaner son quasi exact contemporain et rival. Le Palau, la plus belle salle de concert du monde, est son chef-d’œuvre. Malgré l’abondance de mosaïques, de pierre, de verre et verrières dont les deux murs latéraux, le fond de salle et une grande partie du plafond, l’acoustique y est excellente.

Ce récital était organisé par Ibercamera, une grande agence artistique qui, entre autres, programme depuis quarante ans des concerts à Barcelone. En 2015, elle avait invité Daniil Trifonov, le revoici dix ans plus tard à quelques jours près et au même lieu (mais en dehors d'Ibercamera, il s'est produit en ce lieu plusieurs fois depuis au moins 2014).

Le récital commença par la seconde sonate (mais première en date) de Piotr Illitch Tchaïkovski, boudée par les pianistes, car en plus d’être une œuvre de jeunesse composée en 1865, alors que le compositeur était encore étudiant, elle a la réputation d’être mal ficelée et d’être peu pianistique. Elle ne fut pas éditée du vivant de Tchaïkovski, on la découvrit dans ses papiers bien après sa mort. Peu russophile, plutôt dans l’héritage romantique allemand, elle a un côté brut de décoffrage dès son premier thème de trois croches mélodiques suivies de cinq accords bombastiques, un par temps, rageurs ou effrayants ou agressifs, qui vont combattre les tentatives lyriques. Là-dedans, tout se combat sans se développer, comme chez Brahms. Le scherzo, avec un épisode de modulations à cru inhabituelles, illumine un temps l’œuvre de lumière et de grâce. Sonate de jeunesse, certes, mais l’absence de sophistication permet parfois l’expression de la spontanéité essentielle, ici plutôt tourmentée, désabusée et agitée.

Nous fûmes vite conquis par la volupté, l’homogénéité du son sur toute la tessiture des quatre-vingt-huit notes et la virtuosité sans effort de Daniil Trifonov, qui firent oublier que le piano est un instrument mécanique. Ce pianiste semble produire le son directement de l’épaule, du bras, du poignet, des doigts. Le rêve de Glenn Gould : passer directement de l’idée au son. Ce n’est pas vraiment de la magie, mais on imagine que tout ce qu’il touche au clavier devient nécessairement admirable.

Nous n’attendions pas une grande surprise des six valses de Chopin dont nos oreilles sont tant rebattues. Elles finissent par être des obligations plus que des envies. Pourtant, les premières mesures de la mi majeur (sans numéro d’opus) opérèrent un changement radical de décor, le calme après l’âpreté depuis un piano devenu intime. Là où en général on surjoue le brillant par l’intensité de projection et l’amplification des accentuations, il faut que ça danse, Daniil Trifonov allégea le frappé, diminua l’intensité sonore, pas d’épaule, moins de bras, il laissa la virtuosité s’embraser de nostalgie, de tristesse (la la mineur), de mélancolie (opus 70, no 2), de tourments (opus 64, no 3), même celles réputées de joyeuse jeunesse (mi majeur sans opus, l’opus 64, no 1, « le petit chien »), ne furent pas vraiment gaies. Mais quelle beauté qui nous tira une larme. Joseph Haydn disait qu’avec l’âge on devenait larmoyant. Peut-être avons-nous fortuitement pensé à Pau Casals dirigeant ici son orchestre devant un public populaire, impertubable, alors que l'aviation nazie commençait à Bombarder Barcelone et la République espagnole.

Daniil Trifonov, Palau de la Música Catalana, 14 février 2025. Photographie © Mario Wurzburger.Daniil Trifonov, Palau de la Música Catalana, 14 février 2025. Photographie © Mario Wurzburger.

La seconde partie fut une montée en puissance pianistique. Contrairement à la sonate de Tchaïkovski, celle de Samuel Barber est une composition bien-aimée des pianistes, elle est habile, conçue pour l’instrument, et même pour l’école russe, car le compositeur en été inspiré par le jeu de Vladimir Horowitz, qui l’a d’ailleurs créée en 1950. Cette œuvre, qui travaille l’ambiguïté et l’instabilité entre tonalité et atonalité, est, malgré des épisodes guillerets, plutôt sombre, voire tragique dans l’extrême lenteur de l’adagio.

Enfin, le feu d’artifice de la suite du ballet La Belle au bois dormant de Tchaïkovski dans la version de Mikhaïl Pletnev. Les plus érudits purent suivre le livret au long des onze numéros, certains très courts, les autres se régaler de pièces de genre brillantissimes d’invention et d’expression.

On a toujours un motif pour apprécier un artiste musicien, sa puissance, sa poésie, son toucher, sa virtuosité, sa compréhension des œuvres, son originalité ou sa personnalité… Daniil Trifonof a tout.

plume_07 Jean-Marc Warszawski
Barcelone, 14 février 2025


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Lundi 17 Février, 2025 4:31