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Marseille, 8 juin 2017, par Jean-Luc Vannier ——

Un Don Carlo classique et élégant pour la fin de la saison lyrique marseillaise

Yolanda Auyanet (Elisabetta) et Teodor Ilincaï (Don Carlo). Photographie © Christian Dresse.

En coproduction avec celui de Bordeaux, l'opéra de Marseille proposait jeudi 8 juin, un Don Carlo des plus classiques mais qui ne manquait pourtant pas d'élégance. De ce monument verdien créé le 11 mars 1867 à Paris et remanié pour sa « version italienne » en 1884, l'établissement lyrique de la Cité Phocéenne a su mettre en valeur la densité dramaturgique des personnages. Signée Charles Roubaud qui nous avait habitué à plus d'audace dans un somptueux Fliegende Holländer, la scénographie privilégie la mise en exergue des déchirements intérieurs en permettant aux principaux caractères de demeurer au milieu de la scène pour leurs grands airs. Les costumes particulièrement soignés de Katia Duflot, les décors sombres et massifs parfaitement adaptés à la tragédie d'Emmanuelle Favre, les jeux de lumière de Marc Delamézière agrémentés des vidéos — fort heureusement en léger contrepoint visuel — de Virgile Koering nous plongent instantanément dans les vertigineux abysses du drame.

Jean François Lapointe (Rodrigo) et Teodor Ilincaï (Don Carlo) Photographie. © Christian Dresse.

Nous n'avons pas trop saisi, en revanche, ce qui a pu se passer avec la direction musicale du maestro Lawrence Foster : tempi inlassablement lents, parfois aussi de graves contretemps, au point même de relever plusieurs « angles morts » musicaux. Rare pour ce chef que nous avons plus l'habitude de complimenter. Souhaitons qu'il ne s'agisse là que d'un accident, certes fâcheux, de parcours.

Les prises de rôle dans cette brillante distribution auront sans aucun doute joué en faveur des différents artistes, très investis vocalement et scéniquement. Invitée pour la première fois à l'opéra de Marseille, la soprano Yolanda Auyanet offre une interprétation d'Elisabetta des plus convaincantes. Et pas seulement pour le si bémol tant attendu et superbement maintenu dans l'ultime note de sa partition. Sa ligne de chant est magnifique, maniant avec aisance l'alternance de la réserve due à son rang, les élans de la passion et les instants d'intense recueillement comme son superbe « Tu che le vanità conosceti del mondo » à l'acte IV qui lui vaut une ovation. Magistralement comédienne dans son interprétation d'Eboli, Sonia Ganassi est désormais une « habituée heureuse », disait-elle à l'issue de la représentation, de la scène marseillaise si nous voulons bien nous souvenir d'Anna Bolena en octobre 2016 ou de Moïse et Pharaon en novembre 2014. Un opéra qui lui a bien rendu sa fidélité par de multiples acclamations. La mezzo-soprano qui ne loupe pas une de ses vocalises dans la « chanson sarrasine du Voile » à la scène 2 de l'acte I, assure la tonalité vengeresse de la femme amoureuse blessée à l'acte II tout aussi bien qu'elle sait implorer le pardon de la reine après avoir maudit sa beauté dans un impressionnant « O don fatale, o don crudel » à l'acte III. Acclamé pour sa touchante interprétation de Lensky à Monte-Carlo en 2010 puis, avec un peu plus de réserves dans le personnage de Pinkerton d'une très belle Madama Butterfly en mars 2016,  le jeune ténor roumain Teodor Ilincaï campe un superbe Don Carlo dont il déploie avec facilité toutes les palettes de la richesse vocale : timbre déchirant dans la douleur intimiste, puissante émission dans les effusions passionnelles. Il s'en explique après la représentation dans un court entretien : « Si Verdi est mon répertoire, le rôle qui a fait évoluer ma ligne de chant est celui de Mario dans Tosca ». Et de préciser : « Avec Puccini, il existe des soutiens dans la partition, mais chanter Verdi revient à se mettre vocalement nu sur une scène ». « Et même si le chant réclame un registre spinto, il faut garder toute la légèreté lyrique. J'aime  exploiter  les couleurs de ma voix dans ce domaine ».  Nous ne tarirons pas non plus d'éloges sur le Rodrigo de Jean-François Lapointe. Et pour cause : d'un bout à l'autre de cette prise de rôle, la troisième cette année après un inoubliable Hamlet en septembre 2016 puis, plus récemment, dans le Wolfram d'un Tannhäuser à Monte-Carlo, le baryton québécois, dont nous pouvons ressentir le travail régulier et rigoureux de ses rôles, nous séduit là encore par une ligne de chant impeccable. Celle-ci écarte toute défaillance dans la justesse du ton ou tout affaiblissement dans la stabilité de ses médiums ou de ses forte comme dans son très acclamé « Per me giunto à il di supremo » à l'acte III. Si Nicolas Courjal se démène dans le personnage de Philippe II, sa voix qui oscille trop entre celle d'un baryton et d'une basse nous déçoit un peu dans le célèbre « Ella giammai m'amo » dont la violence des tourments intérieurs demeure trop édulcorée.

Sonia Ganassi (Eboli) et Yolanda Auyanet (Elisabetta). Photographie © Christian Dresse.

La mezzo-soprano Carine Séchaye (Tebaldo) qui nous avait ébloui trop rapidement dans le page d'un Romeo et Juliette monégasque,  la soprano Anaïs Constans (Une voix céleste), la basse Wojtek Smilek (Le Grand Inquisiteur), la basse Patrick Bolleire (Un moine), le ténor Eric Vignau (Comte de Lerma), le baryton Guy Bonfiglio (Un Député flamand), la basse Lionel Delbruyère (Un Député flamand), le baryton-basse Alain Herriau (Un Député flamand), le baryton Anas Séguin (Un Député flamand), le baryton Michel Vaissière (Un Député flamand), le baryton Jean-Marie Delpas (Un Député flamand) et le ténor Camille Tresmontant (Un Araldo) — ces deux derniers entendus dans le Madama Butterfly précité — sont à mentionner dans la réussite de cette production.

Don Carlo, Opéra de Marseille. Photographie © Christian Dresse.

Marseille, le 9 juin 2017
Jean-Luc Vannier
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