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Madama Butterfly fait battre les cœurs infantiles à l'opéra de Marseille

 

Marseille, 17 mars 2016, par Jean-Luc vannier ——

 

Teodor Ilincai (Pinkerton), Paulo Szot (Sharpless), Rodolphe Briand (Goro) et Cornelia Oncioiu (Suzuki). Photographie © Christian Dresse.

 

« Que peut-il se passer dans la tête d'un enfant de trois ans qui assiste en direct au suicide de sa mère ? » Telle était l'intention originale de Numa Sadoul qui signait, mercredi 16 mars à l'opéra de Marseille, la mise en scène d'une Madama Butterfly réalisée en coproduction avec l'opéra national de Bordeaux. Du chef d'œuvre de Giacomo Puccini créé au Teatro alla Scala de Milan le 17 février 1904, la production marseillaise conserve certes l'essentiel, fort heureusement éloignée de certaines spoliations narcissiques. À l'issue de la représentation, Numa Sadoul, spécialiste de cet ouvrage pour en avoir conçu plusieurs scénographies, notamment à Bordeaux en 2011 et à Toulon en 2012, accorde finalement à Pinkerton, tenu pour un « individu calamiteux et prototype du héros en négatif », des « circonstances atténuantes : ignorance, tradition, arrogance, urgence » ainsi que « son émotion et sa douceur » à l'égard de Cio-Cio San. Les décors de Luc Londiveau reflètent « la pauvreté du monde de Butterfly, à la limite de la misère » et les costumes de Katia Duflot se gardent des « japonaiseries » afin, toujours selon la volonté du metteur en scène, de « ne pas transformer ce somptueux désespoir en opérette enjouée ».

Svetla Vassileva (Cio Cio San) et Teodor Ilincai (Pinkerton). Photographie © Christian Dresse.

Cette version phocéenne renforce néanmoins l'émouvante densité des personnages en étayant la dramaturgie sur le facteur infantile dont nous savons les incommensurables capacités à réactiver chez chacun d'entre nous, l'infans et ses lancinantes angoisses. En témoignent la présence de Douleur (Basile Mélis) à l'ouverture et celle de plusieurs enfants (Théo Foxonet, Matteo Laffont et Harone Larieu) dès le second acte : « Pour quelles raisons l'enfant de Pinkerton et de Cio-Cio San ne jouerait-il pas avec les camarades de son voisinage ? » s'interroge Numa Sadoul ? Le bouleversement de cette dimension infantile provient surtout d'une superbe chorégraphie onirique lors de l'intermède orchestral du second au troisième acte : au sublime pianissimo du maestro se conjuguent les tragiques expressions du Butô, ce théâtre de la « révulsion, de la convulsion, de la répulsion » dont les corps affreusement recroquevillés et désarticulés animent les nuits cauchemardesques de Douleur. Si, dans une version berlinoise de Madama Butterfly, l'enfant aux yeux bandés est arraché in extremis à l'insoutenable spectacle du sacrifice maternel par le Consul Sharpless, Numa Sadoul tient, quant à lui, à montrer « l'acte de naissance du traumatisme psychique » en faisant du petit garçon le témoin oculaire du suicide de sa mère : au point de faire couler le rimmel sur de nombreux visages féminins ! Nous attendons impatiemment de découvrir le travail de celui qui a été chargé d'une future production de Die Zauberflöte à l'opéra de Nice.

Madama Butterfly, Opéra de Marseille. Photographie © Christian Dresse.

La direction musicale mérite elle aussi des éloges : un fugato au tempo plus rapide qu'à l'accoutumée à l'ouverture, « comme Puccini lui-même le recommande » insiste le maestro, électrise un orchestre et des chœurs de l'opéra de Marseille en très grande forme : Nader Abbassi approfondit les pianissimi sans jamais les affadir. Il insuffle une forme de tendresse dans l'exécution de la partition sans jamais perdre de vue ses principales articulations structurelles : l'énergique et le tranchant côtoient avec élégance la finesse de style et la douceur expressive. Nommé en 2011 Directeur artistique et musical de la Katara Culture Foundation à Doha (Qatar), ce Cairote de naissance dirige en outre le plateau avec un soin à la fois méticuleux et nourri de sensibilité : « j'ai moi-même été chanteur », explique-t-il.

La distribution vocale requiert peut-être davantage de nuances. Dans le rôle-titre, Svetla Vassileva, entendue par un confrère de Musicologie dans Tosca au Teatro La Fenice en 2014, met un peu de temps à convaincre : si la ligne de chant est techniquement irréprochable (agilité dans la tessiture, limpidité et justesse des sons), ses aigus souffrent en revanche d'un manque de sensualité, de rondeur, notamment lors du duo amoureux à la fin de l'acte I. Ils conservent parfois leur aspect métallique dans les deux autres actes. Son grand air au début de l'acte II « Un bel di vedremo » est néanmoins brillant et suscite les premiers applaudissements. À mesure que le drame s'intensifie, la soprano bulgare, indéniable tragédienne scénique, enrichit sa voix d'accents plus charnels, d'intonations plus humaines et donc plus émouvantes. La mezzo-soprano roumaine Cornelia Oncioiu incarne très honorablement Suzuki dans son dévouement empreint de réalisme et de résignation.

Madama Butterfly Opéra de Marseille. Photographie © Christian Dresse.

Très apprécié pour son interprétation de Lenski dans un somptueux Eugène Onéguine monégasque en novembre 2010, Teodor Ilincai déçoit dans le personnage de Pinkerton : le ténor roumain possède indéniablement une voix littéralement sculptée, riche en somptueux accents dont les forte ne laissent d'impressionner. Mais ses envolées aiguës ne sonnent pas toujours juste : peut-être la conséquence d'un forçage bien que l'artiste lyrique prétende après la performance « n'être pas fatigué tant ce répertoire lui convient ». Ses médiums sont mieux assurés et emportent naturellement l'adhésion. Paulo Szot campe un magnifique consul Sharpless, pétri de générosité, authentique jusqu'au remords éprouvé à la place de l'officier de marine. Le baryton brésilien n'en multiplie pas moins les occasions de montrer l'étendue de ses qualités vocales : stabilité dans la projection, timbre chaleureux doublé de très belles teintes dans les graves. Toujours à l'aise scéniquement et vocalement dans de multiples rôles, Rodolphe Briand campe avec aisance Goro, le « maquereau sans scrupule ». Cette production nous aura aussi permis de découvrir de jeunes talents : outre la soprano Jennifer Michel dont nous avions déjà salué la prestation dans Le Portrait de Manon, mentionnons le baryton Jean-Marie Delpas pour Le Bonze aux allures magistrales qu'un Wotan n'aurait sans doute pas dédaignées, le ténor Camille Tresmontant, qui vient d'entrer à l'opéra studio de Strasbourg,  et qui s'agite  — un peu trop — par dépit jaloux dans le personnage de Yamadori et, enfin, rêvant de chanter du Donizetti, le baryton Mikhael Piccone pour un Commissaire aussi impérial que sa taille. De futurs artistes à suivre donc. Tout comme Manon et Le Portrait de Manon en octobre 2015, l'opéra de Marseille couple cette magnifique production avec la première présentation, mercredi 23 mars, de Madame Chrysanthème, opéra en quatre actes et un prologue d'André Messager. La soprano Annick Massis interprètera le rôle-titre tandis que la direction orchestrale sera assurée par le jeune chef  Victorien Vanoosten.

Douleur (Basile Mélis) et Svetla Vassileva (Cio Cio San). Photographie © Christian Dresse.

Marseille, le 17 mars 2016
Jean-Luc Vannier

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