bandeau texte musicologie
28 mai 2014, par Jean-Marc Warszawski ——

Ce soir 20 mai 2014, concert d'ouverture : Festival de violoncelle de Beauvais (2)

Ce soir, mardi 20 mai 2014, concert d'ouverture du Festival de violoncelle de Beauvais, avec cinq musiciens honorés de par le monde :  Lluís Claret (violoncelle),  Stéphanie Marie Degand (violon), Pierre-Henri Xuereb (alto), Carmen Martinez (piano), et un comédien de marque : Didier Sandre.

L'inspiration de ce concert est originale, « Les Pablo de la paix », entendons Pablo Picasso, Pablo Neruda et Pablo Casals, tous trois décédés d'avril à octobre 1973.

Le programme est constitué d'œuvres et surtout d'extraits d'œuvres de compositeurs espagnols évidemment : Pablo Casals, Federico Mompou, le violoncelliste plus que compositeur Gaspar Cassadó, Joaquín Turina, mais aussi le Russo-Polono-Belge  Leopold Wallner et Gabriel Fauré, en alternance avec des textes d'Arthur Conte, Pablo Neruda, Louis Aragon, Thomas Mann.

Les notes d'intention du programme imprimé sont toutefois un peu confuses, car elles tendent à dresser un parallèle entre d'une part les dictatures franquistes et hitlériennes, avec d'autre part la Révolution d'octobre et son ensablement dans le stalinisme, ce qui au regard du programme n'est pas très pertinent, puisque Casals souffrait de la reconnaissance dont jouissait Franco dans monde occidental y compris en France, Neruda était membre du parti communiste chilien et soutien indéfectible du Président Allende (et aux Républicains espagnols). Louis Aragon, Résistant, était membre du comité central du Parti communiste français et Pablo Picasso compagnon de route de ce même parti divergences comprises. Ce programme, les personnalités mises en avant, s'inscrivent entre Franco et Pinochet, pas entre la Révolution d'octobre et l'effondrement du bloc soviétique, comme le suggèrent les résumés chronologiques du programme. Cette impression est confortée par la conférence donnée quatre jours plus tard sur le thème de « musique et totalitarisme », avec le classique « Chostakovitch et Staline », où l'on oublie en général de parler de la musique géniale du compositeur officiel couvert d'honneurs, comme le furent des Lully, Rameau, Haydn et tant d'autres, assujettis à leurs maîtres.

On met en parallèle stalinisme et nazisme et de pirouette en pirouette, la situation de Chostakovitch avec celle des musiciens déportés de la solution finale nazie (bas de la page 55 du programme), cela le jour même où Emmanuelle Bertrand et Pascal Amoyel présentent un spectacle inspiré par l'histoire d'Anita Lasker, revenue miraculeusement de déportation, grâce à son violoncelle (la majorité des musiciens déportés seront toutefois assassinés). Le lendemain, la sonate pour violoncelle et piano de Benjamin Britten dédicacée à Rostropovitch est l'occasion d'évoquer le mur de Berlin, même de la présenter comme une œuvre sinistrement descriptive alors qu'elle fut composée plusieurs mois avant le début de la construction du mur. Comme pour Chostakovitch, il serait peut-être bon de présenter Rostropovitch avant tout comme un grand musicien, plutôt qu'un opposant au régime soviétique,  je veux dire un grand musicien opposé au régime soviétique, plutôt qu'un opposant au régime soviétique jouant du violoncelle.

Les pablo beauvais

La grande salle n'est pas tout à fait pleine, contrairement à la l'habitude des concerts d'ouverture, les années précédentes. Trois cent cinquante, quatre cents personnes ? Il est de tradition, pour le festival, de présenter un concert de musique de chambre avec récitant, mais pas en ouverture.

C'est un très beau programme dont l'inspiration lyrique s'affirme dès les deux œuvres romantiques d'entrée, la Pastorale et la Rêverie de Pablo Casals composée respectivement en 1893 et 1896. Suivent quelques œuvres pour piano de Federico Mompou, compositeur formé en France, quelque peu dilettante, homme d'affaires qui ne réussit pas tout, mystico-neurasthénique et d'une belle inspiration délicate et raffinée proche de ce qu'on aime au début de xxe siècle en France. La première partie s'achève sur un extrait du  trio avec piano en re mineur de Gabriel Fauré.

maladrerie beauvais

La seconde partie du concert est ouverte par une œuvre très rare, une Suite polonaise pour piano et alto, d'un  compositeur quasiment inconnu, Leopold Wallner, de mère ukrainienne et de père autrichien, installé à Bruxelles, mort à la veille de la Première Guerre mondiale, puis on revient en Espagne avec un extrait de la suite pour violoncelle seul de Gaspar Cassadó, un violoncelliste mythique ayant séjourné en France comme beaucoup de musiciens espagnols, qui connut un certain succès à Paris avant la Grande Guerre en jouant notamment avec son frère violoniste. Œuvre d'une grande virtuosité exploratrice et d'un beau lyrisme hispanisant. Enfin toujours lyrique, contrasté et hispanisant, le quatuor avec piano en la mineur de Joaquín Turina.

Le programme musicalement rutilant, servi par des musiciens d'élite semble avoir un peu de mal à s'imposer. Rétrospectivement, il est assez difficile d'en cerner les raisons. Peut-être la disposition frontale de la scène et du public dans cette grande nef, malgré la très bonne idée de reprojection vidéo sur toute  la surface de fond de scène, a-t-elle fait perdre de cette intimité nécessaire à la musique de chambre, particulièrement exigeante quant à l'attention d'écoute et à la perception essentielle de l'engagement des musiciens. Peut-être cet engagement n'était-il pas entièrement au rendez-vous, pour des musiciens insuffisamment habitués à jouer ensemble, peut-être pas assez préparés. Quelques imprécisions, voire des effets très passagers de polytonalité certainement pas écrits dans la partition pourraient faire abonder dans le sens d'une relative frilosité prudente. Peut-être encore a-t-on assigné un rôle d'illustration à la musique, pour les textes dits par Didier Sandre qui en fait a magnifiquement porté le spectacle.

Didier Sandre Didier Sandre en répétion à la Maladrerie de Beauvais.

Une voix de jeune femme, derrière moi, celle d'une jeune femme heureuse de faire partager ses connaissances théâtrales bien au-delà du cercle de ses amis ou de sa famille dit que Didier Sandre en faisait peu. C'est vrai en un sens. Mais par rapport à la richesse lyrique des textes, leur grandeur littéraire, leur grandiloquence parfois, le choix d'une diction intime (aidée par la sonorisation), de la conversation familière, voire ici et là désinvolte, n'était pas si peu que cela dans ses effets touchants plus sûrement qu'une déclamation redondante l'aurait fait, libérant ainsi une large palette expressive faisant mouche à chaque fois.

Certains ont été touchés par la magnificence de l'écriture de Pablo Neruda sur l'Espagne républicaine écrasée, d'autres comme le pianiste Bertrand Amoyel,  par la lettre de Thomas Mann à propos de Pablo Casals. Pour ma part, une fois de plus, j'ai été saisi par l'arrogance à la Mozart de Louis Aragon dans son hymne à Pablo Picasso de 1971, pour ses quatre-vingt-dix ans (Discours sur les beaux jours d'un jeune homme nommé Picasso), cet amour éternel des mots lié à une invraisemblable facilité inventive, qui éclot chaque mot d'un horizon poétique :

Changer la peinture, c'est changer l'homme
Plus jamais le même après que parurent
Aux parois des grottes les bisons noirs
[…]
Ô Peintre ô père de plus tard ô dépasseur de toute limite
À toi salut qui est sur la terre et non dans les cieux imaginés
À toi salut Pablo par qui nous sommes
Les marches d'hier vers toujours
À toi Pablo qu'ici je nomme à jamais Jeune homme

Une belle soirée cent pour cent  lyrique paroles et musique.

Festival de violoncelle

Plume Jean-Marc Warszawski
28 mai 2014

Lire aussi

Beauvais, son festival de violoncelle et Beauvais (1)

Une masterclasse de Lluís Claret au festival de violoncelle de Beauvais (3).


rect acturectangle biorectangle texterectangle encyclo
logo gris

À propos - contact |  S'abonner au bulletinBiographies de musiciens Encyclopédie musicaleArticles et études | La petite bibliothèque | Analyses musicales | Nouveaux livres | Nouveaux disques | Agenda | Petites annonces | Téléchargements | Presse internationale| Colloques & conférences | Collaborations éditoriales | Soutenir musicologie.org.

paypal

Musicologie.org, 56 rue de la Fédération, 93100 Montreuil, ☎ 06 06 61 73 41.

ISNN 2269-9910.

musicologie

Lundi 5 Février, 2024