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Jean-Luc Vannier, Wien, le 13 novembre 2025.

Faust de Gounod à la Wiener Staatsoper : lourde dyspepsie scénique

Olga Kulchynska (Marguerite). Photographie © Stephan Brückler.Olga Kulchynska (Marguerite). Photographie © Stephan Brückler.

« Tout ce qui est excessif est insignifiant » se plaisait à dire Charles-Maurice de Talleyrand-Périgord. Il est des metteurs en scène à l’ego surdimensionné — une pathologie assez répandue dans cette profession — et dont le travail scénographique, loin de s’évertuer à embellir l’œuvre comme l’aquarelle rehausse le croquis, s’échine, envers et contre tout, à faire passer leur ambassade personnelle. Pourquoi pas à la condition que cette dernière s’insère avec habilité dans l’ouvrage et qu’elle en devienne même la pointe aiguisée, le piment à l’image, oserons-nous dire, de « la sauce qui fait le rôti » : la communication du message sera d’autant plus réussie qu’elle ne dénature pas l’essence de l’opus.

John Osborn (Faust). Photographie © Stephan Brückler.John Osborn (Faust). Photographie © Stephan Brückler.

Las ! Ce à quoi nous avons assisté, mercredi 12 novembre avec le Faust de Charles Gounod  à la Staatsoper de Vienne dépasse, nous regrettons de l’écrire, tout entendement. La mise en scène de Frank Castorf devient une entreprise de destruction massive qui a pour effet d’instaurer un véritable chaos scénique. Qu’on en juge : fusion de la scène et des coulisses, présence d’un vidéaste itinérant qui suit à la trace et fixe les chanteurs pour retransmettre en live leurs faits et gestes sur des écrans géants situés sur le plateau. Des retransmissions qui alternent avec des images tirées des archives de l’INA sur la guerre en Algérie, la bataille d’Alger et les tragiques événements de 1961. Nous avons même droit à des extraits du discours du général Salan, l’un de ce « quarteron de généraux en retraite » comme le qualifiait de Gaulle. Outre son obsession outrancière des militaires — il enrage sans doute sur « gloire immortelle de nos aïeux » au troisième tableau de l’acte IV ! — qui va jusqu’à aligner des soldats tenant des têtes décapitées sur le devant de la scène — où sont les terroristes djihadistes ? — et qui provoque stricto sensu un vomissement sur scène de Siébel, nonobstant un lavement de pieds ensanglantés dans une cuvette dont l’un des soldats s’abreuve avec délice, Frank Castorf s’en prend avec la même virulence au monde de l’argent : aurait-il par hasard travaillé gracieusement pour la Wiener Staatsoper ? Les décors d’Aleksandar Denic qui placent ce Faust à la sortie du métro Place Stalingrad et à la terrasse d’un modeste café, décors non dénués d’un certain charme même si la nuit leur donne un côté un peu glauque, échouent à suggérer cette atmosphère misérabiliste qui pouvait faire sens dans la bascule et la signature du pacte faustien. La déclamation des extraits du poème de Charles Baudelaire « L’invitation au voyage » en devient dans ce tumulte complètement inaudible.

Olga Kulchynska (Marguerite) et Stefan Astakhov (Valentin). Photographie © Stephan Brückler.Olga Kulchynska (Marguerite) et Stefan Astakhov (Valentin). Photographie © Stephan Brückler.

Tout ce capharnaüm scénique — une chatte n’y retrouverait pas ses petits — désoriente et disperse l’attention du public mais il pèse aussi sur les efforts louables de Frédéric Chaslin dans sa direction de l’orchestre et des chœurs de la Wiener Staatsoper : sans doute gênés par ce tohu-bohu incessant, ces derniers ne parviennent pas à restituer convenablement la valse « Ainsi que la brise légère », plus « criée » que chantée, à la fin de l’acte II. Au point de ne susciter que des applaudissements à peine spontanés pour les grands airs et ce, nonobstant les temps d’arrêt savamment marqués par l’orchestre afin de les provoquer : le Faust du ténor John Osborn ne démérite pas mais son « Salut, demeure chaste et pure » à l’acte III pâtit d’un jeu d’acteur perdu dans les dédales de cette mise en scène. Olga Kulchynska, que nous avions entendue dans le rôle de Susanna d’un Nozze di Figaro à Munich, n’obtient qu’un succès d’estime dans son « air des bijoux » — pourquoi est-elle déjà parée de somptueux diamants avant l’heure ? — tandis que le Méphistophélès d’Alex Esposito (Figaro dans le Nozze di Figaro à l’instant évoqué et Mefistofele de Boito à la Fenice) abonde dans une théâtralité grimaçante, sans doute imposée par les gros plans ininterrompus de la caméra mobile. Stefan Astakhov dans le personnage de Valentin s’en sort nettement mieux — très émouvant « adieu » à la fin de l’acte IV où il maudit Marguerite — que son Sharpless d’une Madame Butterfly à Vienne. Margaret Plummer (Emilia dans un Ottelo viennois) campe un Siébel combattif mais lui aussi égaré dans les méandres du plateau.

Avec le baisser de rideau survient enfin la rédemption. La vraie.

Faust. Wiener Staatsoper. Photographie © Stephan Brückler.Faust. Wiener Staatsoper. Photographie © Stephan Brückler.

Jean-Luc Vannier

Wien, le 13 novembre 2025.


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Mercredi 19 Novembre, 2025 4:10