17 avril 2014, par Frédéric Norac ——
Six représentations combles et une saveur d'évènement pour cet Otello de Rossini, production de l'Opernhaus de Zurich 2012, avec lequel Cecilia Bartoli faisait retour à Paris dans un rôle scénique, pour la première fois depuis ses Cherubino des Noces de Figaro à l'Opéra Bastille en 1990. Quel chemin parcouru depuis les débuts de la toute jeune mezzo, sortie de nulle part pour les Parisiens, et déjà considérée comme un phénomène, quelque peu contesté par une partie de la critique !
Otello, Théâtre des Champs-Élysées, avril 2014. Photographie
© Vincent Pontet - Wikispectacle.
Elle s'est depuis emparée du répertoire baroque le plus virtuose — celui des prime donne et des grands castrats — et des rôles de soprano les plus exposés du répertoire romantique comme Norma, Sonnambula et maintenant cette Desdémone, conçue par Rossini pour la vocalité si particulière d'Isabella Colbran, une des figures légendaires du Bel Canto, quelque part entre mezzo aigu et soprano dramatique.
Disons le d'emblée, il faut attendre le grand trio et toute la scène finale du deuxième acte pour que la chanteuse — et l'actrice — se révèle dans toute l'étendue de ses moyens et de son engagement scénique — notamment dans les volate du grand air délirant qui le conclut où l'héroïne pieds nus, juchée sur un billard, dans l'arrière-salle d'un bouge, affronte son père, une bouteille de bière à la main qu'elle finit par se renverser sur le corps en signe de désespoir et de défi. Mais dès lors, la machine est lancée et pendant tout le dernier tableau — celui des adieux à la vie, de la prière et de l'affrontement avant l'assassinat par Otello — la cantatrice tient le public sous le charme — au sens le plus fort du terme — de sa vocalité raffinée, subtile et puissamment construite, et ne le lâche plus une minute, dressant un portrait prégnant de son personnage combatif.
Otello, Théâtre des Champs-Élysées, avril 2014. Photographie
© Vincent Pontet - Wikispectacle.
Le premier acte, où elle n'a en guise d'entrée qu'un duo et une participation dans le concertato final, la montrait un peu âpre de timbre et surjouant quelque peu. L'ensemble peinait à prendre forme, handicapé sans doute par l'approche orchestrale sans tension de Jean-Christophe Spinosi et d'un Ensemble Mattheus dont n'apparaissent d'abord que la sécheresse, les approximations des cors, les acidités des bois, des cordes incolores et des tempi un peu métronomiques dont la pertinence ne se fait jour que dans les scènes dramatiques des deux derniers actes.
Il faut dire aussi que si les partenaires sont d'un niveau respectable, aucun ne peut vraiment prétendre à s'aligner sur celui de cette Desdémone omniprésente, même quand elle passe au second plan.
Otello, Théâtre des Champs-Élysées, avril 2014. Photographie
© Vincent Pontet - Wikispectacle.
John Osborn en Otello certes ne démérite pas et ne manque pas de qualités intrinsèques mais sa voix reste définitivement celle d'un ténor lyrique au médium nourri et au suraigu facile, plus que celle du « baryténor » attendu dans cette tessiture qui sollicite sans arrêt l'extrême grave, notamment dans son air d'entrée. Il ne peut dans ces conditions vraiment restituer pleinement la dimension phénoménale que réclame le personnage et que pouvait lui conférer un Chris Merritt dans les années 80 et que lui donne un Gregory Kunde, aujourd'hui.
Promu dans le rôle de Rodrigo, le rival malheureux d'Otello, après avoir été le Iago de la production originale, Edgardo Rocha montre de belles affinités avec la vocalise et une jolie maîtrise de la dynamique et de la mezza voce dans son grand air de l'acte II mais il doit encore approfondir son personnage qui ne semble qu'esquissé.
Barry Banks qui le remplace en Iago ne s'impose guère et reste plus une utilité qu'un personnage. Dans l'ensemble, les voix des trois ténors paraissent souvent un peu trop proches pour la caractérisation de leurs rôles. Vétérans de la production originale, Peter Kalman dessine un Emiro autoritaire à souhait et Liliana Nikiteanu une Emilia maternelle, touchante et désemparée.
Otello, Théâtre des Champs-Élysées, avril 2014. Photographie
© Vincent Pontet - Wikispectacle.
La mise en scène de Patrice Caurier et Moshe Leiser transpose l'action dans les milieux du pouvoir politique italien des années 60, mettant l'idée du racisme au centre de sa conception et colorant l'œuvre de nuances proprement véristes, avec un traitement quasi cinématographique qui, curieusement, s'intègre parfaitement au langage stylisé de Rossini. Quelques excès de réalisme dans les détails d'arrière-plan ne nuisent pas vraiment à la cohérence de l'ensemble qui réussit à porter un des livrets réputés parmi les plus sommaires dont ait disposé le compositeur. On ne regrettera dans ce travail très abouti que le sacrifice, pour des raisons dramaturgiques tout à fait discutables, du chœur dont la principale intervention, le chœur nuptial qui introduit le finale du premier acte est carrément coupée, tandis que les quelques autres sont maintenues dans un arrière-plan si contraint et si éloigné qu'elles en deviennent inaudibles.
Pour ceux qui n'ont pas pu assister à l'évènement, France Musique a enregistré le spectacle (date de diffusion pas encore annoncée) et surtout Decca vient de faire paraître en DVD une captation du spectacle original, remarquablement filmé par Olivier Simonnet qui en a parfaitement saisi l'esprit. Dans cette version, l'orchestre La Scintilla dirigé par Muhai Tang chatoie de mille couleurs et surtout, Javier Camarena, s'impose comme un des Rodrigo les plus intéressants depuis Juan Diego Florez. À découvrir de toute urgence.
Frédéric Norac
17 avril 2014
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