Carrie-Ann Matheson (Piano) et Benjamin Bernheim (Ténor). Photographie © OMC - Marco Borrelli.
Même si la sagesse préside à la construction d’un édifice et que la force le soutient, il faut également que la beauté l’orne. Dans le récital donné dimanche 9 février salle Garnier à Monte-Carlo, Benjamin Bernheim, l’un des plus talentueux ténors de sa génération, a montré combien, d’un répertoire à l’autre, l’état d’esprit dans lequel on l’interprète, peut influer sur une ligne de chant. Fût-elle proche de la perfection. À son corps défendant, le récital a débuté avec une trentaine de minutes de retard : il fallut attendre une partie du public qui assistait au concert de Martha Argerich, proposé en début d’après-midi à l’auditorium Rainier III. Les étoiles se ruent sur la Principauté mais elles bousculent les programmes. Dans sa loge et pour sa première apparition sur la scène monégasque, le ténor dut patienter alors que l’audience, plongée dans une salle surchauffée stricto sensu, rongeait son frein en applaudissant bruyamment.
Carrie-Ann Matheson (Piano) et Benjamin Bernheim (Ténor). Photographie © OMC - Marco Borrelli.
Pour la première partie de son programme, Benjamin Bernheim s’est lancé dans un répertoire qu’il affectionne : la mélodie romantique française. Et de nous proposer « L’Absent » de Charles Gounod, puis « L’Heure exquise » de Reynaldo Hahn, avant d’enchaîner sur « La Fleur des eaux » et « La Mort de l’amour » issues du Poème de l’amour et de la mer d’Ernest Chausson. Outre le bonheur d’une irréprochable diction — quel contraste avec une interprétation incompréhensible de ce diptyque entendu à Vienne avec Nicole Car — force nous est de constater que la recherche de la maîtrise quasi absolue d’une interprétation la plus exigeante possible — en témoigne la gestuelle d’emprise des mains du ténor —, la volonté de ne rien omettre de la subtilité des oscillations tonales dans « L’Absent », le souci pointilleux d’émettre ces aigus diaphanes sur « Ô bien-aimée » dans « L’Heure exquise », voire celui de densifier l’intériorité du « Le temps des lilas et le temps des roses », sont autant d’exemples qui ont amené le ténor à filtrer, à tamiser en quelque sorte, les puissants affects inhérents à ces mélodies. Attentif, méticuleux, sourcilleux jusqu’à frôler l’obsessionnel, le ténor a suivi une ligne de chant ciselée comme une horlogerie suisse, peut-être pour nous rappeler le fait qu’il partage, en dehors de l’Hexagone, une seconde citoyenneté avec ce pays. Très impressionnant mais pas complètement jubilatoire. C’est en revanche la qualité exceptionnelle de l’accompagnement au piano par Carrie-Ann Matheson qui, notamment dans l’Intermezzo du poème d’Ernest Chausson, nous arrache une émotion plus palpable par un jeu pianistique dense, vivement coloré et à l’expressivité plus tellurique.
Récital Benjamin Bernheim. Photographie © OMC - Marco Borrelli.
Aurait-il franchi la frontière helvète en deuxième partie ? Toujours est-il que le sentiment, largement partagé par le public, fut celui d’un autre ténor, plus à l’aise, nettement plus communicatif : un rien même cabot avec ses sourires amusés et sa mèche rebelle de post-adolescent -beau-gosse certain de ses facultés, voire ses mimiques complices de chanteur exténué par sa performance ! Rien de mieux pour se lancer dans « Damunt de tu nomès les flors » de Federico Mompou sur un poème de Josep Janès i Olivé (1913-1959) puis, avec cette même chaleur vocale, de surenchérir avec « Los dos miedos » de Joaquín Turina ou avec « Cancion al arbol del olvido » du compositeur argentin Alberto Ginastera (1916-1983). Toujours par trois, Benjamin Bernheim est revenu en Europe avec quelques forte pucciniens dont « Mentia l’avviso » — inévitable commémoration du centenaire de la mort du compositeur —, des mélodies d’Henri Duparc dont de subtils et admirables sauts de nuance tonale sur la seule phrase « Repose ô Phidylé » (1882). Pureté cristalline et élégance tout aristocratique de son chant : tout n’est effectivement que « Luxe, calme et volupté ». Et puis, peut-être définitivement perdu pour la ville de Zürich où il réside, le ténor se lâche in fine sur les trois dernières interprétations dont un émouvant « Douce France » de Charles Trenet. Il était déjà tard mais Benjamin Bernheim a tenu à gratifier le public, en guise de bis, de deux airs d’opéra. Et pas n’importe lesquels : « Je crois entendre encore », la célébrissime romance de Nadir dans Les Pêcheurs de perles de Georges Bizet où il égrène des notes hautes aussi brillantes que translucides avant de clore — fortissimo — son récital sur le « tube » de ses premiers succès avec « Pourquoi me réveiller » du Werther de Jules Massenet. Ovation d’autant plus enthousiaste qu’elle fut tardive.
Jean-Luc Vannier
Monaco, 10 février 2025
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Mardi 11 Février, 2025 14:24